Revendication historique du Centre d’Action Laïque (CAL) depuis les années 70, la dépénalisation de l’IVG s’est réinvitée dans le débat public en 2015 grâce à une large campagne “#ivghors- ducodepenal” menée pendant trois ans. En effet, suite à la recrudescence de menaces et d’entraves diverses à un droit qui semblait désormais acquis, une série d’associations (le CAL, les fédérations de centre de planning familial, des associations féministes) se sont mobilisées afin de sortir l’IVG du Code pénal, d’en faire un véritable acte médical et non plus un délit contre “l’ordre des familles et la moralité publique”.
Cette campagne entamée pile vingt-cinq ans après le vote de la loi Lallemand- Michielsens, a rencontré un large soutien de la population, du corps médical et des partis politiques progressistes. On en veut pour preuve le dépôt, dès 2016, de six propositions de loi au Parlement fédéral portées par DéFI, le PS, ECOLO GROEN, le PTB, le sp.a et l’Open VLD.
Dès avril 2018, suite à un sondage commandé par le CAL[1] démontrant que la majorité de la population en Belgique souhaitait transférer l’IVG dans une loi médicale, le dossier fut enfin mis à l’ordre du jour de la Commission Justice de la Chambre. De nombreux experts furent auditionnés en juin et juillet (médecins, gynécologues, philosophes, associations de femmes, personnel de centres de planning familial, etc.). Pour la toute grande majorité d’entre eux, la sortie de l’IVG du Code pénal était une évidence. Tous plaidèrent également pour aller plus loin dans les modifications à apporter au texte, comme, par exemple, une prolongation du délai pour pratiquer une IVG, la diminution du délai de réflexion, la suppression de l’état de détresse de la femme et des sanctions pénales.
Pourtant, après avoir balayé les 37 amendements présentés par l’opposition, la proposition de loi rédigée et votée le 4 octobre par les députés issus des partis formant la majorité Gouvernementale (MR, Open VLD, CD&V, N-VA) avec le soutien du CDH n’a pas du tout répondu aux attentes du terrain et des femmes en particulier.
En effet, après de longues tergiversations, ces partis ont déposé, in extremis, un texte pour “sortir l’IVG du Code pénal” en parallèle du texte de consensus qu’avaient déposé le PS, DéFI, Ecolo-Groen, le sp.a et le PTB. À y regarder de plus près, à part quelques améliorations à la marge, leur texte ne dépénalise en rien l’IVG, puisqu’il prévoit toujours des sanctions pénales pour la femme et pour le médecin si une seule des conditions de l’article 2 de la loi n’était pas respectée. Par exemple, le médecin encourt une peine de prison et une amende pouvant aller jusqu’à 4000 euros s’il ne rappelle pas à la femme les possibilités d’accueil de l’enfant à naître ! Condition pourtant décriée par l’ensemble des experts comme “paternaliste”, “hors sujet”, “obsolète” et “non appliquée sur le terrain”.
Plus fondamentalement, cette loi passe à côté de l’essentiel : elle maintient un délai de six jours de réflexion obligatoire sauf “raison médicale urgente”. Outre le fait que ce terme est flou, la majorité des experts a souligné la violence que ce délai pouvait représenter pour les femmes dont la décision est déjà prise avant la première visite médicale.
Alors que l’allongement du délai légal pour avorter a occupé une grande partie des débats, et qu’il s’agit d’une revendication portée par les centres de planning, médecins, gynécologues et associations féministes, le texte propose un statu quo, obligeant donc, encore et toujours, plus de cinq cents femmes à se rendre aux Pays-Bas chaque année.
Sous couvert d’une “dépénalisation et d’un accord historique pour les femmes” [sic], il s’agit en fait d’un quasi “copié-collé” de la loi de 1990, obtenue il y a presque trente ans dans un contexte émotionnel et institutionnel sans précédent.
Dès l’entame des débats qui ont suivi les auditions des experts, Karine Lalieux (PS), Muriel Gerkens (Ecolo-Groen), Marco Van Hees (PTB), Olivier Maingain (DéFI) et Karin Jiroflée (sp.a) ont successivement regretté la tournure politique des évènements et la main laissée aux conservateurs du Gouvernement, à savoir le CD&V et la N-VA. Ils ont fustigé un texte qui reprend mot pour mot les articles de la loi de 1990, même ceux qui ne sont jamais appliqués et dont la grande majorité des experts a dénoncé l’obsolescence ; une sourde oreille aux revendications du terrain, des praticiens et surtout des femmes qui, selon de grands avocats et pénalistes, “relance la machine à poursuivre”.
Malgré cela, le chef de groupe MR, David Clarinval l’a dit et redit : “Dat is onbespreekbaar, non négociable”. Impossible d’aller plus loin sur le dossier de l’IVG. Aucune raison officielle n’est cependant énoncée pour étayer cette affirmation. En réalité, ce dossier a fait l’objet d’un marchandage politique. En effet, l’IVG a malheureusement été monnayée contre une loi relative au statut du fœtus, chère à Koen Geens et au CD&V et dont le texte définitif a été voté le 13 décembre, soit deux mois après la loi IVG. CQFD ! Si les motivations de cette loi visant la reconnaissance des enfants nés sans vie pouvaient paraître louables, à savoir la prise en compte de la douleur et du deuil des parents, il est très vite apparu qu’en focalisant uniquement le débat sur l’octroi d’un statut juridique à donner à un fœtus ou à un embryon mort-né, le législateur ne répondait pas à son objectif. En effet, la majorité des personnes concernées par cet évènement, ainsi que les professionnels de la santé, souhaitait une meilleure prise en charge de cette douleur au sein des hôpitaux, un remboursement des consultations psychologiques et une prise en compte de cette charge de travail pour les professionnels. Avec ce nouveau texte, il n’en n’est rien. En effet, en offrant aux couples la possibilité d’obtenir un acte à l’état civil (“acte de déclaration d’enfant sans vie”) dès 140 jours de grossesse avec l’octroi d’un prénom au fœtus (non viable puisqu’à 20 semaines), en opérant systémiquement une confusion sémantique entre le terme fœtus et enfant, le CD&V a ouvert la porte aux revendications des mouvements anti-choix qui souhaitent protéger la vie dès la conception et octroyer une personnalité juridique aux fœtus donc, à terme, empêcher les IVG, les IMG et la recherche sur embryons.
Que dire également de la position schizophrénique de l’Open VLD ? De la même famille politique que Madame Lucienne Herman-Michielsens, cosignatrice de la loi “Lallemand-Michielsens”, la députée Carina Van Cauter a déposé, en juin 2017, une proposition de loi sur l’IVG très progressiste, proche de celle défendue par l’opposition. Pourtant, la même députée libérale a cosigné la proposition de loi “Clarinval” sans faire le moindre amendement, tout en ne manquant pas de souligner, oralement, qu’elle regrettait la voie suivie par le texte de sa majorité et qu’il s’agissait bien d’un”consensus a minima”. De son côté, David Clarinval a indiqué à plusieurs reprises qu’à titre personnel, il aurait “voulu aller plus loin”, misant “sur le bon sens des juges” en les incitant à ne pas poursuivre.
Il a également rappelé à plusieurs reprises la liberté de vote des députés libéraux sur les questions éthiques… Cette fameuse liberté de vote, si chère aux libéraux, a pourtant cruellement fait défaut dans ce dossier.
En conclusion, une minorité de ministres et de Parlementaires de la majorité Gouvernementale “parce qu’ils sont humainement heurtés par l’avortement” a donc empêché une majorité de Parlementaires de dépénaliser réellement l’IVG.
Pourtant, dans d’autres dossiers éthiques (euthanasie, mariage et adoption par des couples de même sexe) et sous d’autres législatures, le soutien apporté par des ministres de la majorité du Gouvernement Verhofstadt ou Di Rupo aux avancées législatives en matière d’éthique, n’a pas empêché à l’époque les élus du groupe MR de voter chacun en âme et conscience. Aucune voix ne s’était élevée contre le fait de pouvoir voter librement.
Aujourd’hui, le CAL, les fédérations de centres de planning familial, les associations féministes, les médecins et gynécologues ne comptent pas baisser les bras. Ils ont déjà proposé dans leur memoranda de nombreuses pistes qu’ils entendent remettre à l’agenda politique après les élections. En ce qui concerne le CAL, vous pourrez trouver ses revendications dans son mémorandum.[2]
En espérant que ces pistes en faveur des femmes et des médecins soient prises en compte lors de la prochaine législature. D’ici là, n’hésitez pas à interpeller les partis politiques à ce sujet.
[1] “75% des Belges pour la sortie de l’IVG du Code pénal”, publié le 17 avril 2018 sur le site du CAL (https://www. laicite.be/75-des-belges-pour-la-sortie-de-l-ivg-ducode-penal/ )