DU TROUBLE BIPOLAIRE AU SAVOIR EXPERIENTIEL — ENTRETIEN AVEC CECILE HISTAS

par | INTERFÉRENCES, Social

Casse-tête militant

À travers de multiples voix, Bruxelles Laïque s’interroge sur le militantisme et l’engagement politique.

1 – FIRAS KONTAR ; 2 – JEAN-YVES PRANCHERE ; 3 – NINON BERMAN & JONAS PARDO ; 4 – CECILE HISTAS ;

L’embarras est palpable lorsque la problématique de la santé mentale est abordée dans les franges militantes. Entre les réflexes consistant à plaindre des victimes et leur instrumentalisation politique au détriment de leur parole, le rapport à la « folie » est peu apaisé et peu égalitaire. Cependant, des lignes bougent, surtout lorsque l’on se tourne vers l’auto-organisation des concernés et l’entraide qu’ils mettent en place. Pour y voir plus clair, nous avons rencontré Cécile Histas, diagnostiqué bipolaire, administratrice au Funambule et pair-aidante au Smes (Santé mentale et exclusion sociale) et dont le parcours individuel nous éclaire collectivement.

Avant d’explorer plus avant ce qui m’a poussé à vous contacter, qu’est-ce qui vous a fait accepter cet entretien ? Le fait d’assumer un militantisme, des engagements, une parole publique ? 

Le terme de militantisme, des fois, ça me fait un peu dresser les poils. Je me retrouve plus dans le terme engagement, c’est ça qui m’a accrochée. Cela dit, je ne suis pas quelqu’un qui joue avec les mots et la sémantique. Mais je me sens plus engagée que militante. Le militantisme, ça me ramène plus à des instants de ma vie où il y avait davantage de colère. Je suis peut-être à un stade de ma vie où cette colère a peut-être été dépassée. Mais ce mot m’a aussi renvoyée à mon parcours étudiant. J’ai eu l’occasion d’étudier les relations internationales à Montréal et on avait fait une émission radio à Radio-Canada. Et c’était justement sur la critique de l’alter-mondialisme, avec le professeur de l’UQAM, Yan Parenteau. On était un peu dans la critique de tous ces « bien-pensants », dont j’ai sans doute fait partie aussi qui vont toujours gueuler plus fort que les autres, pour les autres, mais pas avec les autres. 

En tout cas, militantisme, ça me semble un terme qui enferme plus qu’il n’ouvre, qui comporte un côté dogmatique qui me dérange. J’ajoute que de par ma fragilité, ma pathologie, le trouble bipolaire, j’ai été amenée à côtoyer beaucoup d’employeurs et j’ai rencontré beaucoup de personnes qui se disaient militants et charismatiques, de tout bord sur le spectre politique, mais qui étaient surtout très donneurs de leçons.

Très bien, restons sur le terme d’engagement. Qu’est-ce qui contribue à alimenter votre rapport au monde ? Serait-ce dès le départ ce trouble bipolaire qui a façonné une partie de votre vie privée, professionnelle, et d’engagement ?

En réalité, cela a commencé quand j’avais 16 ans et que je me suis engagée dans le milieu du handicap. À l’époque, je n’avais pas encore cette fragilité connue… Mais je crois que les gens vont puiser un peu dans leur expérience de vie, et moi j’ai côtoyé le milieu du handicap de par la présence de personnes avec handicap dans ma famille. Il faut ajouter à ça le fait que je viens de Libramont, et culturellement il était impossible de ne pas être engagé dans les mouvements de jeunesse. Et s’il faut mettre un mot, c’est les injustices. Je ne sais pas exactement d’où ça vient, mais j’ai très vite voulu m’engager concrètement à travers le soin, le care. Et donc c’était d’abord les personnes en situation en handicap, ça a même jalonné mon parcours universitaire parce que j’ai fait éducation physique, option sport adapté, déjà pour les personnes en situation de handicap, avant de faire, science-po et journalisme… Typique des beaux parcours de bipolaire, un peu patchwork, toujours jalonné par cette lutte contre les injustices même si je suis un peu plus apaisée maintenant à 44 ans.

J’ai fait beaucoup de droit pendant mes études en science politique et tout ce qui concernait les droits humains, les droits fondamentaux, c’était vraiment mon créneau. Qu’on y ait accès tous, quelle que soit sa particularité, c’est ça qui est intéressant. Ça peut être la santé mentale, comme ça peut être les addictions, comme ça peut être ta couleur de peau, ça peut être ton sexe, ton genre, etc. C’est une lutte pour défendre les droits fondamentaux pour toutes et tous d’individus uniques et particuliers. J’ai un côté très fédérateur, très universaliste.

Je me camouflais, j’arrivais à paraitre ce qu’il faut paraitre à la société. C’est vraiment à partir du moment où j’ai accepté le diagnostic que la colère s’est un peu estompée, où j’ai été plus sereine, que j’ai vraiment pu faire quelque chose de ce diagnostic.

Cette manière de voir les choses vient aussi de mon parcours en éducation permanente, où j’ai beaucoup travaillé. Notamment chez Alteo [Mouvement social de personnes malades, valides et handicapées] à la Mutualité Chrétienne. Quelque part, je suis un peu un bébé du MOC [Mouvement Ouvrier Chrétien]. Ca implique que le collectif a toujours fait partie de ma vie professionnelle, et je conçois l’engagement comme une aventure collective. 

Vous avez également, au fur et à mesure, incorporé votre diagnostic bipolaire dans votre vie professionnelle, mais également sous la forme d’engagement bénévole. Quel en fut le processus ?  

Avant de pouvoir en faire quelque chose, il faut d’abord l’accepter. J’ai mis des années, parce que j’avais l’impression de l’avoir accepté ; or, je surnageais, en fait. Tous mes boulots que je cite, que j’ai faits, tous mes employeurs… la bipolarité fait que ce n’est pas évident de maintenir une vie stable, tant au niveau professionnel que privé. C’est un peu du zapping. Donc, il faut d’abord accepter son diagnostic, et ça, ça a mis du temps. J’ai été diagnostiquée seulement à l’âge de 30 ans, alors que j’ai eu les premiers signaux à 20 ans. Par la suite, je me camouflais, j’arrivais à paraitre ce qu’il faut paraitre à la société, du style avoir un job si possible à temps plein. Et c’est seulement à 40 ans, avec l’arrivée de mon fils, que j’ai vraiment passé un cap. S’accepter, arrêter de déconner, se prendre en main. Avant, j’arrivais toujours à avancer par mon énergie, par ma colère. Elle était positive aussi, à certains moments, cette colère. Mais je ne pouvais plus continuer sur ce mode, je m’épuisais à chaque fois. C’est vraiment à partir du moment où j’ai accepté le diagnostic que la colère s’est un peu estompée, où j’ai été plus sereine, que j’ai vraiment pu en faire quelque chose. Maintenant, j’ai complètement changé mon fusil d’épaule, je me retrouve dans une ASBL, paire-aidante, à temps partiel. Et je suis d’autant plus efficace, enfin je n’aime pas le mot efficace, mais je suis efficiente en tout cas. Et c’est à ce moment-là que je suis rentrée, je ne vais pas dire en militance, mais en tout cas c’est là que j’ai commencé mes activités bénévoles il y a 5 ans au Funambule, comme administratrice, —  parce qu’avant je n’étais pas prête, j’étais encore dans le déni —  une association qui va avoir 25 ans et qui accompagne des personnes qui vivent avec le trouble bipolaire et leurs proches à travers des groupes de parole, des modules de psychoéducation qui promeuvent l’autogestion du patient et d’événement de vulgarisation et de démystification de cette pathologie qui fait peur encore aujourd’hui.

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Ronald York Wilson

C’est dans une perspective inclusive, pour déconstruire les stéréotypes, la psychophobie… ?

Oui, on s’inscrit clairement dans ce mouvement, tout comme la pair-aidance, qui va chercher et valoriser professionnellement la richesse de cette diversité. Après, il ne faut pas être trop idéaliste non plus. C’est step by step. Un jour à la fois, un combat à la fois. C’est vrai qu’au Funambule on est vraiment là-dedans, notamment à travers nos diffusions de documentaires, de ciné-débats autour de ces questions. 

Plus largement, il y a peu, je donnais une formation au personnel d’Actiris, et il y avait une agente femme trans, et je me suis dit, enfin Actiris se bouge un peu ! Il y a un peu de diversité, ça me faisait plaisir. 

Il y a la question de la diversité et de son acceptation qui va de pair avec le moment où l’on décide de parler de sa pathologie. Vu notre société pas toujours tolérante, la démarche d’en parler en vaut elle la peine ?  

C’est important d’en parler. Moi ça m’aurait évité des années de souffrance alors que tu sais très bien ce dont tu souffres, notamment face aux employeurs. Rester dans le tabou, c’est très inconfortable. Moi je ne suis pas beaucoup pour les tabous même si pendant 15 ans j’ai joué le jeu ! Bon, aux États-Unis, ça se fait, il n’y a pas de soucis, tu dis que t’es bipolaire, c’est presque cool ! On a beaucoup de Français qui viennent à nos groupes de parole du Funambule, et tu en as certains où, clairement, il y a des aménagements raisonnables — comme on dit au Québec — parce qu’ils l’ont dit à leur employeur. Mais pour y arriver, il faut vraiment déjà savoir où tu mets les pieds. Et moi au Smes, c’est la première fois, que je suis aussi sereine d’aller au boulot, sans devoir cacher ma fragilité. Et ça, c’est grâce à la pair-aidance, que j’ai découvert un peu par hasard. Après, moi j’ai toujours détesté les coming out avec plein de cotillons, je préfère renforcer les droits pour tous, qu’il y ai des aménagements raisonnables pour les personnes avec handicap, par exemple. 

Renforcer et respecter les droits fondamentaux, qu’importe le public : en santé mentale, en hôpital psy, dans les prisons,…

Vous avez évoqué la promotion de l’autogestion des patients. Au risque de faire des raccourcis, est-ce qu’il y a une volonté de s’inscrire dans le mouvement de l’antipsychiatrie ?

Disons qu’au Funambule, nous sommes plus sur une ligne de crête entre soins « psy » et autonomie, avec une complémentarité avec les équipes de soins. Par exemple, si je prends les bénévoles du Funambule, on est une trentaine, il y a certains de mes pairs qui se connaissent très bien et qui savent qu’à certains moments de leur vie, ils ont besoin d’une « hospi » [hospitalisation]. Il y a vraiment une relation thérapeutique qui se peut se nouer avec les soignants. Bon, ça n’a pas marché pour moi parce c’est pas mon truc. J’étais un peu trop rebelle à l’institution, donc je n’ai fait qu’une seule « hospi » de mon plein gré et j’en suis sortie parce que le cadre ne me convenait pas. Mais ça, c’est mon tempérament. Et chacun est différent. On se refuse d’ailleurs de donner des noms de psychiatres quand on nous le demande parce qu’un psy peut convenir à une personne, mais pas forcément à une autre. Il faut faire un chemin de rétablissement avec un panel de soins qui puisse convenir à tous, y compris la psychiatrie, notamment pour tout ce qui est psychoéducation. Il faut ajouter à cela que dans le cadre du trouble bipolaire, le psychiatre est un pilier essentiel parce qu’il y a la question de la médication. Et ça, soit dit en passant, c’est un problème que beaucoup de patients connaissent. Dans les phases où tu as l’impression que tout baigne, dans tes phases « up », hop, on arrête la médication… Et on ne peut pas la zapper aussi facilement. 

Sans aller jusque dans l’antipsychiatrie, ce que j’entends aussi, c’est que tout n’est pas idéal dans le monde de « l’institution »…

Effectivement ! Et je suis à fond pour essayer de sortir des murs. Mais de là dire qu’on rase tous les hôpitaux psy… On peut faire le parallèle avec les prisons. C’était un autre de mes dadas, j’avais écrit un mémoire sur les prisons, et plus spécifiquement sur les prisons ouvertes. Ça montre quand même qu’il existe des alternatives. Je parlais plus tôt de renforcer les droits fondamentaux, qu’importe le public. Ça s’applique là également.

Donc autant la prison que l’hôpital, ça peut être réformé, et assez profondément.

Ah ça oui ! Et ça commence peut-être par regarder comment soi-même on peut changer un peu les choses, et être content déjà de petites batailles sans partir tout de suite au front. Parce que là, virer la psychiatrie d’un coup, virer les prisons d’un coup…. moi, évidemment, ça me plairait, mais c’est surtout du blabla. Il y a d’autres choses à mettre en place pour arriver à ça. Et toujours avec les personnes concernées. Pas de top down, mais un bon bottom-up. Ça prend des fois plus de temps, mais au final, c’est un vrai plus. 

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N’y a-t-il pas une tendance très ancrée de la psychiatrie à être dans une posture d’autorité, de (re)production d’une hiérarchie du soin ? 

Ah oui, mais on ne travaille pas avec ces psychiatres qui valident cette vision-là ! On travaille évidemment avec ceux qui sont déjà plus éveillés et qui n’approuvent pas cette hiérarchie. On a un rapport complètement symétrique avec les psychiatres, avec lesquels on collabore, avec qui on échange. C’est vraiment des collègues. 

Vu les tendances de fond, c’est un acte fort, non ? Presque un geste militant ? 

C’est un positionnement. Et ça vient aussi du regard que l’on porte sur eux, le pouvoir qu’on leur donne aussi. Je vous parle de ça, comme ça, maintenant. Je n’aurais pas dit ça il y a 10 ans. C’est parce que je me sens stabilisée, je me sens forte et armée. 

Vous êtes donc bénévole à Funambule. Mais vous travaillez également comme pair-aidante. Comment pourriez-vous expliquer ce que c’est quelqu’un qui n’en a jamais entendu parler ?

La pair-aidance, c’est une pratique professionnelle ou bénévole, qui vise à pouvoir mettre à profit tout son parcours de rétablissement face à une problématique donnée, qu’elle soit liée à la santé mentale, aux addictions, au travail du sexe, etc. Partir d’un vécu, de tout ce bagage que tu as et pouvoir le mettre à profit pour l’accompagnement de tes pairs, des personnes qui vivent ces mêmes réalités. Donc ça crée de facto, on s’en aperçoit sur le terrain, une connivence, ce rapport entre pairs, que tu ne retrouves pas toujours avec un autre professionnel du soin ou de la santé. Très souvent, c’est comme s’il y avait une reconnaissance tacite. Même dans les groupes de paroles au Funambule où des gens qui ne se connaissent ni d’Eve, ni d’Adam, cela facilite la parole dans le groupe et il y a une connivence qui est là, même à travers les groupes en ligne. Donc c’est un petit peu ça la pair-aidance : utiliser son savoir expérientiel au service de tes pairs. 

Et ça peut se faire de manière bénévole ou salarié ? 

Tout à fait. Mais il y a beaucoup plus de bénévoles que de salariés puisque c’est un métier qui n’est pas reconnu encore par une commission paritaire, collective. Et donc, on milite, enfin on milite, on se bat, on lutte, on travaille — peu importe les termes — au Smes là-dessus pour reconnaître ce métier et essayer que ce ne soit pas un sous-métier. Si nous, comme je le disais, on est parant pour la complémentarité des savoirs, il n’en va pas de même pour tous les employeurs…

L’engagement en tant que personnes concernées ou non, vient toujours des expériences personnelles, soit de ce que tu as vécu dans ta chair, soit de tes proches, des gens qui comptent pour toi, et qui font que tu as envie de te soulever.

Votre parcours m’évoque une question qui traverse l’ensemble de ces entretiens sur le militantisme et l’engagement, qui consiste à se demander, en substance, si les concernés ont toujours raison ? Et cela vaut aussi pour les prisons, l’hôpital… 

Très bonne question. Je ne dis pas qu’ils ont toujours raison, mais en tout cas, il faut que leur parole soit d’une manière ou d’une autre prise en considération pour tout ce qui les concerne, justement. Et c’est vrai que moi, dans tous les projets collectifs auxquels j’ai participé, il y avait toujours une partie avec des membres, des usagers. Je pense à mon passage au MOC, où je travaillais avec des membres, que ce soient des apprenants, ou d’autres cadres de la boîte. Mais les personnes concernées étaient toujours présentes, leur parole toujours prise en considération. Je pense que c’est fondamental quand même. Mais c’est vrai que pour les prises de décisions, ça n’est pas toujours la même chose. 

Après, concernant l’engagement en tant que personnes concernées ou non, les sujets que l’on investit viennent toujours, je crois, des expériences personnelles, soit de ce que tu as vécu dans ta chair, soit de tes proches, des gens qui comptent pour toi, et qui font que tu as envie de te soulever. C’est comme ça que j’ai eu l’occasion d’aller travailler un peu dans les pays en développement, que j’ai travaillé à l’accueil des demandeurs d’asile à la Croix-Rouge, tout ce qui était migration, mineurs étrangers non accompagnés, à l’Agence Alter, sur tous les sujets, minorités visibles, comme on dit au Québec.

C’est ça. Et inversement, les personnes qui ne sont pas concernées ne sont pas forcément illégitimes à avoir un avis sur ce qui concerne les personnes concernées… 

Tout à fait. Je vais prendre un exemple très concret. Avec le Smes, et le Forum de lutte contre les inégalités, on organise une journée commune sur les savoirs expérientiels. On fait un comité de pilotage pour préparer, il y a des pairs-aidants dans l’organisation, mais aussi d’autres personnes, notamment du Réseau Nomade, qui implique des gens qui ont tous fait les formations en -ogue : anthropologue, sociologue, politologue… Et je me disais, c’est super intéressant d’avoir un éclairage de quelqu’un un peu d’extérieur qui vient avec sa casquette, plus orientée chercheur. Le Forum, c’est beaucoup ça, c’est beaucoup de « théoriciens ». Et nous, on vient avec notre vivier de pairs-aidants, de gens un peu de tout secteur, de tout milieu. L’un se nourrit de l’autre. 

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Dans le milieu du militantisme, une double tendance demeure : un anti -intellectualisme et un surinvestissement intellectualiste. Par contre vous parlez de « savoirs expérientiels ». Là, semble cohabiter savoir et expérience, sans rivalité ou hiérarchie ?

On promeut complètement la complémentarité des savoirs, et donc les savoirs expérientiels qu’ils soient d’« experts du vécu », qu’ils travaillent dans une administration pour remonter les problèmes du citoyen, ou des pairs-aidants en santé mentale, addiction ou travailleurs du sexe, c’est complémentaire avec toutes les nombreuses recherches qui sont effectuées sur la pair-aidance, que l’on va chercher à travers toute la francophonie. Par exemple, on participe à des programmes Erasmus+, qui fait qu’un collègue va rencontrer nos homologues à Montréal. Et c’est super. Pour nous au Smes, au projet « PAT », notre Projet Peer and Team Support, c’est vraiment important qu’il n’y ait pas de supériorité d’un savoir sur l’autre, mais de se nourrir de ce que l’autre nous apporte. Bien sûr, tout le monde n’est pas aussi ouvert.

Et puis on oublie un peu trop souvent que chez les pairs-aidants, il y en a plein qui ont fait des études aussi ! Même si ce n’est pas quelque chose qu’on va forcément mettre en avant ou en concurrence, il n’y a rien de plus qui m’horripile quand j’entends qu’on adapte son jargon ou son vocabulaire ! Ce n’est pas dans le chef de tout le monde heureusement, mais on est régulièrement face à ce paternalisme, cette infantilisation.

Le milieu de la recherche comme du militantisme est très attentif aux mots que l’on utilise, leur caractère polémique ou consensuel, les positionnements des uns et des autres. Vous avez dit n’être pas très intéressé par ces débats, néanmoins un terme important revient régulièrement qui mérite un éclaircissement : le rétablissement. Qu’est-ce qu’il recouvre ?  

Ce n’est pas un terme qui me convient personnellement parce que ça renvoie souvent aux injonctions au rétablissement. On est dans un monde où il faut toujours aller bien… Je n’aime pas tous ces discours autours de l’happycratie, qui fait que si tu ne vas pas bien ou si tu rechutes, c’est comme si tu sortais du rétablissement. Tous ces discours autour du développement personnel, ça me gave. Après, c’est vrai que c’est un outil du pair-aidant, et que c’est un terme utilisé dans la littérature, on parle d’équipes « orientées rétablissement ». En tout cas le rétablissement pour un pair-aidant, c’est avant tout un chemin sinueux, qui n’est pas linéaire, qui n’est pas figé, où il peut y avoir des rechutes… qui font partie du rétablissement. Cela peut devenir des expériences, des outils que tu accumules et qui vont pouvoir être au service de tes pairs. 

Le « rétablissement », pour un pair-aidant, c’est avant tout un chemin sinueux, qui n’est pas linéaire, qui n’est pas figé, où il peut y avoir des rechutes… qui font partie du processus de rétablissement.

Et aussi, de quoi est-on rétabli ?

Exactement, est-ce qu’on est rétabli et de quoi on se rétablit ? C’est toujours la question. Par exemple, mon rétablissement, je l’associe au fait de ne plus être en colère. Ça, c’est ma définition personnelle du rétablissement. Pour d’autres, ça va être autre chose. Parfois, récupérer leur capacité d’agir, de l’empowerment, etc., même si tous ces mots-là, je ne les aime pas, il y a toujours cette injonction aux résultats derrière. 

Comment gérer cette injonction au résultat, cet accompagnement dont on devine qu’il implique une forme de rétablissement, donc d’efficacité et son propre engagement ?

Il faut rappeler qu’il y a des choses qui ne nous appartiennent pas. Par exemple, on tient une permanence à la clinique Saint-Pierre à Ottignies, avec des patients bipolaires, on fait des entretiens de pair-aidance individuelle. Moi, je donne tout ce que je peux donner de ma personne pendant les 45 minutes d’entretien, mais après ça ne m’appartient pas si la personne prend ou pas les outils, les conseils. Mais par contre oui, je suis pour être efficace dans le sens d’engranger des résultats, même petits. Mais des résultats pour la personne que l’on a en face, pas pour moi, pas pour le Funambule, pour nos statistiques. Ce n’est pas ça le problème. Et puis si la personne n’est pas demandeuse, c’est ok aussi. Il m’a fallu du temps pour accepter que certaines personnes, à certains moments, ne soient pas demandeuses. Et c’est ok si elles rechutent, ça fait partie du processus.

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Est-ce efficace pour contrer les tendances à l’épuisement, voire au burn-out militant, qui peuvent toucher les personnes très engagées, très investies ? 

On a on a régulièrement des burn-out militants ou de volontaires au Funambule, parce qu’on est toutes des personnes très investies. Si nous mettons tout en place au Funambule pour essayer d’offrir des espaces de supervision, d’être à l’écoute, maintenant je crois aussi que c’est à chacun de travailler pour arriver à laisser le boulot derrière soi. Mais il y a des volontaires qui ont des difficultés à faire la part des choses, et s’épuisent. Cela dit, les risques psychosociaux sont d’autant plus pris en compte du fait de notre sensibilité. L’avantage du Funambule, comme on est tous bénévoles et volontaires, c’est d’être dans la bienveillance. On a tout intérêt à prendre soin les uns et les autres. Un épuisement, ça arrive, et c’est important de prendre tout le temps nécessaire pour se refaire une santé. Ensuite, la personne revient, ou pas. Mais on est très attentif au bien être des travailleurs. Ce n’est pas parce que ce sont des bénévoles que ce ne sont pas des travailleurs. 

Cet engagement dans le « social-santé » vous amène à vouloir vous rapprocher du monde politique ?

En réalité, on n’attend rien du politique – je parle ici de Funambule. Surtout, on n’a pas non plus les forces vives suffisantes, et ce n’est clairement pas notre objet social, qui est d’être avec les gens à travers des groupes de parole. Alors, concernant notre versant politique, on fait un peu de plaidoyer à travers nos articles, les documentaires auxquels on participe, ou aux émissions tv-radio, quand on est conviés. Mais pas plus. Par contre on est membre de la LUSS, la Ligue des usagers de services de santé. Eux ont clairement des salariés dédiés au plaidoyer politique. Donc on aborde la part politique de ces questions à travers une fédération, parce que nous on est trop petits.

Merci pour cet entretien qui apportera de l’eau au moulin de celles et ceux qui souhaitent s’intéresser réellement à ces questions !

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