AIDE À LA JEUNESSE ET MISE EN AUTONOMIE À BRUXELLES : DÉLOGER UNE DISCRIMINATION

par | BLE, Education, Jeunesse, Politique

La crise du logement impacte aussi l’Aide à la jeunesse. Des réponses structurelles et équitables peuvent être mises en place pour soutenir le travail de terrain et déloger les discriminations qui existent aujourd’hui entre jeunes en Wallonie et à Bruxelles.

Depuis une dizaine d’années, le nombre de mineurs sans abri ou mal logés en Région de Bruxelles-Capitale ne cesse d’augmenter. Entre 2008 et 2020, ce chiffre a été multiplié par cinq pour atteindre 933 (et 4380 adultes). Il est à craindre que le prochain dénombrement opéré par Bruss’Help[1] ne dépasse les 1000 enfants.

Le principe directeur de la CIDE[2] est que tous les enfants sont égaux : elle lutte contre toute forme de discrimination. Elle introduit aussi la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, qui a pour but de “toujours agir avec la perspective du bien-être de l’enfant et ainsi lui permettre de grandir en bonne santé, d’avoir accès à l’éducation, de se développer au meilleur de son potentiel, de s’exprimer, et d’avoir des perspectives d’avenir”.

L’enseignement, la santé, la culture, le sport ou l’égalité des chances sont autant de matières qui concernent directement ou indirectement l’enfant et ses droits. De manière plus spécifique, il existe aussi un ministère de l’enfance et enfin un ministère spécifiquement consacré à l’Aide à la jeunesse.

Si l’ensemble de ces compétences sont réunies au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), elles sont néanmoins réparties entre différents ministres appartenant aux différents partis de la coalition. En revanche, les compétences liées aux questions de logement relèvent quant à elles des Régions. Mais laissons là les considérations institutionnelles pour revenir au plus proche du terrain, quelque part entre le caniveau et Macadam.

“JEUNES EN ERRANCE”

Macadam, c’est le nom donné à une association créée en 2020 pour mettre fin au sans-abrisme des jeunes en région bruxelloise. Cette initiative[3] portée par des acteurs associatifs et soutenue par la Région bruxelloise et la FWB est née des suites d’une campagne[4] portée par une plateforme d’associations bruxelloises.

Cette initiative – et les soutiens dont elle bénéficie – a cela de rassurant qu’elle nous montre que la question existe politiquement. Le projet “jeunes en errance” et la campagne “#Lesincasables” ont permis de sensibiliser le monde politique à la question et ont même donné lieu à 46 recommandations de la part du Parlement francophone bruxellois.

Parmi ces 46 recommandations, on trouvera le soutien aux dispositifs existants et le développement de collaborations entre les différents acteurs concernés. On trouvera aussi des recommandations en matière de simplification administrative, de soutien aux stratégies de “Housing First[5] ou encore “l’autonomisation des jeunes qui responsabilise”.

LA MISE EN AUTONOMIE : L’AIDE À LA JEUNESSE FACE AU LOGEMENT

Cette autonomisation ou “mise en autonomie” (MEA) n’est pas qu’une recommandation, c’est aussi et surtout l’une des missions confiées à un certain nombre de services agréés et mandatés par l’Aide à la jeunesse.

En quelques mots, cette disposition concerne les enfants à partir de 16 ans pour lesquels ni le maintien en milieu de vie, ni le placement en institution ne sont recommandés. Sur une base consentie ou contrainte selon les cas, ces enfants seront pris en charge par un service agréé qui les accompagnera dans cette mise en autonomie.

Avec ce joli mot d’autonomie, c’est surtout d’indépendance – notamment financière – vis-à-vis de la famille dont il s’agit.

Le premier et le plus déterminant des enjeux de cette indépendance est celui du logement.

Dans la pratique, lorsqu’ils sont pris en charge, ce qui peut prendre du temps, les jeunes bénéficiaires seront accompagnés par un service dans les différents aspects de cette mise en autonomie. Une allocation leur sera versée par l’Aide à la jeunesse après qu’ils aient signé un bail locatif (en leur nom). Le bail est d’autant plus déterminant qu’il conditionne l’accès à l’allocation. La première mission des intervenants sociaux est donc d’accompagner ces jeunes sur le marché locatif et de trouver avec eux un logement décent et abordable. Une fois le jeune installé dans un “chez-soi”, le travail socio-éducatif pourra commencer en vue de préparer au mieux l’arrivée dans l’âge adulte. Dans les faits, les intervenants sociaux sont accaparés par une tâche “d’agent immobilier” pendant plusieurs mois tandis que les jeunes doivent prendre leur mal en patience tout en apprenant les rouages de la recherche d’appartement.

UNE ALLOCATION, DES DISCRIMINATIONS

Les modalités de l’accompagnement des “mises en autonomie” sont définies par le code de l’Aide à la jeunesse de 2018 et sont identiques dans tous les arrondissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce qui signifie qu’un enfant “mis en autonomie” à Bruxelles, à Viroinval ou à Hastière se verra accorder la même allocation alors que la part réservée au seul budget lié au logement pourra être multipliée par trois en fonction du lieu de vie. Pour le dire de manière plus triviale : un jeune Bruxellois vivra avec moins d’argent et/ou devra se contenter d’un logement moins digne qu’un jeune vivant en Wallonie. Mais ces différences sont aussi notables entre un jeune Liégeois et un jeune de Viroinval.[6]

Jusqu’en 2019, l’allocation de “mise en autonomie” était scindée en deux parties, l’une étant réservée au loyer. Jusqu’à ce qu’un arrêté vienne occulter cet élément, la part réservée au loyer était de 350€ ce à quoi il fallait ajouter une allocation calculée sur base quotidienne. Or en 2019, le rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté notait “que le loyer moyen d’un studio de moins de 28 m² s’élevait à environ 461€”.

La bonne nouvelle, c’est que depuis 2019, l’allocation perçue a augmenté de 840€ à 1060€. La mauvaise nouvelle, en revanche, c’est que le prix des loyers bruxellois a continué d’augmenter et que la crise sanitaire est venue ajouter une pression supplémentaire sur le marché immobilier.

En 2022, il est difficile de trouver un logement décent sur le marché pour moins de 500€. Le prix du loyer détermine aussi le montant de la garantie locative, un “frein” parmi d’autres freins dans l’accès au logement décent.[7] À cela, il faudra rajouter les factures d’énergie et de communication et les éventuelles charges d’immeuble avant d’obtenir le montant avec lequel les jeunes vont devoir essayer de vivre décemment leur autonomie.

Malgré une puissance de calcul propre à l’âge numérique et même avec un sens aigu de la débrouillardise, ça ne laisse pas grand-chose pour se nourrir, se vêtir, avoir un projet de formation, une activité sportive et/ou culturelle, partir en vacances. Autant de postes de dépenses qui ne relèvent pas du confort, mais bien des Droits de l’enfant tels que définis par la CIDE.

Dans ces conditions, on peut se demander quelle est la proportion de la jeunesse bruxelloise “mise en autonomie” qui va rejoindre les rangs des “jeunes en errance”.[8]

Il n’existe pas d’études ou de statistiques qui répondent clairement à cette question. L’administration de l’aide à la jeunesse estime que 5% des enfants qui auraient pourtant droit à une aide “échappent” à ses services. Les services mandatés qui accompagnent les jeunes parlent parfois de 20% des suivis qui n’aboutissent pas à un logement décent et qui quittent le giron de l’Aide à la jeunesse à leur majorité dans une situation de précarité extrême.

Des enfants se trouvant en situation de danger de telle sorte qu’ils ont été pris en charge par l’Aide à la jeunesse et mis en autonomie sont dans une situation de pauvreté. Et à ce titre, les Bruxellois sont particulièrement défavorisés, ce qui constitue pour eux une discrimination supplémentaire.

Heureusement, un certain nombre d’acteurs se mobilisent pour ne pas faire de cette déplorable situation une fatalité. À leur niveau, des travailleurs de terrain se mobilisent pour mettre sur pied des partenariats avec des AIS, des CPAS, des associations philanthropiques, des investisseurs et des pouvoirs publics pour mettre sur pied des solutions de logement adaptées aux situations concrètes auxquelles ils sont confrontés.

S’il faut saluer ces initiatives, leurs succès et le soutien dont elles bénéficient, il est indispensable de mettre en place des mécanismes structurels qui placent la Belgique dans le respect de ses engagements légaux et moraux à l’égard des enfants.

LA RÉGION BRUXELLOISE PEUT COMPENSER CETTE DISCRIMINATION

Quand les choses bougent dans le bon sens, il n’est pas pour autant certain que les mécanismes mis en place soient réellement opérationnels. À ce titre, il faut saluer une disposition récente du Gouvernement bruxellois qui met en place une allocation-loyer. L’idée est de permettre aux dizaines de milliers de ménages bruxellois sur liste d’attente pour l’obtention d’un logement social de bénéficier d’un soutien effectif allant jusqu’à 160€/mois dans le règlement de leur loyer. Cette disposition réservée aux personnes majeures prévoit la possibilité pour un mineur MEA de bénéficier de la mesure. Dans la pratique, cette disposition restera sans effet pour la plupart des MEA. Car pour être éligible, un dossier doit obtenir un certain nombre de “points de priorité”. Ces points relèvent du mécanisme d’attribution des logements sociaux afin d’établir l’ordre de la liste d’attente. Sans entrer dans le détail, un MEA n’a quasi aucune chance d’obtenir le nombre de points nécessaires pour percevoir cette allocation et encore moins pour espérer accéder à un logement social. Ou du moins pas durant la période durant laquelle il sera pris en charge par l’Aide à la jeunesse.

En somme, il y a de l’idée, et disons même que ça va dans le bon sens. Mais nous restons encore très loin de la prise en compte d’une réalité. Celle d’enfants vivant une période décisive de leur existence dans des conditions très fragiles pour laquelle la moindre des choses que l’on puisse leur garantir est une sécurité matérielle d’existence qui ne soit pas conditionnée par la rigidité administrative. Outre les points de priorité, il faudrait encore qu’ils aient une carte bancaire à leur nom, un extrait de rôle de l’antépénultième année. Reste à espérer que le Gouvernement poursuivra sa démarche de simplification de la démarche en veillant à ce que les MEA ne soient pas tenus d’effectuer une démarche dérogatoire qui serait appréciée au cas par cas.

LA FÉDÉRATION WALLONIE BRUXELLES AUSSI…

Jusqu’en 2019, l’allocation de mise en autonomie distinguait une partie consacrée au loyer. Nous pourrions imaginer un retour à cette partition afin de permettre une pondération de celle-ci en fonction a réalité du prix du loyer de chaque territoire. Une grille indicative des loyers a été mise en place tant en Région wallonne qu’en Région bruxelloise. Ces grilles indicatives ont fait l’objet de critiques mais constituent une base légale sur laquelle pourrait s’appuyer un tel mécanisme.

“AUTONOMISATION DES JEUNES QUI RESPONSABILISE”

Le soutien des pouvoirs publics aux acteurs de terrains est indispensable d’autant que ces derniers sont les plus à même de mettre en œuvre des solutions adaptées aux réalités qu’ils rencontrent.

Mais ce soutien doit être adossé à la mise en place de politiques publiques qui rendent effectifs les droits auxquels les “enfants” peuvent prétendre. Le droit à un logement décent est une priorité pour tous et pour les enfants d’abord. Les recommandations du Parlement francophone bruxellois préconisaient une “Autonomisation des jeunes qui responsabilise”. Rappelons que c’est à l’Etat belge qu’il incombe de prendre cette responsabilité et de respecter ses engagements internationaux, notamment la CIDE en permettant aux jeunes pris en charge par les services de l’aide à la jeunesse (ou non) de se loger décemment dans le respect du budget qui leur est alloué.


[1] Organe régional de coordination de l’aide aux personnes sans abri.

[2] Convention Internationale des Droits de l’Enfants, ratifiée par la Belgique en décembre 1991.

[3] Macadam asbl : dispositif d’accueil de jour bas seuil pour les jeunes en errance de moins 26 ans.

[4] “Jeunes en errance”, un projet piloté par Le Forum – Bruxelles contre les inégalités ; le Service de santé mentale Le Méridien ; les services non-mandatés de l’Aide à la Jeunesse Le Cemo, SOS Jeunes – Quartier Libre et Abaka ; l’asbl L’Ilot ; la Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale. Avec le soutien du Délégué général aux droits de l’enfant.

[5] Housing First : C’est une manière innovante et efficace de viser l’insertion sociale des personnes sans-abri les plus fragiles. Le Housing First est un changement de logique : le logement est la première étape et on peut y accéder sans conditions.

[6] Viroinval fait partie des communes où le logement est le plus abordable en Wallonie.

[7] L’ASBL Capuche a été mise sur pied par des services de l’aide à la jeunesse, mandatés et non mandatés ainsi que par “Solidarité Logement asbl” pour mettre en place un système de prêts de garantie locative à destination notamment des MEA.

[8] Même lorsqu’ils sont “bien logés”, les MEA sont maintenus en dessous du seuil de pauvreté et souvent en “privation matérielle grave” au sens du SPF Sécurité Sociale.


Photo : unsplash.com-©David East

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