L’ACCÈS À LA NATIONALITÉ BELGE : UN DROIT POUR TOUS ?

par | BLE, JUIN 2018, Justice, Politique

Le droit est souvent méconnu parce que tout le monde l’habille à sa manière”.

Jean-Napoléon Vernier, Les fables, pensées et poésies (1865)

En Belgique, les étrangers qui sont en séjour légal depuis plus de cinq ans et qui sont en possession d’un titre de séjour à durée illimitée ont, en principe, et sous certaines conditions, droit de demander la nationalité belge. Ces dernières sont régies par le Code de la Nationalité belge, une loi bien entendu fédérale, censée s’appliquer de manière égale à tout le monde et dans tout le pays. Seulement, en pratique, ce n’est pas toujours le cas.

LE CODE DE LA NATIONALITÉ BELGE, UNE LOI FAMEUSEMENT INTERPRÉTÉE

En Belgique, nombreuses sont les instances qui “font leur loi” sur l’accès à la nationalité belge, sous prétexte que c’est la loi elle-même qui porte à interprétation. Durant ces dernières années, et principalement depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 décembre 2012 sur l’accès à la nationalité belge, nous avons pu constater que plusieurs communes comme plusieurs Parquets se réservent une certaine marge d’interprétation de la loi souvent injustifiée, ce qui mène facilement à des dérives. D’une part, on a pu observer des erreurs systématiques de la part de certains Parquets dans leurs avis négatifs. Parmi ces erreurs récurrentes, on retrouve des fautes dans le calcul des jours d’études assimilés à des jours de travail, par exemple, ou dans l’interprétation de ce qu’est un fait personnel grave. D’autre part, certains services d’Etat civil profitent véritablement de la désinformation des citoyens quant à leurs droits pour les bloquer dans la procédure et leur imposer des conditions supplémentaires, comme par exemple des tests de langue oraux aux guichets.

MAIS CONCRÈTEMENT, QU’EST CE QUI PERMET UNE TELLE MARGE DE MANŒUVRE ?

Depuis l’introduction de la nouvelle loi sur la nationalité belge du 4 décembre 2012, les officiers de l’Etat civil sont désormais responsables de vérifier l’exhaustivité des dossiers de demandes de nationalité de leurs habitants. La loi cite, en son article 15 du Code de la Nationalité Belge “L’officier de l’État civil examine l’exhaustivité de la déclaration dans les trente jours ouvrables qui suivent le dépôt de celle-ci ”.{1} Mais la question qui se pose ici est la suivante : “Qu’est ce qui est réellement attendu lorsqu’on parle de “vérifier l’exhaustivité d’un dossier” ? Les employés de l’Etat civil sont-ils responsables de vérifier que tous les documents demandés sont bien dans le dossier ou ont-ils également le devoir de vérifier le contenu de ces documents ? D’un côté, il semblerait logique de dire qu’ils sont responsables de vérifier le contenu des documents, qui permettrait, de fait, de déterminer si un dossier est réellement exhaustif ou pas. Cependant, de cette logique découle alors un second questionnement : où se trouve la limite entre le rôle des communes et le rôle des Parquets ? Pourquoi instaurer un passage par la case “Parquet” si les communes font tout le travail et bloquent automatiquement tous les dossiers qui n’auraient, selon elles, aucune chance d’aboutir ? La commune est-elle responsable de vérifier la date d’un acte de naissance, si l’acte de naissance fourni par le  demandeur  est bien correct, qu’il n’y figure aucune faute ou discordance, que la légalisation est bien suffisante, etc ? A-t-elle le droit d’exclure du décompte certaines journées de travail sous prétexte qu’elles ne peuvent être assimilées à du travail, alors que, selon la loi, elles le sont (journées de maladie, chômage technique, jours fériés, etc.) ? Poussons la réflexion plus loin : l’employé communal est-il responsable de juger si, au vu de son passé judiciaire, une personne a réellement ses chances en demandant sa nationalité belge ? C’est à partir de ce point-là que la question de la marge de manœuvre de l’administration communale commence à se poser. Certaines vérifications peuvent effectivement se justifier, mais d’autres moins. Cela semble peu justifié que l’employé de l’État civil s’immisce réellement dans le passé de la personne pour pouvoir juger si oui ou non elle devrait être éligible ; et pour- tant, en pratique, ce sont des choses qui arrivent. En effet, il n’est pas rare que des employés communaux tentent de dissuader des demandeurs sur base des documents présents dans leur dossier ou sur base de leur casier judiciaire. Le principe du droit n’est-il pas justement qu’il devrait s’appliquer à tous sans discrimination préalable et que donc, chacun possède le droit de pouvoir faire la demande, peu importe qu’il ait plus de chances qu’un autre de se voir attribuer un avis positif ou négatif ? Ce qui est également assez sur- prenant est leur justification : les fonctionnaires des services d’État civil justifient souvent leurs agissements pour le  bien du candidat à la nationalité. Ils se comportent comme cela afin de lui éviter des frais pour une procédure devenue payante depuis janvier 2013 ; une explication qui peut également interpeller.

LES INDIVIDUS SONT-ILS FINALEMENT TOUS SI ÉGAUX QUE CELA DEVANT LA LOI OU LEUR LIEU DE RÉSIDENCE INFLUE-T-IL EGALEMENT SUR CETTE ÉGALITÉ ?

Il serait presque hypocrite de continuer à maintenir un discours qui défendrait l’égalité réelle de tous devant la loi et cela, ne fût-ce qu’à partir du moment où chaque commune est libre de ses délais de traitement des dossiers et libre de fixer le tarif des frais administratifs s’y référant. En effet, certaines communes ne demandent aucun  frais  administratif  lié  à l’introduction de leur dossier, comme beaucoup de communes en Wallonie et en Flandre alors que d’autres communes peuvent aller jusqu’à demander un montant avoisinant la centaine d’euros, comme les communes bruxelloises, et particulièrement, celles du Sud-ouest de Bruxelles. D’autre part, certaines communes traitent les dossiers en 4 à 5 mois alors que d’autres ont besoin de délais beaucoup plus longs, on l’espère proportionnel au nombre de demandes qu’ils reçoivent, qui peuvent aller jusqu’à 7-8 mois comme c’est le cas dans les communes de Bruxelles-Ville ou d’Anderlecht…

Un autre exemple qui choque très souvent est celui de la validité de l’acte de naissance. La loi mentionne qu’il faut joindre à tout dossier de nationalité un acte de naissance “récent”, sans jamais mentionner un délai de validité uniforme. Nous observons dès lors des disparités importantes entre les communes, qui vont jusqu’à pousser des personnes à déménager, afin de faciliter l’introduction de leur dossier de nationalité. La Commune de Bruxelles-Ville, par exemple, considère qu’un acte de naissance reste récent s’il a été délivré dans les 10 dernières années. D’autres communes, par contre, comme Berchem-Sainte-Agathe ou Woluwe-Saint-Lambert, n’acceptent que des actes de naissance délivrés dans les 6 derniers mois. La question qui se pose ici est celle de savoir où est la logique, sachant qu’un acte de naissance est bien souvent un document qui ne change pas ou très peu, mais qui est cependant extrêmement compliqué à obtenir dans certains pays. De plus, il est important de tenir compte du fait que les actes doivent être légalisés et traduits. De ce fait, dans certains cas, il est tout simplement impossible, même avec la meilleure volonté du monde, d’obtenir son acte de naissance dans son pays d’origine, de le faire parvenir aux autorités consulaires belges du pays de délivrance ou, à défaut, d’un pays voisin pour le faire légaliser, de le ramener en Belgique et de le faire traduire par traducteur juré, tout cela dans un délai de 6 mois, avec des coûts qui peuvent dépasser le millier d’euros.

Finalement, parmi les derniers exemples de disparités entre les communes, on retrouve des différences dans la prise en considération de jours assimilés à des jours de travail comme à Forest où ils considèrent que les jours fériés ou de congés de maladie ne sont pas assimilés à des jours de travail, des différences dans le calcul du séjour légal comme à Ixelles où ils considèrent une interruption administrative entre deux titres de séjour comme une remise à zéro du calcul du séjour légal, l’exigence de documents superflus non mentionnés dans la loi tels que des certificats de célibat à Anderlecht, des attestation de non-possession de l’une ou l’autre nationalité à Molenbeek-Saint- Jean, etc. Il est désormais clair qu’il existe certaines communes où il fait mieux vivre que dans d’autres si l’on espère demander sa nationalité belge un jour…

L’égalité n’est donc, dès lors, ni réellement applicable, ni même réellement concevable dans ces cas-ci, avec une interprétation de la loi laissée entièrement aux communes.

Pour conclure, l’acquisition de la citoyenneté belge est un acte qui revêt une grande importance pour de nombreux concitoyens étrangers qui résident et vivent légalement dans notre pays. Une des raisons est qu’elle permettrait notamment de faciliter leur vie et celle de leurs enfants par l’accès à certains droits réservés aux seuls citoyens belges. Il conviendrait de se poser la question de savoir si c’est réellement censé de laisser aux mains des employés des services de l’État civil le rôle d’interpréter les lois dans notre pays ? Pour nous, il serait plus judicieux de laisser ce rôle exclusivement à des personnes qui maîtrisent le droit et sont soucieuses de l’appliquer de manière juste et équitable, à savoir les juges, magistrats, juristes, avocats, etc.


{1} Code de la Nationalité belge (2013). En ligne : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/

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