Depuis quelques années les politiques urbaines se cherchent un nouveau souffle, bousculées par les crises (climatiques et sanitaires) et dans un contexte politique et démocratique mouvementé. Face à la difficulté actuelle à répondre aux enjeux de notre époque, à projeter un horizon clair, face aussi à la polarisation croissante des acteurs, et aux divers blocages, un groupe de personnes s’est réuni en 2021 pour chercher activement une alternative, avec en ligne de mire les élections régionales de 2024. Leitmotiv ? Faire la ville autrement !
Composé principalement d’architectes et urbanistes dans un premier temps, ce groupe a publié une carte blanche dans le journal Le Soir le 11 novembre 2021 (texte « Faire la ville autrement »). Parallèlement et dans la foulée, d’autres groupes se formaient, réfléchissaient, écrivaient eux aussi dans la presse, notamment cette autre opinion, publiée dans le même journal Le Soir, intitulée « Pour Bruxelles Ville Vivable » et qui insiste sur l’urgence climatique, l’enjeu de la rénovation et de la préservation des espaces verts dans la ville. De ces deux textes et groupes notamment sont nées les envies de joindre les énergies et points de vue, en ce compris dans ce qu’ils peuvent avoir de différents, et d’utiliser ces cartes blanches comme démarrage d’un travail de fond plus largement partagé avec le public, les habitants, les administrations, les décideurs. L’idée : creuser la situation et aborder une série de questions urgentes ; qui fait la ville ? Où se mène le débat sur les enjeux du territoire ? Pour qui fait-on la ville ? Quelle est la place des habitants ? De quel dialogue avons-nous besoin ?
Ces contributions ont été le prélude à un moment collectif visant à ouvrir le débat, pour tenter d’esquisser une nouvelle dynamique. Ce forum s’est déroulé le 22 novembre 2022 au BRASS (Centre Culturel de Forest). Environ 110 personnes se sont réunies et ont discuté d’une série de sujets. Présenté autour du thème “dialogue sur la ville”, le forum représentait le premier moment d’une réflexion collective, invitant les Bruxelloises et les Bruxellois à définir les prochaines étapes en fonction des enjeux, réalités et perspectives jugées importantes. Suite à cet événement, une synthèse a été réalisée et envoyée au public, reprenant les principales réflexions soulevées.
Nous reprenons, dans les paragraphes qui suivent, les grandes lignes du contenu très riche qui a émergé de cette séquence de réflexion collective.
Dans quelle ville veut-on vivre ?
Comme indiqué dans le texte Faire la ville autrement, ce qui préside à la transformation des villes est toujours le reflet d’une époque, des urgences du moment. Pour faire évoluer la ville et être à la hauteur des enjeux, la gouvernance urbaine doit se renouveler en permanence. Cela s’est produit dans les années 1990 après des décennies de bruxellisation (période des Contrats de quartier), puis à nouveau dans les années 2000, créant de nouveaux outils renforçant la capacité des autorités à agir sur le territoire (bouwmeester, agence d’urbanisme, aménageurs publics). Aujourd’hui, de nouveaux enjeux obligent à rebattre les cartes. La combinaison des crises sanitaire et climatique et les inégalités flagrantes de cadre de vie ont amené les urbains, plus que jamais, à interroger leur rapport à la ville. Un vent nouveau souffle et accélère une transition qui était déjà en route : on a vu émerger ces dernières années quantité d’initiatives, comités, associations, toujours plus impliqués. Tous posent une question centrale, légitime aujourd’hui : dans quelle ville veut-on vivre ?
Le texte souligne l’impasse dans laquelle semble être la réflexion sur la ville. Il devient de plus en plus difficile de savoir comment sont fait les choix, par qui, et comment les citoyens peuvent faire entendre leur voix. La tension monte et les positions des groupes d’action, des résidents, des administrations et des promoteurs se polarisent. Cette situation ne permet pas de réfléchir ensemble à la ville de demain, au contraire, elle laisse la place à une tendance conservatrice de plus en plus marquée. Bruxelles devrait rester un petit village figé au 19e siècle. La ville pétrifiée comme la présentait un célèbre dessinateur de BD.
Or, les villes doivent s’adapter en intégrant les enjeux de notre époque. La réponse aux crises que nous vivons est urgente. Ce momentum offre une opportunité unique de construire ensemble un nouveau projet de ville, positif et tourné vers l’avenir. Lors du forum, de nombreuses voix se sont élevées pour souligner l’importance de construire un nouveau récit commun, pour les prochaines décennies, en commençant par une collecte d’histoires liées à la ville, dans sa diversité. Pour faire la ville autrement il faut démarrer par donner la parole aux Bruxelloises et aux Bruxellois, dans toute leur diversité, et non pas uniquement à celles et ceux qui se mobilisent. Quel rapport ont les jeunes des quartiers avec leur ville ? Comment un enfant envisage-t-il son rapport à l’espace ? Quel regard portent les personnes âgées sur l’évolution de la ville ? Ces prises de parole pourraient nous aider à changer de paradigme. Partir du vécu de chacun, de nos expériences personnelles, comme éléments concrets permettant d’esquisser un nouvel horizon.
Quel rôle pour les acteurs ?
Dans cette nouvelle vision d’avenir, le rôle des acteurs doit être clarifié. La carte blanche partait du constat que chaque acteur du système se trouve aujourd’hui dans une position inconfortable. Elle pointe la faiblesse de la gouvernance urbaine actuelle, où les politiques ont souvent du mal à défendre leurs positions. Toute contestation rebat les cartes et il est de plus en plus difficile de mettre en œuvre des plans ou projets pourtant approuvés. Pour l’urbanisme, très ancré dans le temps long, c’est une véritable catastrophe. La participation citoyenne devient un alibi, et les procédures, interminables. Les habitants ne savent pas toujours où s’informer correctement, se sentent souvent instrumentalisés, et surtout, rarement entendus. De leur côté, les professionnels de la ville sont bien démunis et sont souvent réticents à entrer véritablement dans l’arène, au risque d’apparaître distants, trop techniques et déconnectés des réalités de terrain.
D’une certaine manière, c’est tout l’écosystème des acteurs urbains qui est dysfonctionnel aujourd’hui. Cette situation a été largement commentée lors du forum, où il était intéressant de constater le degré de fatigue et de frustration chez des acteurs pourtant très différents (habitants comme gestionnaires publics). Plusieurs ont souligné la valeur positive de la mobilisation des citoyens, plus forte que jamais, tout en constatant la faiblesse de leur poids réel dans les décisions finales. Pour éviter que tout le monde ne s’épuise dans des processus mal calibrés, certains ont donc appelé à revoir le fonctionnement global du système en renouvelant la démocratie. Car la crise urbaine est une crise démocratique. Il s’agit d’impliquer les citoyens plus en amont, réinventer les modes de dialogue, et le rôle des acteurs : des politiques qui intègrent les enjeux à long terme, des architectes qui construisent avec les habitants, etc. La future réforme du COBAT (Code bruxellois de l’Aménagement du Territoire, qui cadre les procédures d’octroi des permis d’urbanisme) doit pouvoir intégrer certains de ces principes.
Réanimer le débat sur la ville
Ce nouvel écosystème se construira sur la durée, car faire la ville (autrement) prend du temps. Dans les contributions et lors du Forum, plusieurs personnes pointaient également l’absence d’un cadre, d’un lieu, pouvant réunir ces acteurs diversifiés, amenant du pluralisme et un vrai débat.
La carte blanche évoquait une piste à creuser : celle de la transformation du CIVA (Centre International pour la Ville et l’Architecture) en un lieu d’actions, d’expérimentations, de réflexions, de rencontres, de fêtes, qui sort dans les quartiers, où la diversité de la population bruxelloise peut s’exprimer, où les questions urbaines clefs peuvent être objectivées, discutées, pour faire évoluer les pratiques. Ainsi le CIVA, également présent lors du Forum, pourrait profiter de son futur déménagement dans la Fondation Kanal afin d’élargir ses activités et se transformer en un lieu d’éducation permanente aux enjeux de la ville, un lieu où l’on apprend ensemble à faire la ville autrement. Les sources d’inspiration ne manquent pas : Arc en rêve à Bordeaux, Stadsform à Anvers, Pavillon de l’arsenal à Paris…
Cette idée de donner un nouveau cadre pour accueillir les acteurs permet de situer l’enjeu actuel dans une histoire urbaine marquée par de très nombreux projets « top down » et une réaction à ces dynamiques dans la richesse du tissu associatif « bottom up ». Ces deux dynamiques ont aujourd’hui tendance à s’éloigner, alors qu’il faudrait les remettre autour de la table. Il s’agit donc de trouver un nouvel équilibre pour réanimer le débat sur la ville.
Le forum du 22 décembre dernier constituait un exemple de ce que pourrait être un tel dialogue renouvelé, réunissant des citoyens, associations, architectes, urbanistes, artistes, académiques et institutionnels. Néanmoins, il a été noté qu’il faudra élargir encore à un public plus hétérogène, en diversifiant les formats, en sortant dans les quartiers.
Horizon 2024, puis 2030
La suite du processus reste à construire. Elle sera ce qu’on en fait collectivement. À ce stade, il est proposé de continuer dans ce format d’initiative bénévole, en multipliant les petits moments d’échanges ouverts à tous, dans des formats très diversifiés, avec des acteurs très variés : jeunes ados, personnes âgées, enfants, etc. Il s’agit de se décentrer, tenter de construire ces récits de ville, faire le pari de la confiance au lieu de la défiance, aller au contact, sur le terrain, dans les quartiers, dans la rue. Au fil de l’année et de ces moments, peut-être arriverons-nous à esquisser les contours d’une vision renouvelée de la ville ? Alors il sera temps à nouveau de partager ce contenu tous ensemble, et baliser le terrain, en vue des élections de 2024 (communales, régionales, fédérales), puis de contribuer à ce nouvel horizon culturel de 2030 (capitale culturelle européenne).
Nous sommes convaincus que tous ces acteurs peuvent construire et défendre la ville qu’ils veulent demain, plutôt que le maintien de la ville d’aujourd’hui ou la reconstitution de celle d’hier. Car personne ne veut d’une ville qui doit faire le choix entre une densification folle et une pétrification, le monde n’est pas noir ou blanc. Dans une société de plus en plus complexe, il faut revendiquer la nuance, élever le niveau et créer un contexte culturel plus favorable à la production de la ville de demain.
Si vous êtes intéressés à participer aux prochaines étapes, envoyez-nous un mail à nhemeleers.use@gmail.com