ACCUEILLIR SANS COMPROMETTRE LES VALEURS HUMANISTES

par | BLE, DEC 2016, Laïcité, Migration

L’ouverture des frontières… Voilà bien un projet utopiste, fondé sur un droit humain fondamental : celui de circuler librement. Et en effet, au nom de quoi empêcherait-on un homme ou une femme de quitter son pays pour aller s’établir ailleurs ? La liberté, n’est-ce pas aussi ce droit élémentaire de se déplacer, de quitter un lieu pour un autre, de se déraciner pour prendre racine ailleurs ? A l’heure où le libéralisme économique se traduit de plus en plus par une libre circulation des marchandises, n’est-il pas aberrant que les humains ne bénéficient pas de cette même liberté ? Oui, sur le plan des principes, il me paraît difficile de justifier tout frein mis à la mobilité des personnes, tant cela heurte une liberté fondamentale, celle d’aller où bon nous semble.

Pourtant, dès lors que l’on préconise l’ouverture totale des frontières, des questions se posent immédiatement, qui trouvent leur source non dans le droit, mais dans quelque chose de bien plus trivial, à savoir la (triste) réalité économique, politique, sociologique et culturelle de l’humanité. Et ces questions, il serait dangereux de ne pas s’en saisir. Car l’ouverture des frontières n’est pas qu’une question éthique. C’est aussi une question politique. À l’altruisme que commande l’éthique, il faut donc adjoindre une approche plus égoïste, au sens où André Comte-Sponville définit la politique comme un “égoïsme intelligent et socialisé”, qui se soucie non seulement de la beauté du geste, mais également de ses conséquences possibles.

Or, la réalité est la suivante : les phénomènes migratoires ne concernent pas uniquement, ni même principalement, des individus qui, jouissant d’un niveau de vie à peu près équivalent à celui de leurs semblables vivant ailleurs sur la Terre, décident cependant de migrer. La motivation des migrants est bien différente, bien plus triviale et existentielle à la fois : il s’agit pour eux de fuir la guerre, la famine, la misère, la violence, la barbarie, les bombes. Autrement dit, de fuir des pays où nul être censé ne voudrait s’installer, en tout cas dans les circonstances qui sont celles prévalant au temps T de la migration.

La réalité est aussi simple que problématique : certains pays font figure de pays de Cocagne, et le sont effectivement dans la mesure où, à tout le moins, on peut raisonnablement espérer y échapper aux bombes et y jouir d’une relative liberté avant d’y mourir de vieillesse. Il y a, c’est une triste évidence, les pays que l’on fuit et ceux qui incarnent la promesse d’un avenir meilleur – et ce même si, nous le savons bien, cette promesse est loin de se réaliser pour tous les migrants.

À moins qu’un coup de baguette magique ne pacifie demain toutes les régions du monde, en même temps qu’il en éradique la misère et la famine, les flux migratoires sont donc condamnés à être asymétriques.

La formule de Michel Rocard “La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde” (dont on oublie souvent la suite : “mais elle doit prendre sa part de cette misère.”) est bien connue. Pourtant, la question ne me semble pas se poser exactement en ces termes. En tout cas, le prisme économique ne me semble pas le plus pertinent pour l’aborder.

En effet, un migrant ne fait pas que coûter à la société qui l’accueille. Il est aussi un citoyen et un consommateur, et en tant que tel il génère de l’emploi et de la richesse. Et ce, bien entendu, d’autant plus que son intégration est réussie. Pour autant, il ne faudrait pas esquiver les difficultés réelles que suscite l’arrivée de nombreux migrants en provenance d’un pays culturellement très éloigné du nôtre.

La question me semble avoir un peu trop rapidement été esquivée ces dernières années : les migrants fuyant le terrorisme ne pouvaient, nous a-t-on dit, qu’être nos alliés dans la lutte contre le radicalisme religieux. C’est oublier cependant que ce n’est pas parce qu’on a fui Daesh qu’on est un authentique démocrate à la sauce occidentale. Ne sous-estimons pas le chemin culturel à parcourir pour un migrant en provenance d’une théocratie islamique, par exemple, où l’on lapide les femmes adultères, pend les homosexuels, excise les gamines, admet la polygamie, emprisonne les apostats… Penser qu’il va, par la magie de nos frontières largement ouvertes, devenir du jour au lendemain un fervent défenseur des droits des LGBT, un féministe acharné et un laïque convaincu relève de la naïveté.

À tout le moins, des dispositions doivent être prises pour faire connaître d’abord ces fondamentaux de nos démocraties modernes, et permettre ensuite aux migrants d’en saisir le bien-fondé. C’est pourquoi un parcours d’intégration me semble incontournable. Et celui-ci doit être obligatoire, parce que c’est la seule manière de faire en sorte que tous (et toutes !) y accèdent. Si l’on veut que les femmes, en particulier, accèdent à l’émancipation, il faut – même si cela peut sembler paradoxal – les contraindre à apprendre, en premier lieu, la langue du pays d’accueil, sans quoi elles risquent bien d’être confinées à la maison et de rester dépendantes de leur mari.

L’accueil de migrants, s’il se fonde sur une exigence humanitaire fondamentale, doit s’accompagner de mesures garantissant, ou du moins favorisant, l’adhésion à un socle de valeurs commun. Valeurs qui doivent nécessairement être pensées, discutées et reconstruites.

Faute de quoi, une ouverture, même partielle, des frontières risque de générer des effets pervers dramatiques, au premier rang desquels une augmentation du vote populiste, voire d’extrême droite. L’enfer, c’est bien connu, est pavé de bonnes intentions. Faisons en sorte qu’une politique d’accueil trop exclusivement éthique n’aboutisse pas demain à son exact opposé.

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