ÉCONOMIE : TROUBLANTE CONTINUITÉ

par | BLE, Economie, MARS 2019, Politique

La coalition fédérale rassemblant les partis libéraux du Nord et du Sud du pays sous Michel 1er devait laisser le communautaire de côté pour plutôt prioriser le redressement économique et financier du pays. Au terme de cette législature, l’heure est au bilan. Et l’on constate que la Belgique stagne. À en croire la Commission Européenne, le mal qui ronge l’économie belge est son inertie politique.1 Et ne pas agir, c’est un choix.

L’INERTIE EN QUELQUES CHIFFRES OU HYPOTHÈSE DE LA CONTINUITÉ EMBARRASSANTE

Pour soutenir l’affirmation selon laquelle c’est l’inertie politique qui freine le développement économique de la Belgique, intéressons-nous à l’évolution de quelques indicateurs macroéconomiques. D’abord, le ratio dette-PIB (produit intérieur brut), c’est-à-dire à quel pourcentage du PIB annuel équivaut la dette d’un État. Durant les années qui suivirent la crise de 2007-2008, la plupart des pays ont enchaîné les déficits budgétaires pour stimuler l’économie qui était alors en récession. Ces emprunts massifs ont fait bondir la dette des pays et comme l’économie ne connaissait pas de croissance, le ratio dette-PIB a monté en flèche, notamment en Belgique. Le tableau 1 montre l’évolution de ce ratio depuis 2007.

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Le graphique montre la détérioration du ratio dette-PIB pour la Belgique entre 2007 et 2014. Après cette date, c’est-à-dire pendant la législature Michel 1er, le pourcentage a diminué, mais très peu, juste en-deçà du cap psychologique des 100%. C’est l’un des rares points positifs de cette législature que d’avoir diminué la dette et ainsi le pourcentage du budget annuel alloué au service de la dette, c’est-à-dire au seul paiement des intérêts de celle-ci. Cependant, plutôt que d’utiliser cette marge de manœuvre pour financer des services publics, le Gouvernement a préféré offrir des allégements fiscaux pour soi-disant stimuler l’emploi. Mais comme le suggère un autre article dans ce numéro, “Le Gouvernement contre les salaires”, ces cadeaux fiscaux n’ont pas résulté en investissements importants dans l’économie réelle, mais plutôt en une hausse des dividendes des actionnaires. Concrètement cela veut dire que la coalition fédérale a passablement réussi dans la création de richesse et qu’en raison de choix idéologiques, celle-ci a profité essentiellement à quelques privilégiés plutôt qu’au grand nombre.

Nous savons par exemple que l’Indice de Développement Humain (IDH) de la Belgique a suivi la même courbe qu’il suit depuis des années pour maintenant se situer à 0.92, ce qui place la Belgique au 26e rang mondial en 2018. Parallèlement à cela, le PIB par habitant (PPA) a aussi augmenté de manière stable au cours des dix dernières années. Il était de 38 002 en 2009, puis de 44 601 en 2009, et de 50 562 (selon les estimations) pour 2019.3 C’est donc dire que sur cette période de dix ans, l’espérance de vie et la moyenne des années de scolarité escomptées dans la population ont cru proportionnellement à la création de richesse en Belgique Il y a à ce niveau une continuité évidente.

Là où le bât blesse selon l’opposition, c’est qu’entre 2007 et 2014, la Belgique affichait une élasticité “emploi-PIB” de 0,71. Autrement dit, une hausse de 1% du PIB générait une augmentation de 0,71% de l’emploi. Sur la période 2014-2017, cette élasticité est retombée à 0,44”.4 En d’autres termes, cela confirme l’hypothèse selon laquelle le peu de richesse comparative créée par la Belgique durant la reprise ne s’est pas traduite par de la création d’emplois, a fortiori de bons emplois à temps plein. Il faut donc être très prudent lorsque le Gouvernement fait son propre bilan et avance des chiffres. Il est important de comparer ceux-ci avec ce que l’on observe dans d’autres pays et de croiser les variables entre elles pour obtenir un portrait plus juste de la situation économique du pays au terme de la législature. À la défense du Gouvernement, notons que le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités sociales, est demeuré stable en Belgique au cours des dernières années, selon le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale.5 Un indice qui révèle une continuité avec les précédents Gouvernements, mais est-ce vraiment ce que l’on nous avait promis ?

C’est précisément cette continuité arithmétique qui est inquiétante. L’IDH est un index composé d’indicateurs comme l’espérance de vie et le niveau moyen d’éducation dans un pays. Il est très utile pour analyser l’évolution des politiques de redistribution de la richesse lorsqu’on le croise avec d’autres indicateurs comme le PIB par habitant. Pour le dire de manière simple, il nous permet de voir si la croissance du PIB se traduit par une amélioration des conditions de santé et de l’éducation d’une population. Il permet également de comparer des pays ayant un PIB par habitant semblable dans leur manière de redistribuer ou non la richesse. Le tableau 2 montre l’évolution de l’IDH en Belgique depuis le début des années 2000, en comparaison avec ses voisins.

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C’est précisément cette continuité arithmétique qui est inquiétante. L’IDH est un index composé d’indicateurs comme l’espérance de vie et le niveau moyen d’éducation dans un pays. Il est très utile pour analyser l’évolution des politiques de redistribution de la richesse lorsqu’on le croise avec d’autres indicateurs comme le PIB par habitant. Pour le dire de manière simple, il nous permet de voir si la croissance du PIB se traduit par une amélioration des conditions de santé et de l’éducation d’une population. Il permet également de comparer des pays ayant un PIB par habitant semblable dans leur manière de redistribuer ou non la richesse. Le tableau 2 montre l’évolution de l’IDH en Belgique depuis le début des années 2000, en comparaison avec ses voisins.

On voit bien que cette évolution a été stable en Belgique et que le Gouvernement sortant s’inscrit dans une continuité statistique. Le niveau de vie des Belges a évolué à la même vitesse durant la période de reprise européenne 14-19 que pendant la gestion de crise 09-14. Cela rend encore plus plausible l’hypothèse selon laquelle le couple MR-NVA n’a pas réussi sur le plan économique, du moins pas comme il l’avait
annoncé pour justifier sa légitimité d’accéder au pouvoir. Ainsi, on comprend mieux la critique de la Commission Européenne à l’égard de la Belgique, en pointant notamment le manque structurel d’investissement en éducation (si l’on compare avec les
Pays-Bas, par exemple). Évidemment, les conséquences des politiques s’observeront dans quelques années et nous devrons refaire l’exercice pour vérifier l’hypothèse de la continuité embarrassante, mais on peut déjà avoir des doutes quant à un éventuel impact positif à long terme de la gestion financière et politique de cette suédoise. Cela contribue à alimenter le cynisme chez ceux, de plus en plus nombreux, à croire en l’impuissance du politique dans le jeu de la mondialisation.

LA GUERRE AUX “CHARGES” SOCIALES

La guerre aux soi-disant charges sociales ne crée pas d’emploi, c’est totalement faux.
Du moins dans le cas de la Belgique. Il est évidemment difficile de ventiler le nombre total d’emplois créés durant la dernière législature qui soit imputable aux politiques économiques très libérales (par rapport au nombre moyen d’emplois créés chaque année, par rapport au contexte européen et international, par rapport aux politiques des Gouvernements précédents, etc.).

Cela dit, si l’on se fie aux données d’une étude de 2018, le Benchmarking Working Europe (ETUI), on peut tout de même raisonnablement avancer l’hypothèse selon laquelle la précarité liée à l’emploi (taux d’occupation dans les 12 derniers mois, données de 2016) n’a pas baissé depuis 2005. Elle a au contraire augmenté depuis une légère baisse en 2010.7 Pour vulgariser, c’est donc dire qu’il n’y a aujourd’hui (du moins en 2016) plus de gens qui s’émancipent par le travail en Belgique. Le constat est le même chez les associations qui travaillent avec un public précaire : paupérisation et même sans-abrisme sont en hausse à Bruxelles.8

À l’intérieur du pays, la Flandres connaît une croissance et un taux d’emploi plus forts qu’à Bruxelles. Ainsi, si une région du pays connaît une amélioration alors que l’ensemble du pays est sur une continuité statistique, les autres régions voient leurs populations être précarisées – toutes choses étant égales par ailleurs. Nous pouvons donc avoir des doutes sur cette méthode et demeurer dubitatif sur les résultats. La Belgique n’est pas “plus compétitive” malgré que l’on justifie des politiques libérales avec cet argument. La baisse des charges sociales ne stimule pas l’économie, elle se traduit plutôt par une croissance des dividendes versés aux actionnaires privés.

Plus encore, la guerre aux charges sociales est contre-productive. D’abord, parce qu’il ne s’agit pas de “charges”. Cette fraude sémantique s’appuie sur une fausse idée qui est celle de voir ces charges comme des “dépenses”. Bien sûr elles sont calculées dans la colonne des dépenses des entreprises, mais elles sont aussi comptabilisées dans le calcul du PIB annuel. Or, le type de dépenses faite dépend d’un choix social dans l’organisation du financement, de la production et de la distribution des biens et services. Par exemple, défiscaliser les salaires pour remplacer la solidarité sociale par le marché est un choix. Est-ce que cela rend la Belgique plus prospère ? À voir les statistiques sur l’évolution des salaires, de la précarité et du niveau de vie, nous avons de bonnes raisons de croire que non.

Le fait d’isoler une variable, comme le pourcentage des cotisations sociales sur le salaire, ne nous informe sur rien d’autre qu’une valeur nominale parmi d’autres. Pour comprendre la compétitivité, il faut regarder du côté de la productivité et croiser cette variable avec d’autres pour avoir le coût réel du travail, mais aussi du rendement de ce dernier. La question de savoir si le taux de cotisation sociale est raisonnable ou non pose en fait celle de savoir comment augmenter la productivité ? Une piste de solution classique à cette question est en investissant en éducation et en infrastructures. Ce que la Commission Européenne reproche à la Belgique de ne pas faire suffisamment. Cela dit, le reproche devrait être d’avoir réduit la part des cotisations sociales des employeurs, cadeaux qui se sont retrouvés dans les poches des actionnaires, plutôt que d’avoir maintenu les taux pour investir en infrastructures et en éducation, ce qui aurait pour effet d’augmenter la productivité. Sans entrer dans la guerre de chiffres qui oppose les syndicats au Gouvernement, nous pouvons affirmer de manière générale que les cadeaux fiscaux créent une pression sur les institutions qui sont les leviers mêmes de la productivité. C’est pourquoi, nous nous retrouvons dans un équilibre économique sous-optimal, phagocyté par les stratégies extractivistes des grandes entreprises qui n’assument pas leur juste part de la coopération sociale. L’État ne devrait pas céder et plutôt investir, puisqu’il s’agit bien d’investissements et non de bêtes “dépenses”, ces sommes pour accroître le niveau de vie et ainsi, la productivité. Ce serait dans l’intérêt de tous.

CONCLUSION

En somme, le Gouvernement fédéral sortant s’inscrit dans la continuité au niveau économique, et ce, malgré un libéralisme décomplexé qui promettait de propulser l’économie du pays vers des sommets. Les critiques de la Commission Européenne arrive au moment du bilan et c’est gênant pour un Gouvernement qui doit défendre un bilan de législature qui avait pour pierre angulaire la création de richesse. L’avenir nous dira si les ambitions du Gouvernement fédéral sortant seront légitimées par le résultats des prochaines élections et le futur accord de Gouvernement. Pour le moment, nous avons de quoi être inquiets face à la faiblesse de l’économie belge en contexte de reprise et de croissance généralisée. Croire que les minces marges de manœuvre dégagées durant le dernier mandat permettront à la prochaine législature d’augmenter le niveau de vie des Belges relève pour l’instant d’une profession de foi.


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