LE BUDGET COMMUNAL, MIROIR DES CHOIX POLITIQUES…MAIS AUSSI CITOYENS !

par | BLE, DEC 2019, Economie, Politique

Vous avez l’estomac qui chatouille lorsqu’on vous parle des “recettes ordinaires et extraordinaires” ? Les “dépenses de transferts” vous font penser à Eden Hazard ? Et les “dépenses extraordinaires” à vos dernières vacances ? Alors, n’hésitez plus, plongez-vous dans les finances publiques ! Se lancer dans une exploration du budget communal alors qu’on n’est pas spécialiste des finances publiques n’est pas quelque chose qui semble très attirant à première vue. Et pourtant, à y regarder de plus près, c’est un travail passionnant qui permet de mieux comprendre et influencer les choix politiques qui ont un impact direct sur notre quotidien.

LES FINANCES PUBLIQUES, UNE BOÎTE NOIRE À OUVRIR…

On a tous déjà entendu parler de conclaves budgétaires, d’un gouvernement qui n’arrive pas à se mettre d’accord sur le budget, de modifications budgétaires… Pour beaucoup, ces discussions paraîssent fort lointaines de leurs préoccupations et fort complexes. Et on finit par se dire : “Oh, qu’ils s’arrangent entre eux !”. Cependant, ces choix budgétaires se traduisent par la suite par des mesures concrètes qui nous touchent directement. Et lorsque les conséquences se font ressentir, il est souvent trop tard pour réagir… Si on regarde au niveau des dispositifs de participation, les questions budgétaires font aussi rarement partie des débats : on y parle projets, recommandations, propositions comme si les considérations budgétaires arrivaient en second plan.

Mais les finances publiques sont, par essence, citoyennes : elles sont produites par les citoyens – ils en sont la source à travers les impôts et les taxes – et elles servent à financer des services dont ils seront les premiers bénéficiaires. Curieux dès lors de considérer qu’entre les deux, le citoyen n’a plus droit de regard ni de parole… Curieux et surtout dommage ! Notre association Periferia est convaincue que l’implication des citoyens dans la gestion publique est une clé pour nos démocraties et qu’à ce titre, il est indispensable de mettre sur pied de nouvelles approches qui place le citoyen au centre des décisions budgétaires.


… MAIS QUI DEMANDE DES CLÉS DE COMPRÉHENSION !

Comment cela se passe en pratique ? Un budget annonce publiquement les engagements pris par les élus en matière d’investissement pour l’année à venir. Il est composé de différentes rubriques et son fonctionnement dans l’ensemble est relativement simple : des rentrées et des sorties, chacune divisée en deux catégories : le service ordinaire et extra-ordinaire. Mais si ce document est public – chacun peut le solliciter auprès de sa commune – il n’est pas pour autant facile à comprendre pour le quidam…

A Anderlecht, lors d’une assemblée citoyenne, un citoyen explique que, depuis des années, il sollicite et reçoit le budget et le rapport d’activités de la commune. Mais que, malgré toutes ses tentatives, il n’y a jamais compris grand-chose… De cette interpellation, est née un atelier de travail réunissant des citoyens et des acteurs communaux afin d’analyser et vulgariser le budget communal. Celui-ci a donné lieu à une publication en 2013 : “Et si nos sous nous étaient contés : comprendre les finances locales1 qui explique le fonctionnement d’un budget communal et donne des clés pour analyser celui-ci.

Cet exemple démontre que des citoyens portent un intérêt réel pour le sujet mais qu’il est nécessaire de mener un travail qui va au-delà de la simple publication des budgets et comptes. L’accès à l’information est une chose, le droit à la comprendre en est une autre… sans quoi il est difficile de pouvoir peser sur les décisions.

REDONNER DU SENS AUX CHIFFRES

A Anderlecht, l’appui du service des finances et d’un inspecteur régional de l’organe de tutelle des communes a été indispensable pour traduire concrètement les chiffres et regrouper les informations dispersées dans un même document. Par exemple, si l’on veut savoir quel montant a été consacré aux écoles communales, il faut aller chercher l’information dans les frais liés au personnel, aux bâtiments, aux bus communaux, aux cantines, toutes reprises dans des rubriques différentes. C’est notamment pour cette raison que l’atelier d’Anderlecht avait planché sur une nouvelle forme de présentation du budget communal, plus lisible pour le citoyen. Une matrice qui n’a cependant jamais été utilisée par la commune.

C’est uniquement à travers ces clés de lecture du budget et ensuite en comparant d’une année à l’autre que l’on pourra faire “parler les chiffres” et extraire du budget son sens politique.

DES POLITIQUES ET DES CITOYENS AGISSENT POUR PLUS DE TRANSPARENCE

Le mouvement d’ouverture des données (open data) a bien compris cet enjeu. Des communautés de citoyens se sont organisées pour compiler et mettre en ligne les données tout en portant une attention à les rendre lisibles pour le grand public à travers des graphiques et des schémas.2 Dans certains cas, lorsque les données ne sont pas disponibles, ceux-ci font pression sur les autorités pour qu’elles les rendent publiques. On peut citer par exemple l’association Transparencia en Belgique ou le Réseau des municipalités espagnoles contre la dette illégitime qui ont développé des tableaux lisibles de leurs budgets.3

Les responsables politiques ont bien com- pris l’enjeu et suivent le mouvement : Paris a lancé sa plateforme “Open data Paris”4, Bruxelles aussi.5 Philadelphie a dédié un site à son budget en mettant à disposition les données sous forme de graphiques très visuels.6 D’autres vont même plus loin et permettent aux citoyens de créer leur proposition de budget via un budget simulator.

Les initiatives sont nombreuses et diverses, impossible de les citer toutes. La plupart agissent dans le sens d’une meilleure transparence pour les citoyens, d’autres dans l’optique d’améliorer leur gestion publique en profitant du regard de ces derniers. Néanmoins, certaines expériences questionnent aussi lors- qu’elles cherchent à justifier des coupes budgétaires ou imposer des politiques d’austérité. Une chose est sûre, il y a matière à s’inspirer et la démonstration n’est plus à faire : le citoyen a bien sa place dans ces débats !

PRENDRE PART AUX DÉCISIONS BUDGÉTAIRES

Le budget participatif, comme son nom l’indique, est le second pas qui peut être fait en matière d’implication des citoyens dans les finances publiques. Cette fois, on ne se contente plus de lui permettre de lire les choix d’investissements posés par les décideurs, on prend en compte son avis pour définir ces choix.

L’expérience la plus reconnue de budget participatif est celle de la ville de Porto Alegre au Brésil, mis en place en 1988, au sortir de l’ére de la dictature fortement marqué par la corruption et les détournements financiers. Les élus politiques, nouvellement arrivés au pouvoir, avaient promis que s’ils gagnaient les élections, ils impliqueraient les citoyens dans la gestion de l’argent public. Et ils y sont parvenus. Qui plus est, dans une ville comptant plus d’un million d’habitants, dont tous ne savaient pas lire et écrire.

Des conseils de quartier ont été chargés d’identifier les besoins d’investissement les plus forts, puis de les faire remonter au sein d’un Conseil du Budget Participatif composé d’un délégué par quartier ainsi que d’autres représentants de la ville, des associations, du secteur syndical, du secteur économique et des minorités culturelles. En analysant les besoins de chacun, ils ont défini ensemble la liste des investissements priotaires à effectuer qui, après analyse par les services techniques, ont été réalisés.

Cette expérience de co-gestion a, depuis, inspiré de nombreuses villes à travers le monde. Pour les citoyens, c’est un signal fort qui leur est renvoyé en termes de démocratie, mais aussi de reconnaissance de leurs expertises et capacités.

En Belgique, les expériences de budget participatif se limitent généralement à une enveloppe budgétaire fixe et sont peu en lien avec le budget communal. On peut supposer que cela vient, en partie, d’une frilosité des élus à lâcher de leurs prérogatives.

RENDRE COMPTE

La dernière porte d’entrée des citoyens dans les finances publiques est certainement la moins abordée chez nous : le contrôle citoyen. C’est pourtant la plus évidente et la plus logique. Chaque citoyen a le droit de demander des comptes à ces représentants et, par là même, de critiquer le pouvoir. C’est le fondement même d’une démocratie.

Plusieurs expériences ont démontré la capacité des citoyens à s’organiser pour demander des comptes et mener un travail qui s’apparente parfois à de véritables enquêtes. A ce titre, il faut citer le remarquable travail de la plateforme d’audit citoyen de la dette publique en Belgique (ACiDe) qui a mené des processus d’audit de la dette publique de plusieurs communes afin de sensibiliser le grand public et produire des recommandations visant à s’opposer aux politiques d’austérité injustes.

Il arrive que le droit de regard prenne un rôle de contrôle effectif, instituté et donc reconnu par les autorités. C’est le cas notamment des commissions citoyennes de transparence mises en place au Honduras. Suite au passage de l’ouragan Mitch en 1998, puis à la remise de la dette en 2002, d’importants montants sont arrivés jusque dans les communes du pays. Mais les pays “donateurs” y ont mis une certaine exigence : que la société civile puisse veiller à la bonne utilisation de ces ressources financières dans des projets portés par les municipalités. C’est de cette façon que sont apparues les premières commissions de transparence. Les commissions sont composées de citoyens qui réalisent un contrôle des dépenses publiques, formulent des recommandations pour améliorer l’utilisation des res
sources publiques, veillent à la bonne utilisation du budget d’investissement et vérifient la qualité des services communaux comme les repas dans les écoles communales par exemple.

Dans la même idée que l’analyse des budgets que nous avons présentée précédemment, on pourrait aussi envisager de faire le travail de comparaison entre le budget et les comptes et bilan d’une commune. Peu de dynamiques s’intéressent aujourd’hui aux comptes publics : c’est pourtant le document le plus indiqué pour vérifier si les intentions se traduisent en actions !

Spontanée ou institutionnalisée, en autonomie ou de manière collaborative, l’implication des citoyens dans les finances publiques nous semble plus que jamais légitime et mériterait d’être davantage connu et débattu en Belgique. A travers ces nombreux exemples, nous avons cherché à démontrer que la place du citoyen dans les débats relatifs à la gestion publique peut s’avérer très utile pour les décideurs ; que les craintes de perte de pouvoir des élus n’ont pas lieu d’être : elles les confortent au contraire dans un rôle de garant de l’intérêt commun ; et que l’enjeu n’est pas de faire de chaque citoyen un expert comptable, mais plutôt de mettre l’expertise citoyenne au service d’une meilleure répartition des ressources au profit de tous.


1 “Et si nos sous nous étaient contés : comprendre les finances locales”, Periferia, 2013. Disponible gratuitement sur demande en nous contactant.

2 Voir à ce sujet ce très bon article “Comment le numérique peut-il associer le citoyen aux choix budgétaires ?” de Gilles Pradeau sur http://budgetparticipatif.info/?p=128

3 Lire à ce sujet l’article du CADTM sur le sujet : http://www.cadtm.org/Le-Reseau-espagnol-des,14677

4 https://opendata.paris.fr/page/home/

5 https://opendata.bruxelles.be/pages/home/

6 https://www.phila.gov/openbudget/

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