LA PUNITION A-T-ELLE SA PLACE À L’ÉCOLE ?

par | BLE, Education, NORMER & PUNIR

Spoiler : non, la punition n’a pas sa place à l’école. Outre le fait qu’elle nuit à l’équilibre émotionnel des enfants et donc à leurs apprentissages, le caractère souvent arbitraire et toujours unilatéral de la punition est contre-productif pour l’édification et le respect de règles de vie communes. Cet article propose de décoder brièvement la prégnance (historique) de la punition entre les murs de l’école, avant d’exposer d’autres pratiques possibles et souhaitables pour permettre d’établir avec les élèves des normes collectives, incluant la nécessité d’une sanction lorsqu’il y a transgression. C’est ainsi que l’école remplit véritablement sa mission de « préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste, respectueuse de l’environnement et ouverte aux autres cultures » (article 1.4.1-1 du Code de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire).

Dès le début de l’école à la Renaissance, les punitions et châtiments (corporels) sévères y ont largement droit de cité ; on en retrouve trace dans certains écrits pédagogiques anciens, qui tentent d’en définir les limites acceptables. Ainsi perdure jusqu’à la fin du XIXe siècle une conception strictement répressive de la punition à l’école, qui peut revêtir diverses formes. Elle vise un double objectif : moraliser l’enfant et garantir l’ordre dans la classe. Le Littré, ancien dictionnaire de langue française (1873-1877), définit la punition en milieu scolaire de la sorte : « Nom donné aux diverses peines qu’on inflige aux enfants dans les écoles et les collèges. Les pensums, la retenue, les arrêts, la privation de sortie sont des punitions ».

Cette approche répressive à l’égard des comportements perturbateurs des élèves (ou du moins perçus comme tels par les professeurs) est loin d’avoir disparu. Selon les travaux d’Éric Debarbieux, pédagogue français spécialisé dans les questions de violence à l’école, la punition à l’école est toujours fréquente : les chiffres qu’il publie en 2018 indiquent qu’en France, en primaire, ce sont environ six élèves sur dix qui ont été punis depuis le début de l’année scolaire (total d’élèves interrogé·es : 7 945). Quant aux punitions pratiquées, elles dénotent la plupart du temps d’un caractère autoritaire et arbitraire : « j’ai été privé de récré » (27,8%), « je me suis fait crier dessus » (20,6 %), un mot aux parents ou un avertissement (18,4 et 16,5 %), « j’ai eu des lignes à copier » (15 %), « j’ai dû aller au coin » (10,9 %), une punition pour toute la classe (10,6 %)… Sont encore cités, à des fréquences moindres, d’autres types de punition, dont une exclusion de la classe, un devoir supplémentaire et une exclusion de l’école.[1]

Or, la dynamique punitive entraîne souvent plus de difficultés qu’elle n’en résout, comme l’avaient déjà bien compris les pédagogies nouvelles dès leur émergence au début du XXe siècle. Ainsi Célestin Freinet (1896-1966) signale-t-il dans ses invariants pédagogiques que « les punitions sont toujours une erreur. Elles sont humiliantes pour tous et n’aboutissent jamais au but recherché. Elles sont tout au plus un pis-aller ». La manière dont est envisagée la discipline en classe est intrinsèquement liée à la conception de l’éducation – et donc à la question de ses visées et de la posture de l’adulte dans la relation éducative. Le XXe siècle et ce début de XXIe siècle sont marqués par la coexistence de deux grands paradigmes éducatifs, ce qui n’est pas sans susciter diverses tensions au sein des établissements scolaires, notamment…

Émergence d’un nouveau paradigme éducatif

Ce que nous appellerons par commodité l’ancien paradigme éducatif – majoritaire pendant des siècles, et encore peu ou prou présent de nos jours dans de nombreux institutions et foyers – est marqué par l’autoritarisme, c’est-à-dire le contrôle de l’adulte sur l’enfant et l’obéissance qui est attendue de celle-ci ou celui-ci. La relation éducative est donc avant tout caractérisée par un rapport de force, qui octroie à l’adulte un pouvoir (considéré comme légitime et nécessaire) sur l’enfant. Au sein des écoles, les enseignants se voient conférer une position supérieure à celle de l’élève ; ils ou elles entendent contrôler ce qui se passe en classe, et pour ce faire il ou elle peut faire la morale, critiquer, juger, apprécier, punir…

Le nouveau paradigme éducatif, quant à lui, émerge dès la première moitié du XXe siècle, et devient plus présent pendant la seconde moitié. Il repose sur une évolution du regard porté sur l’enfant, notamment suscitée par les valeurs défendues par des pédagogues engagés et par les progrès des recherches scientifiques. Celles-ci permettent (en particulier depuis la seconde moitié du XXe siècle) l’approfondissement des connaissances du développement de l’enfant, désormais considéré comme sujet à part entière et possédant dès sa naissance des compétences réelles des points de vue cognitif, social et affectif. Dès lors, dans le nouveau paradigme éducatif qui émerge, l’adulte adopte davantage une posture reposant sur l’authenticité, l’intégrité et la responsabilité, tout en utilisant le dialogue et la négociation comme base relationnelle avec les enfants.

Janusz Korczak, communément considéré comme le principal inspirateur des droits de l’enfant, écrit dès 1919-1920 (dans son livre Comment aimer un enfant) : « Je pense que le premier et le plus indiscutable des droits de l’enfant est celui qui lui permet d’exprimer librement ses idées et de prendre une part active au débat qui concerne l’appréciation de sa conduite et, si nécessaire, de sa punition ». Cela montre la dimension politique importante de cette nouvelle approche de l’autorité éducative, d’ailleurs reprise en 1989 au cœur de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant : son article 12 consacre en effet le droit à la participation des enfants pour toute question les concernant.

Punition, sanction éducative et sanction réparatrice

Dans le nouveau paradigme éducatif, il ne s’agit pas tant d’abandonner toute idée de sanction suite à une infraction – comment alors pourrait se produire le nécessaire apprentissage de la loi commune… ? – que d’en réfléchir et modifier les modalités. Il s’agit de quitter le mode intrinsèquement répressif et arbitraire de la punition pour évoluer vers la sanction, définie comme la « réaction d’une personne juridiquement responsable, ou d’une instance légitime, à un comportement qui porte atteinte aux normes, aux valeurs ou aux personnes d’un groupe constitué ».[2]

 PUNITIONSANCTION ÉDUCATIVESANCTION RÉPARATRICE  
Quel objet ?On punit une personneOn sanctionne un comportementOn sanctionne le non-respect d’une règle connue de toutes et tous et construite ensemble
Quelle visée ?Orthodoxie : conformité à une doctrine prescrivant des règles de pensée ou de conduite Loi du Talion : la peine doit être à hauteur du préjudice causéPrise de conscience par l’exemple RédemptionOrthopraxie : accomplissement d’une action ou d’un geste juste
Qui décide ?L’adulte, sans demander son avis à l’élèveL’adulte, en expliquant à l’élève pourquoi il ou elle choisit celaL’élève en accord avec la victime ou la personne ayant subi un préjudice
Quelle finalité ?Susciter chez l’élève peur, honte ou gêne le dissuadant de recommencerEn réfléchissant à ce qu’il ou elle a fait, l’élève peut prendre conscience des conséquences de son acteEn réparant son acte, l’élève solde les comptes et on efface toute trace
Quelle référence à la loi ?Pas de référence à une règle ou la loiParfois mais pas forcément référence à une règle ou la loiToujours référence à une règle ou la loi
Qui exerce l’autorité ?L’adulteL’adulteL’assemblée d’élèves ou les personnes concernées, se référant à la loi décidée ensemble

Comme l’illustre ce tableau, quitter le mode de la punition pour mettre en place la pratique de la sanction implique un changement à différents niveaux, conformément aux visées du nouveau paradigme éducatif.

La sanction éducative, en mettant l’accent sur le comportement, le dialogue et la possible prise de conscience de l’élève, représente déjà un progrès notable à cet égard. Cependant, cette pratique reste inaboutie – notamment dans la manière dont sont édictées les règles et la loi, ainsi que dans celle dont s’exerce l’autorité. Or, ces deux aspects sont particulièrement importants dans la visée citoyenne, émancipatrice et démocratique qui doit être centrale dans l’action éducative…

Pour parvenir à instaurer la sanction réparatrice, un des préalables est que les règles soient connues de tout le monde, grâce à un exposé clair de ce qui est « négociable » et ce qui ne l’est pas et/ou pourrait le devenir. La part non négociable des règles concerne les missions et programmes scolaires ainsi que les fondamentaux de toute démocratie. Par exemple, l’interdit de la violence ne se discute pas et s’applique à toutes et tous, élèves comme enseignantes et enseignants.

Dans les faits, la difficulté ne semble pas tant être la connaissance des règles par les élèves – généralement bonne – que de faire reconnaitre ces règles comme légitimes. À cet égard, Bernard Defrance, philosophe français, ancien professeur en école normale et en lycée, indique où le bât blesse : « recevoir la loi, ou se la voir imposer, que ce soit pour s’y soumettre ou la rejeter, empêche de la construire. Or le respect de la loi suppose qu’elle soit vécue comme point d’appui et non comme obstacle à la liberté ».[3] C’est donc en faisant participer les élèves à l’élaboration des lois et règles de fonctionnement régissant le vivre ensemble au sein de l’établissement scolaire que le corps enseignant peut s’assurer que les règles sont non seulement connues, mais aussi (idéalement) acceptées et intégrées par les élèves. Dans cette perspective, la transgression est alors moins un acte de désobéissance vis-à-vis de l’adulte qui, dans l’ancien paradigme, concentre l’autorité et le pouvoir au sein de la classe dans ses seules mains – que la violation du lien de solidarité et de respect qui relie les membres du groupe-classe.

De surcroît, toute personne exerçant une mission éducative est consciente qu’il y aura forcément des transgressions ; leur possibilité fait partie intégrante du processus de socialisation et de construction des enfants et des jeunes. L’école leur permet d’apprendre progressivement les exigences d’un vivre ensemble socialement, qui diffère de celui de leurs familles, communautés culturelles et/ou ethniques. « Il est donc absurde de reprocher aux enfants ou aux jeunes leur ignorance des règles sociales, puisqu’ils viennent précisément à l’école pour la combler », souligne Bernard Defrance. À l’adolescence, l’infraction peut même revêtir une valeur « initiatique », note le philosophe, « comme substitut des pouvoirs qu’ils ne peuvent exercer dans la réalité sociale et notamment scolaire. Il est donc d’autant plus important que les infractions soient traitées dans la loi ».

La justice restaurative à l’école

Dès ses débuts il y a plus d’un siècle, l’éducation nouvelle préconisait de responsabiliser les enfants en les faisant participer (via des conseils) aux décisions concernant la vie ensemble. D’après les pionnières et pionniers de ce courant, « les lois, les sanctions et les dirigeants doivent exister, mais ils tirent leur légitimité de leur désignation collective ».[4] Il y a là une volonté de reproduire un système démocratique au sein même de l’école, afin de faire vivre activement la citoyenneté aux enfants, que nous retrouvons dans les pratiques de justice restaurative. Celle-ci est par exemple particulièrement développée dans le cadre du projet d’écoles citoyennes, dont les fondements et outils sont partagés dans un ouvrage du sociologue et philosophe Bruno Derbaix[5] ainsi que via un site internet.[6]

Au cœur du dispositif d’école citoyenne se retrouve (logiquement) la construction commune des règles : la loi est décidée par le collectif, formé des élèves et des adultes – ces derniers n’ayant pas plus de place que les jeunes. De plus, la pratique de la justice restaurative en milieu scolaire nécessite de la part des adultes une série d’attitudes et d’actes – tantôt plus formels, tantôt largement informels – qui ont pour but, outre et en amont de la résolution des conflits, de créer un climat de confiance et de coopération.

Lors de conflits, cinq questions restauratives sont employées auprès de la personne qui a commis un tort : que s’est-il passé ? À quoi pensais-tu à ce moment-là ? Qu’en penses-tu maintenant ? Qui a été affecté par ce que tu as fait (de quelle façon) ? Que peux-tu faire pour que les choses s’arrangent ? Des questions analogues (liées à son ressenti et son souhait de réparation) sont posées à la personne qui a subi un tort. En cas de transgression avérée aux règles communes – c’est-à-dire tout comportement nuisant à autrui –, la justice restaurative vise à réparer les dommages causés à la victime, afin de rétablir sa dignité et sa puissance d’agir, et/ou à rembourser les dégradations matérielles. Cette approche mène donc à une rencontre entre auteur(s), victime(s) et collectivité pour résoudre l’ensemble des conséquences d’un méfait, en cherchant une restauration à trois niveaux : individuel, interpersonnel et collectif. En raison de cette dernière dimension, la justice réparatrice peut prévoir une réparation d’intérêt général. Celle-ci demande à l’élève coupable de transgression de poser un acte visible qui montre qu’il ou elle a compris en quoi son comportement constituait une incivilité nuisant au groupe. La réparation (tant matérielle que symbolique) revêt alors une véritable valeur sociale et permet la réhabilitation.

L’émergence et l’approfondissement du sentiment démocratique

En démocratie, « le citoyen n’est pas seulement celui qui obéit à la loi mais aussi celui qui la fait avec les autres »; il s’agit donc de « faire de l’école […] un temps d’apprentissage de la démocratie », indique Bernard Defrance. En prévoyant une place active et régulière à la parole des élèves, en particulier dans l’élaboration de la loi commune, la nouvelle autorité permet de nourrir et d’approfondir le sentiment démocratique des élèves. 

À cet égard, il est essentiel de rappeler que la démocratie et ses normes ne sont pas figées. Pour en refléter le caractère profondément vivant et participatif, l’école se doit de garantir auprès de tous les élèves non seulement la transparence et la mise en débat des décisions, mais aussi la possibilité d’exprimer et d’exercer des points de vue divergents et, le cas échéant, un contre-pouvoir.

La démocratie gagne à être rêvée et réinventée par chaque génération ! Gageons que les pratiques éducatives ancrées dans le nouveau paradigme – incluant la nécessaire visée réparatrice des sanctions – contribueront au renouvellement d’une démocratie, dans et hors l’école, qui soit véritablement créatrice et à laquelle chacune et chacun puisse contribuer pleinement…

Au moment de finaliser cet article, nous apprenons et saluons l’adoption définitive par le Parlement de la Fédération Wallonie d’un projet de décret qui stipule que « tout enfant a droit à une éducation non violente », et interdit toute forme de violence physique ou psychique à l’égard des enfants dans toutes les structures autorisées, agréées, subventionnées ou organisées par la Communauté française (dont les écoles). Le décret précise notamment que « les sanctions et mesures prononcées à l’encontre d’un enfant sont adaptées à la maturité et au niveau de développement de l’enfant et proportionnées à la nature et à la gravité des faits. Elles sont toujours éducatives et n’ont pas d’effet traumatisant ».

Source : Parlement de la Communauté française, Projet de décret relatif à l’interdiction des violences à l’égard des enfants dans les structures autorisées, agréées, subventionnées ou organisées par la Communauté française, adopté en séance plénière le 4 octobre 2023.


[1] Éric Debarbieux et Benjamin Moignard, « Les impasses de la “punition” », in Éric Debarbieux (dir.), L’impasse de la punition à l’école. Des solutions alternatives en classe, Armand Colin, 2018, p. 15.

[2] Eirik Prairat, La sanction en éducation, puf, 2003, p. 9.

[3] Cette citation de Bernard Defrance et les suivantes sont issues de l’ouvrage : Bernard Defrance, Sanctions et discipline à l’école, La Découverte, 2009, p. 121.

[4] Marie-Laure Viaud, « La question de l’autorité au fil de l’éducation nouvelle », in Benoît Galand et al. (ed.),

Prévenir les violences à l’école, puf, 2012, p. 155.

[5] Bruno Derbaix, Pour une école citoyenne. Vivre l’école pleinement, La Boite à Pandore, 2018.

[6] www.ecolecitoyenne.org  

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