PORTRAIT : LOLA CLAVREUL

par | BLE, Dynamiques réactionnaires, Féminisme

Crédit photo : © Jehanne Bergé

Nous aurions voulu rencontrer Lola Clavreul autour d’un verre, dans un café bruxellois comme ceux qui nous ont déjà réunies en fin de manifestation, à l’occasion du 8 mars, par exemple. Les agendas serrés de cette fin d’année nous ont contraintes à nous réunir par écrans interposés, via une plateforme de visioconférences.

Dans le monde de la vie associative bruxelloise, Lola Clavreul est une figure discrète mais déterminée, engagée depuis des années dans la lutte pour une Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle libérée des injonctions conservatrices et respectueuse des diversités. Directrice de la Fédération des centres pluralistes de planning familial, elle a récemment été propulsée sur le devant de la scène médiatique en raison des polémiques entourant l’Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) en Belgique. À travers ce portrait, nous découvrons le parcours et les convictions de cette militante féministe aux engagements multiples et cohérents avec une vue progressiste de la société.

Un parcours personnel ancré dans l’expérience de la maternité et du féminisme

Lola Clavreul ne se destinait pas initialement au militantisme féministe et à la défense des droits en santé sexuelle et reproductive. C’est son propre parcours, marqué par des expériences précoces de maternité, qui l’a amenée à s’engager pour l’égalité et les droits des femmes. « J’ai eu mes enfants assez jeune, et cela m’a rapidement confrontée aux questions de violences gynécologiques et obstétricales », confie-t-elle. Cette prise de conscience personnelle se transforme en un besoin d’en savoir plus, la menant à reprendre des études et à entamer un master en sciences de la famille et de la sexualité à l’U.C.L. en 2016. À partir de là, Lola décide de consacrer sa vie professionnelle et militante à ces questions sensibles et souvent taboues, qui touchent à l’intimité et aux droits fondamentaux.

Sa carrière prend un tournant décisif lorsqu’elle rejoint la Fédération des centres pluralistes de planning familial, où elle trouve un espace propice pour allier activisme et professionnalisme. Ce secteur, souvent sous le feu des critiques, l’attire par sa mission de prévention et d’éducation à la sexualité, et son engagement dans des causes qui résonnent profondément avec son propre parcours.

Evras et luttes contre les violences obstétricales : un engagement féministe

Pour Lola, l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, c’est bien plus qu’une simple transmission de savoirs : c’est un levier essentiel pour promouvoir le respect et l’autonomie des personnes, ainsi que pour combattre des violences structurelles, telles que les violences gynécologiques et obstétricales. Elle évoque sans détour les tabous entourant la maternité et la santé des femmes, en soulignant l’importance de partager des expériences douloureuses pour briser le silence et susciter une prise de conscience collective.

Lola explique également qu’un événement marquant – une interruption de grossesse imposée – a joué un rôle central dans son parcours de militante. « C’était un moment difficile, mais cela a aussi été un tournant dans mes engagements. » Ce vécu douloureux a nourri son combat pour l’accès à des soins gynécologiques respectueux et bienveillants, ainsi que pour une éducation sexuelle qui prenne en compte la diversité des parcours et des identités.

La direction de la Fédération des centres pluralistes de planning familial : allier militantisme et travail de plaidoyer

Lorsque Lola devient directrice de la Fédération des centres pluralistes de planning familial il y a trois ans, elle se retrouve au carrefour de deux mondes : celui des réalités concrètes des centres de planning familial et celui du plaidoyer politique. Son rôle consiste notamment à faire remonter les besoins du terrain pour influer sur les politiques publiques. Elle le définit comme un « travail de lobby », qu’elle mène avec conviction, surtout en ce qui concerne la généralisation de l’Evras dans les écoles.

Sous sa direction, la Fédération connaît un essor médiatique et une visibilité accrue, ce qui permet à Lola d’étendre la sensibilisation autour des questions de santé sexuelle et de promouvoir un discours de prévention. « J’ai à cœur d’aller parler de l’Evras dans divers milieux, que ce soit dans des festivals (comme le Festival des Libertés, en 2023), à la télévision, dans des écoles et universités. Il est crucial de rendre compte de notre travail », insiste-t-elle.

Cette démarche proactive lui vaut des soutiens mais aussi des critiques acerbes, surtout depuis que l’Evras a été rendue obligatoire dans les établissements scolaires à travers un accord signé en septembre 2023 entre la Fédération Wallonie-Bruxelles, la COCOF et la région wallonne. Cet accord prévoit deux séances de sensibilisation à la vie relationnelle et sexuelle, l’une en sixième primaire, l’autre en quatrième secondaire, une mesure qui, bien qu’insuffisante pour les acteurs du secteur, représente un premier pas dans la direction d’une éducation pour toutes et tous.

Une mobilisation sous les feux des critiques : entre pédagogie et résistance

La généralisation de l’Evras dans les écoles ne s’est toutefois pas faite sans heurts. À peine l’accord était-il signé que des vagues de protestations déferlaient, alimentées par des mouvements réactionnaires et conservateurs. Certains n’ont pas hésité à traiter les animatrices d’Evras de « pédophiles » ou à distribuer des tracts alarmants, affirmant que « la sexualité explicite serait enseignée dès la maternelle ». Lola décrit ces réactions avec pragmatisme et une certaine incompréhension : « Jamais nous n’aurions imaginé que cela prenne une telle ampleur ».

Face à cette opposition virulente, Lola et son équipe ont dû redoubler d’efforts pour rétablir le dialogue avec les parents et les institutions. « On a dû multiplier les discussions, organiser des groupes de parole et des réunions avec les parents pour expliquer ce que l’Evras est vraiment », explique-t-elle. L’enjeu est d’importance : l’Evras vise à offrir aux jeunes un espace de confiance pour poser leurs questions, comprendre les notions de consentement et d’autonomie, et identifier des adultes de référence en cas de besoin.

Une opposition hétérogène et complexe

Lola observe que les oppositions à l’Evras sont loin d’être homogènes. Elle identifie trois grands types de résistance : des parents inquiets pour leurs enfants, des mouvements complotistes qui dénoncent l’Evras comme faisant partie d’un complot mondial, et enfin des groupes religieux ou conservateurs, parfois issus de mouvances très opposées, qui se retrouvent dans leur critique de l’éducation sexuelle « Et puis, il y a tous ces mouvements plutôt, disons, conservateurs et très à droite, avec des sensibilités religieuses variées. On observe d’ailleurs une mobilisation de différentes mouvances religieuses : par exemple, une forte mobilisation de la communauté musulmane, marquée notamment par plusieurs recours déposés par des représentants de cette communauté en Belgique. Mais on retrouve aussi le groupe Civitas, un mouvement d’extrême droite catholique français, très actif lors des manifestations contre le mariage homosexuel en France en 2012 et qui était présent en septembre 2023 à Bruxelles lors des manifestations anti-Evras.

On voit ainsi un rassemblement de personnes attachées à des valeurs traditionnelles, des visions de la famille et de la société qui sont plutôt conservatrices. Cela entraîne l’émergence de certains discours restrictifs, dans lesquels il n’est pas question de parler d’homosexualité, de mariage homosexuel, ni, ce qui est particulièrement crispant, de personnes transgenres. Tout ce qui s’écarte de leur vision de l’ordre moral et social établi devient pour eux totalement inacceptable ».

Une lucidité qui n’empêche en rien la poursuite d’un engagement pour contrer ces postions réactionnaires « Ce phénomène est complexe et pose des questions de fond. Nous ne voulons pas stigmatiser ces opposants, mais au contraire proposer un cadre de dialogue et de respect », précise-t-elle, fidèle aux valeurs pluralistes de la Fédération.

Améliorer les pratiques dans un contexte multiculturel et décolonial

Ces polémiques poussent également la Fédération à ajuster ses méthodes d’animation et à affiner ses pratiques, en prenant en compte les valeurs culturelles et familiales des jeunes. « Nous avons par exemple réfléchi à une approche de l’Evras décoloniale, pour ne pas imposer une vision du monde unique », explique Lola. Elle est bien consciente qu’un discours prônant l’exploration des identités de genre et de la sexualité peut se heurter à des valeurs conservatrices, voire provoquer des conflits de loyauté chez certains jeunes. Cette réflexion continue sur les méthodes pédagogiques et l’accompagnement des jeunes est pour elle une manière de rendre l’Evras plus inclusive et accessible, tout en évitant les approches paternalistes.

La Fédération propose ainsi des formations spécifiques pour intervenir dans des contextes multiculturels et pour permettre aux animatrices et aux animateurs d’être à l’écoute des réalités de chacun. « Nous voulons que les jeunes puissent accéder à l’Evras sans se sentir obligés d’adhérer à un discours ou à une vision qui ne leur correspond pas », ajoute Lola.

Un soutien aux équipes en première ligne

Les polémiques ont également des répercussions sur les équipes de terrain des centres de planning, souvent confrontées à des manifestations d’hostilité directe. Lola rappelle que, bien que la Fédération soit en « deuxième ligne », les équipes sur le terrain sont en première ligne de cette pression sociale. Certaines coordinatrices de centres ont même fait face à des comportements agressifs dans des stands associatifs. Au-delà de l’aspect sécuritaire, le défi est de recréer un climat de confiance pour les jeunes, et d’aborder des sujets délicats sans les forcer à se positionner sur des valeurs controversées.

« C’est un travail qui demande beaucoup d’énergie et de diplomatie », souligne Lola. Le respect des valeurs de consentement et d’autonomie reste fondamental, même lorsque les animations sont imposées dans le cadre scolaire. Loin de renoncer à cet engagement, elle voit cette situation comme une opportunité pour approfondir les réflexions et faire progresser les pratiques.

Un message de résilience et d’ouverture

À travers son engagement et son parcours, Lola incarne une vision de l’Evras tournée vers la déconstruction, le dialogue et le respect des diversités. Elle défend avec conviction une Evras qui ne soit pas dogmatique, mais au service de chaque jeune, pour l’aider à construire son propre chemin en toute liberté et en connaissance de cause. Malgré les obstacles, elle reste convaincue que le combat pour une éducation sexuelle libre et émancipatrice est essentiel pour bâtir une société plus égalitaire et bienveillante.

Laïcité ?

Nous vivons dans une société de plus en plus polarisée : difficile d’avoir accès à des prises de position nuancées et complexes à propos d’enjeux sociaux, politiques, culturels, écologiques… Pour moi la laïcité, lorsqu’elle n’est pas rigidifiée ou érigée en posture dogmatique, c’est un des principes qui fondent la possibilité du dialogue, idée qui est au cœur du cadre pluraliste que je défends. Elle est exigeante, car elle demande à la fois un examen critique de sa propre posture et de ses points de vue situés, une ouverture et une attention sincère et curieuse à d’autres visions du monde, ainsi que la défense de certaines valeurs fondamentales comme l’émancipation des personnes. Plus qu’un simple concept, elle s’exerce dans notre capacité à vivre (ou non) ensemble !

Bruxelles, coup de cœur ?

Si je devais partager un coup de cœur bruxellois, ce serait sans hésiter le Dia de Muertos organisé par le Centre Bruegel avec le collectif Tas d’os. Je trouve cet événement absolument fabuleux. Ce festival a réussi à créer une vraie dynamique de quartier en rassemblant les associations locales, les écoles et même les maisons de repos. J’adore l’idée qu’un thème aussi tabou que la mort puisse être célébré de manière collective et joyeuse, et ce, grâce à une participation si large.

Je suis une fidèle de cet événement depuis sa création, car je trouve merveilleux qu’une initiative permette de célébrer la mort autrement, avec légèreté et convivialité. Et pour être tout à fait honnête, je n’ai aucun lien avec le collectif, donc c’est une véritable déclaration d’amour, sans publicité ni contenu sponsorisé !

Bruxelles, coup de gueule ?

Alors, un coup de gueule… Franchement, il y a tellement de choses à dire. Si je devais partager une situation récente où je me suis dit “Vivre à Bruxelles, c’est quand même compliqué…” je dirais quelque chose de très “bobo”. Non mais sérieusement, quand est-ce qu’on va enfin arriver à partager l’espace public de manière équitable? La circulation dans lespace public nest pas toujours simple, surtout en tant que femme et cycliste. À nous la rue !

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