“…vous savez, Madame, il fallait bien commencer par quelque chose.” C’est ainsi qu’on pourrait répondre à une hypothétique question sur la naissance de notre projet de Musée éphémère sur l’Exil (Medex). Notre musée n’a pas d’adresse car il se doit d’être fondamentalement itinérant. C’est un musée éphémère, qui se crée et se recrée au fur et à mesure que des lieux nous accordent un espace d’action.
Nous sommes partis de l’idée d’associer deux exils tout à fait différents : l’exil et l’isolement dans lequel vit celui qui plonge en soi et hors du monde pour y puiser sa poésie, et celui de ceux qui ont dû laisser par la force des choses un lieu qui leur était cher, et où ils avaient décidé de vivre.
Notre intention est de créer un lieu d’échange dans lequel les gens peuvent confronter leurs expériences et se combler, s’entraider, s’enrichir réciproquement. Car il y a bien des gens qui pensent qu’accueillir ce soit seulement donner, mais le cœur de l’accueil c’est le partage, sans quoi, on se retrouve dans une situation sans issue. Une culture se doit d’être suffisamment élastique pour permettre à l’autre de la modifier et l’adapter à ses exigences, au risque de se retrouver dans une société claustrophobe qui se méfie des ouvertures, de la liberté, et qui, pendant ce temps-là, étouffe dans sa lourdeur et son insuffisance.
La rencontre joue pour nous un rôle vital dans le Medex car les gens qui s’y intéressent sont en même temps ceux qui le feront exister en proposant un nouveau projet, une nouvelle activité à présenter au public.
Notre but est donc de faire de l’art social, de détourner les concepts d’art et de poésie, pour faire converger des solitudes qui ne font plus de bruit de nos jours : réinvestir le silence laissé par l’exclusion sociale.
Le contenu de nos expositions est articulé dans un mélange de textes poétiques et d’illustrations. L’exil est mouvement et pour le saisir dans ses aspects plus intimes il faut surtout l’imaginer. Ces exilés nous rappellent par leurs parcours l’imprévu de la vie. Nous considérons que leur voyage, l’urgence ou le danger qui les a mis en fuite, sont des éléments qui font de ces gens des œuvres d’art vivantes qui ont un souffle à transmettre, à la manière des hommes-livres qu’on retrouve à la fin de Fahrenheit 451. Ces gens qui souvent partent avec un petit sac en laissant tout derrière eux, arrivent avec un bagage d’histoires et de vécu très lourds à porter seuls. C’est pourquoi notre collectif existe. Dans les ateliers d’écriture que nous organisons il n’est pas exceptionnel que l’écriture apparaisse réellement seulement d’après un parcours de connaissance et échanges réciproques de tout ce qui n’a pas encore été exprimé depuis le début de leur voyage. L’écriture prend un statut thérapeutique, la parole vive devient écrite, se détache du flux intérieur pour se coucher au dehors dans un texte, pour prendre sa structure. La richesse est aussi due à la rencontre avec un soi dont on ne soupçonnait pas l’existence.
Cette métamorphose, ce changement qui s’opère en soi brise une chaîne qui libère de l’espace intérieur pour de nouvelles choses à imaginer. Bouleverser le flux intérieur de ceux qui vivent dans une impasse c’est le plus beau prétexte que l’art nous livre.
On pourrait dire de notre musée éphémère que c’est un mouvement de résistance contre l’anéantissement et l’atomisation des individus dus à la situation capitaliste, publicitaire, urbanistique et on pourrait ainsi dresser la liste des principaux accusés qui appauvrissent notre planète et la rendent chaque jour plus irrespirable ; mais ainsi faisant nous perdrions notre temps et nos énergies car notre révolte doit se mener sur le champ de la création.
Nous ne croyons pas à la lutte qui passe uniquement par la protestation. Nous nous méfions beaucoup de ceux qui ont toujours plaisir à se plaindre sans agir, ou qui croient que faire appel au pouvoir politique puisse être une solution viable. Nous cherchons plutôt à faire des choses, ici, maintenant. Avec ce qu’il nous reste. Nous avons envie de parler de pourquoi nous résistons, de ce qui nous motive à ne pas nous identifier à la manière dont se déroulent les choses dans le monde de l’art et dans les relations sociales communément envisagées.
La richesse qui vient de la rencontre est celle qui sert de fondement à notre démarche. Nous sommes persuadés que l’altérité est la clef d’accès à tout un monde encore inconnu et que nous avons envie de découvrir ensemble : “rapprocher à titre d’essai des pensées hétérogènes, tels des corps électriques positifs et négatifs pour faire jaillir l’étincelle d’une idée nouvelle”. C’est ainsi qu’un philosophe tchèque décrivait la rencontre, comme une explosion sensorielle, et c’est dans cette direction que nous allons depuis toujours.
Malheureusement, de nos jours, la potentialité de la rencontre a aussi subi un grand détournement de la part de la société capitaliste car la plupart des gens qui se rencontrent opèrent des échanges verbaux de nature commerciale ou se replient sur des sphères bien trop privées et spécialisées.
Les villes occidentales sont conçues en grande partie pour considérer l’échange comme commercial, la plupart des espaces qui existent sont des lieux à l’intérieur desquels il est possible d’acheter, de se faire conseiller pour tel ou tel article, ou bien ce sont des endroits qui nécessitent un paiement pour y avoir accès.
Nous vivons dans une époque où il est de plus en plus nécessaire de prêter notre temps au service de quelque chose qui nous permette d’avoir de quoi subsister dans ce mouvement de cercle vicieux qui ne laisse aucune place à la vie ; en niant sa polysémie, sa gratuité, en aplanissant la pluralité et la complexité de l’humain.
Le musée de l’exil c’est en réalité un musée du temps, un non-lieu dans lequel l’on cherche à développer une autre forme de temporalité pour tous ceux qui y prennent part. Car, s’il y a des individus qui sont bien trop occupés par les choses mentionnées plus haut, il y en a en revanche qui sont plongés dans une sorte de stand-by, à côté de l’inertie de ce mouvement.
Un demandeur d’asile n’a plus de maison, il n’a plus de travail, ni d’amis, mais une chose est sûre : il a du temps, beaucoup de temps devant lui, car il doit attendre l’avancement de sa procédure pendant au moins un an. Notre objectif c’est de faire se rencontrer ces deux types d’humains qui vivent à l’opposé et de commencer un travail ensemble pour s’entraider à retrouver un autre équilibre, car chacun a besoin d’aller dans le sens de l’autre. La poésie, l’illustration, les performances, les expositions forment le terrain à partir duquel ces gens collaborent ensemble, dans une perspective de travail collective, plusieurs fois par semaine, pendant plusieurs mois. L’idée qui nous libère et nous transforme est d’être certains qu’on est tous poètes, que la rencontre est essentielle, que notre vie mérite d’être couchée sur papier et partagée, qu’on a tous une raison d’écrire quelque chose. Transposer de manière poétique nos quotidiens c’est une pratique nécessaire dans le quotidien de quiconque. Nous vous encourageons à commencer dès maintenant