QUAND LA POLICE BRUXELLOISE ENTRAVE LA DÉMOCRATIE AU LIEU DE LA PROTÉGER

par | BLE, Démocratie, JUIN 2018, Justice

À Bruxelles, les relations entre la police et les citoyennes et citoyens ne sont malheureusement pas toujours aussi harmonieuses que l’on pourrait souhaiter. De nombreux points noirs persistent, voire s’amplifient au cours des années et ce n’est pas la nouvelle gestion “post-terroriste” qui améliore le climat.

Bruxelles, en tant que capitale du pays ainsi que de l’Union européenne, connaît un nombre très élevé de manifestations. En 2016, pas moins de 898 manifestations “revendicatives” ont eu lieu sur son territoire. Force est de constater que la gestion de celles-ci par les autorités n’est pas toujours aisée, et souvent inadéquate.

La manière dont certaines manifestations sont réprimées, parfois dès avant leur début, pose question sur l’exercice des droits du citoyen. Si certaines dispositions existent bien autour des autorisations à obtenir, les répressions violentes exercées, comme ce fut le cas contre “Reclaim the night1, ne sont toutefois pas acceptables. Les manifestantes et manifestants dissimulés de la vue des passants par les forces de l’ordre, se sont ainsi vu infliger brutalités physiques et insultes, menaces et propos sexistes offensants par des forces de l’ordre désinhibées.

Tout aussi inquiétantes, bien que plus “quotidiennes”, sont une série de situations vécues par les populations de certains quartiers bruxellois. Ainsi, à Saint-Gilles, les pratiques policières se sont tellement dégradées vis-à-vis des jeunes, qu’en mars 2018, un collectif citoyen a interpellé le Conseil communal. Il demandait l’ouverture d’une enquête d’évaluation du travail et des comportements de la brigade Uneus.2 Il est reproché à certaines policières ou policiers de multiplier des actes de violence et d’humiliation sur des jeunes du square Jacques Franck. Il semble que, malgré l’écho médiatique que la démarche a connu, peu de réactions officielles ont répondu à l’attente citoyenne, ce qui est perçu comme une marque de mépris. L’amélioration de la qualité de vie reste, en attendant, un objectif sur le papier.

Il semble aussi que la police nécessite de plus en plus de matériel pour exercer sa fonction. Son équipement ne cesse de s’accroître. L’usage de l’armement collectif se banalise. La police fait usage de gaz, parfois à bout portant. Lors de manifestations ou de simples interventions, il n’est pas rare de voir le policier sortir sa bon- bonne en la pointant sur une personne pour la menacer, voire pour l’utiliser. Toujours dans l’escalade de l’armement policier face aux activistes, les matraques télescopiques sont tout aussi impressionnantes et, comme l’indiquait un policier, seul le bruit de leur dépliement déclenche déjà la peur ! De plus, récemment, il a été fait usage disproportionné et donc illégal, de flash balls3 contre des personnes sans-papiers, tout à fait pacifiques et non armées.

Et puis, il y a l’introduction du pistolet à impulsion électrique, aussi nommé “taser4 ! La police belge a obtenu l’autorisation de son acquisition afin d’étoffer son coffre à outils. Une zone de police, par ailleurs fréquemment impliquée dans des démêlés avec la justice pour le comportement de ses policiers5, s’était d’emblée portée candidate pour tester l’utilisation de ces armes, et fait partie des zones retenues, à notre connaissance : Anderlecht, Forest, Saint-Gilles et la zone Ouest qui couvre Molenbeek, Berchem-St-Agathe, Koekelberg, Jette et Ganshoren.

Voici, brièvement, comment fonctionnent ces pistolets : ils propulsent deux électrodes reliées à des filins à une distance maximale de 7,6 m. Les armes libèrent une décharge électrique de deux milliampères pour 50 000 volts provoquant de la douleur et une dysfonction biomécanique. Selon le sergent Landry (Canada) “en neutralisant le système neuromusculaire, la décharge immobilise la personne touchée et permet aux policiers d’intervenir sans risque pour procéder à son arrestation”. Il est en outre recommandé que le policier vise plus particulièrement le dos ou le bas de l’abdomen, en prenant soin d’éviter la tête, le cou, les seins, les parties génitales et la région du cœur. Il est aussi indiqué que “comme les individus ne réagissent pas tous de la même façon, toute personne recevant une décharge électrique sera transférée à l’hôpital pour un examen médical”. L’action de ce pistolet coupe l’électricité dans le corps. Les muscles deviennent tout mous, incapables de remplir leurs fonctions et la personne s’écroule alors au sol. Une seconde utilisation, à côté de la libération de deux ardillons, consiste en une impulsion électrique par contact. Sans sa cartouche, le pistolet libère un arc électrique qui, dès qu’il est appliqué sur la personne, provoque sa chute. L’appareil est doté d’une caméra “qui filme et enregistre tout ce qu’il se passe durant son utilisation”.6 Les images et l’enregistrement pouvant être extraits dans le cadre d’une procédure judiciaire.

Si, parmi les problématiques des relations police-citoyens, nous ajoutons la pratique du contrôle au faciès7, nous pouvons constater que tout ceci mène à l’augmentation du sentiment d’injustice au sein de la population, et engendre des révoltes comme celles qui se sont déroulées dans les mois écoulés.

L’essence de la démocratie est de permettre la proposition et la discussion de projets politiques divers et, pour ce faire, de pouvoir les exprimer en manifestant. Même les opinions qui mettraient en cause le mode d’organisation actuel d’un État doivent pouvoir être exprimées, pourvu qu’elles ne visent pas à porter atteinte à la démocratie elle-même. Le droit à la liberté d’expression est consacré par l’art. 11 de la C.E.D.H.

Les répressions abusives dans l’espace public ne sont pas tolérables ni souhaitables dans l’optique d’une organisation harmonieuse de la ville, il en va de même en ce qui concerne les comportements de certains policiers et policières, non conformes d’ailleurs à leur code de déontologie.8


1 Reclaim the Night est une marche féministe en mixité choisie, pour dénoncer les violences sexistes dans l’espace public.

2 Uneus, système de collaboration tripartite police-commune-parquet lancé en juillet 2012 sur la zone de Saint-Gilles. Cette brigade créée en 2012, vise à “améliorer la qualité de vie et la réduction de la criminalité”.

3 Intervention musclée, avec gaz lacrymogènes et tirs à air comprimé rue des Sables, décembre 2017.

4 Avril 2017, le fabricant du Taser change de nom pour se refaire une image, le groupe s’appelle Axon.

5 Rappelons qu’un inspecteur principal fut poursuivi par le parquet pour coups et blessures avec des motifs racistes.

6 Jacques Prince, conseiller municipal délégué à la sécurité, Nancy, France.

7 Voir le rapport d’Amnesty International «Police et profilage ethnique, Analyse du cadre juridique en Belgique» (2018).

8 Art. 41. Les membres du personnel font preuve de retenue dans leurs actes et leurs propos et proscrivent les excès de langage, les familiarités et les gestes déplacés. Ils traitent chacun avec politesse, tact et courtoisie, veillent à conserver le contrôle de soi et prohibent tout comportement hostile, agressif, provoquant, méprisant ou humiliant. Ils s’abstiennent de tracasseries et font preuve de discernement, de sens de la mesure mais aussi de détermination. Les membres du personnel se comportent de manière exemplaire, spécialement en observant eux-mêmes les lois et règlements.

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