Comprise comme une “maison de savoir”, l’école est un lieu de passage, c’est une étape dans la vie des humains qui constituent notre société. En tant que telle, l’école peut, devrait, être hospitalière. Mais l’école telle que nous la connaissons, telle que notre histoire l’a produite peut-elle obéir aux lois de l’hospitalité ?
Pour répondre à cette question, prenons quelques éléments simples qui constituent le rapport d’hospitalité :
Un premier élément concerne la liberté de l’étranger. L’invité, celui que l’on reçoit, est de passage, une fois arrivé, il est libre de partir à tout moment, mais plus important encore, de prendre le chemin qui lui plaira. Un second élément, qui concerne lui aussi le statut de l’invité, est que même s’il est totalement étranger, il est accepté comme un tout. L’autre est inconnu et il est reçu et accepté en tant que tel. Si l’hospitalité suggère une certaine réciprocité, même indirecte, c’est que l’on suppose au fond que les hôtes sont égaux. Troisième élément, l’hôte, celui qui reçoit, est le maître de sa maison. Si en recevant l’étranger il peut éventuellement prendre un risque, s’il accepte de voir son environnement modifier, il n’en reste pas moins le seul maître à bord. L’acte hospitalier n’a de sens que si l’on ouvre la porte de sa propre demeure ou du moins d’un “chez soi”, dans les limites que l’on a soi-même fixé, à l’étranger. [voir encadré]
Ces trois exigences de l’hospitalité peuvent-elles s’accorder avec les réalités de l’institution scolaire ? Pour en avoir une certaine idée, Il nous suffit d’appliquer ces principes dans le cadre de l’école afin d’en révéler la nature.
Premièrement, concernant la liberté de parcours, outre le fait que l’enseignement soit obligatoire,[1] et que dans la plupart des cas l’enfant soit obligé d’être en classe tous les jours et ce jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, ce qui fait de lui une sorte de prisonnier, il est également soumis à l’orientation tant dans son parcours scolaire que dans son parcours professionnel. Toutes les politiques scolaires s’entendent sur la mission formatrice / qualifiante de l’école, les décideurs et derrière eux les experts et leurs électeurs forgent un consensus sur la nécessité d’être adapté au marché du travail en sortant de l’école. Ce qui réduit considérablement la liberté de ce voyageur temporel qu’est l’élève, tant il est tenu de s’intégrer dans un système donné.
Deuxièmement, l’enfant lorsqu’il arrive à l’école est considéré dans une large mesure comme un incapable, pas totale- ment responsable, qu’il s’agit d’élever. Il n’est pas considéré comme un tout, un être à part entière mais plutôt comme un être partiel à qui il manque un bagage que l’école va lui fournir. Si lorsque l’on demande l’hospitalité, il peut y avoir une motivation liée au besoin fondamental de se nourrir et de se reposer, dans le cadre scolaire, ce besoin est moins évident dans le chef de l’enfant qui, s’il est généralement curieux et avide d’apprentissage et d’expériences, ne ressent pas forcément l’école comme un besoin. La relation asymétrique qui lie l’hôte à l’invité n’empêche pas l’un et l’autre de se considérer comme égaux. Dans l’école, l’asymétrie réelle de la relation entre le maitre et l’élève cède volontiers la place à une relation simplement inégalitaire.
Troisièmement, l’hospitalité suppose que celui qui reçoit soit maître chez lui. Un maître de maison doit pouvoir disposer de son foyer selon ses propres règles afin de recevoir l’étranger. A l’école, l’enseignent n’est pas le maître de maison, le directeur non plus, il obéit a des règles qu’il n’a pas fixées lui-même. La place que va y tenir l’élève tout comme la sienne sont fixées par avance dans un R.O.I ou un décret.
Voici donc trois éléments incontournables qui semblent faire obstacle à une nature hospitalière de l’école. Mais ne nous arrêtons pas à un constat fataliste d’une école condamnée à rester inhospitalière et essayons plutôt d’envisager ce qu’impliquerait une école libérée de ces obstacles à l’hospitalité.
Un élève qui reste libre de son parcours aussi bien durant sa scolarité que par la suite remettrait en question tous les dispositifs d’orientation et par là même les mécanismes de sélection mais aussi jusqu’au principe d’obligation scolaire tel qu’il est communément admis.
Un élève qui est l’égal de son enseignant, unis dans une relation au savoir où la réciprocité de l’apprentissage l’emporte sur le respect d’un statut. Où le rôle de l’enseignant ne se borne pas à inculquer un savoir déterminé et à faire observer une certaine discipline mais à contribuer à faire de l’élève son égal.
Une école que peut habiter aussi bien l’enseignant et l’élève qui y est reçu, ou l’un comme l’autre jouisse d’une autonomie indispensable à l’élaboration d’un vivre ensemble. Une maison où il est possible d’être reçu par ses habitants qu’ils soient enfants ou adultes.
Si ces obstacles à l’hospitalité peuvent être dépassés, il est moins sûr que ce qui en résulte puisse toujours s’appeler une école. Mais qu’est-ce qui importe le plus, entretenir l’école coûte que coûte ou bien assurer par les meilleurs moyens la transmission des savoirs et l’émancipation autonome des individus ?
Les valeurs laïques que nous portons sont davantage des moteurs pour l’action et la réflexion que des objectifs à atteindre. Cette démarche vaut pour l’école comme pour le reste de la société. Si l’action politique est soumise à nombre de contraintes et de compromis, la pensée quant à elle, ne doit se soumettre à aucun dogme ou idée préconçue.
[1] En Belgique l’enseignement est obligatoire, mais l’école reste théoriquement une option parmi deux pour satisfaire cette obligation