AUCUN DROIT SUPÉRIEUR À UN AUTRE

par | BLE, Education, Jeunesse, Social

Difficile d’aborder mes inquiétudes en termes de droits de l’enfant sans pointer les conséquences de la crise sanitaire sur le développement des enfants et des jeunes. Tant la crise a révélé de manière plus criante les violations des droits et les inégalités constantes entre les enfants, quand elle ne les a pas elle-même créées. La période que nous traversons encore nous affecte toutes et tous. Sans exception. Mais ce sont surtout les personnes les plus éloignées de leurs droits, celles qui étaient déjà en difficultés, qui restent les plus affectées après plusieurs mois d’une crise sans précédent. Et qui dure. Non, la crise n’est pas finie.

Les premières études s’accordent pour souligner l’ampleur des conséquences qu’aura eue cette pandémie : pauvreté, précarité et isolement accrus, aggravation des inégalités, accentuation du mal-logement, augmentation de l’abandon et du décrochage scolaire, effets délétères sur la santé mentale des enfants et des jeunes en particulier. J’ai tenté, dans ces circonstances, de rester attentif aux différents secteurs d’activité dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse. De très nombreuses questions et plaintes nous ont été adressées à partir desquelles nous avons relevé plusieurs constats et formulé une série de recommandations vis-à-vis des responsables politiques ou administratifs

UN CONFINEMENT PRÉTENDUMENT ALLÉGÉ

La priorité politique donnée à la reprise de l’école après plusieurs mois d’enseignement à distance a été unanimement saluée. Le manque de relations, l’isolement et le manque d’encadrement pédagogique avaient considérablement affecté la vie de tous les enfants, avec une inquiétude spécifique pour les moins bien lotis. De nombreux constats de décrochage, ou d’abandon scolaire, avaient été dressés par l’ensemble des écoles et plus spécifiquement celles qui accueillent majoritairement des publics fragiles.

Alors que la situation sanitaire reste plutôt stable depuis la rentrée scolaire, l’arrivée du variant Omicron n’a pas permis, au début, un assouplissement des mesures, bien au contraire : plus de classes ou d’écoles fermées que l’année précédente à la même époque, alors qu’en absence de toute vaccination, les contaminations et leurs conséquences sur les hospitalisations étaient largement plus inquiétantes. Le nombre de tests que subissent les enfants  reste  considérable  depuis la reprise de septembre 2021, tests qui s’avèrent trop invasifs, désagréables à subir, qui peuvent se révéler dangereux et qui représentent parfois un réel traumatisme pour les enfants. D’autres formes de tests (notamment salivaires) existent et devraient être proposés à la place des tests PCR. En outre, les nombreuses quarantaines impactent toujours négativement autant les enfants que l’organisation des familles. La continuité des apprentissages est fortement compromise et l’accès aux activités extra-scolaires devient aléatoire alors que ces dernières représentent souvent un lien de confiance extrêmement précieux. Les mises à l’écart pour des raisons de prévention sanitaire, surtout lorsqu’elles se répètent, sont régulièrement vécues comme des exclusions et altèrent la qualité générale des relations au sein des communautés scolaires. On ne peut négliger leurs conséquences sur la santé mentale des enfants. De plus, l’isolement des familles et les moments de stress qu’il provoque, augmentent considérablement les tensions qui peuvent déjà exister au sein des familles.

Le maintien à l’arrêt, ou à distance, d’autres acteurs sociaux, en lien avec l’enfance et la jeunesse, n’a malheureusement pas permis de limiter les dégâts occasionnés : de nombreux enfants, sans soutien effectif de celles et de ceux qui font le lien entre leur famille et l’école (AMO, écoles de devoirs, maisons de jeunes, centres d’éducation permanente, etc.) n’ont pas repris le chemin de l’école.

Si les enfants, comme tous les citoyens, doivent être soumis à des règles sanitaires dont on peut espérer qu’elles nous sortiront de la crise, on peut légitimement se demander s’il est normal, alors qu’ils sont moins concernés par les formes les plus graves de la maladie, qu’ils fassent l’objet d’une surveillance particulièrement pointue et de mesures de quarantaine bien plus sévères que dans tous les autres secteurs de la société.

UNE PROFONDE DÉTRESSE PSYCHOLOGIQUE

Autre constat partagé,  la  prévalence des symptômes  anxieux  et  dépressifs a augmenté de manière spectaculaire. Plusieurs facteurs entrent en jeu dans la détérioration  de  la  santé  mentale  des plus jeunes dont, notamment, les perturbations de l’accès aux services de soins qui s’ajoutent aux fermetures scolaires. Ces dernières ont en effet provoqué à la fois des difficultés techniques et pédagogiques  du  fait  de  l’enseignement  à distance mais aussi créé une privation de contacts sociaux avec les pairs et les adultes en charge d’éducation au sein des écoles. Les facteurs de protection, dont les interactions sociales qui participent fortement à une bonne santé mentale, ont été considérablement affaiblis.

Il faudra se souvenir que, malgré les nombreux signaux d’alerte provenant d’aussi nombreux acteurs de terrain, il aura fallu que les pédopsychiatres sortent du bois pour que les gouvernements commencent à prendre la mesure du cataclysme qui se déroulait pourtant sous leurs yeux. Et ce n’est que parce que les “lits” en services pédo- et psychiatriques débordaient que des premières mesures, bien insuffisantes, ont été prises pour tenter d’augmenter la prise en charge de ces très nombreuses situations de détresse psychologique.

LES DÉGÂTS INCOMMENSURABLES DE LA PAUVRETÉ SUR LES DROITS DES ENFANTS

Outre la question scolaire et de santé, la pauvreté des familles a été accentuée à cause de la crise. La perte de revenus a entraîné des choix drastiques qui, pour protéger l’indispensable, ont compromis ce qui peut paraître non essentiel : loisirs, culture, sport, dépaysement. On ne le rappellera jamais assez : la pauvreté affecte chacun des droits de l’enfant repris dans la CIDE.[1] On ne peut accepter que les équipements collectifs ne puissent pas effectivement réduire l’impact et les conséquences de la pauvreté des familles sur le développement des enfants. Il en va ainsi de l’insuffisance de l’offre en milieux d’accueil pour la petite enfance, des inégalités inacceptables du système scolaire, du coût prohibitif des activités sportives, culturelles ou de loisirs. Bien sûr les recettes pour protéger les enfants de la précarité sont largement connues : “il suffirait” d’augmenter le montant du salaire minimum garanti, d’augmenter les allocations de remplacement, d’individualiser et d’automatiser les droits sociaux pour qu’une large majorité des enfants soient économiquement protégés. Mais on ne peut attendre indéfiniment ces transformations radicales : la pauvreté infantile est une réalité qui doit être combattue non seulement par des actions sur les revenus des familles, mais aussi par des politiques ambitieuses directement dirigées vers les enfants.

BEAUCOUP D’AUTRES INQUIÉTUDES

La crise n’a évidemment pas effacé de nombreux autres sujets qui existaient déjà avant la crise, malheureusement déjà très inquiétants.

Un nombre important de situations d’enfants dits “à double diagnostic”, présentant une déficience intellectuelle et de lourds troubles du comportement, nous sont régulièrement adressées. Et ce, parce que, malgré  la  gravité  des  problèmes de santé qu’ils présentent, aucune place dans une institution qualifiée ne pouvait leur être trouvée ! Avec pour conséquence que ces enfants, particulièrement difficiles à gérer, demeuraient à la charge de leurs parents, logiquement dépassés par les comportements de leurs propres enfants. Après de nombreuses séances de médiation institutionnelle, rassemblant les professionnels concernés par la problématique, le constat peut paraître désespérant. Outre que certains établissements, pourtant dédicacés et subsidiés pour l’accueil de ce type d’enfants, rechignent régulièrement à prendre part à un partage de responsabilité (surtout lorsque l’urgence s’impose), des contraintes et des formalités purement administratives complexifient de manière inconsidérée la recherche d’une solution dans l’intérêt supérieur du mineur. À titre d’exemple, l’absence d’un accord fort et clair entre les Régions wallonne et bruxelloise a provoqué des retards considérables dans la prise en charge de plusieurs enfants au cours de cette seule année. Cette légèreté et ces retards dans l’établissement d’un protocole commun pour des enfants résidants dans une des entités et hébergés dans l’autre, en cours de résolution cependant, restent néanmoins coupables.

La situation des Mineurs Étrangers Non Accompagnés[2] reste délicate. Ceux qui entrent dans une logique de demande de protection internationale bénéficient d’un accueil et sont soutenus par un tuteur désigné dès leur déclaration d’arrivée. Mais le nombre de ces tuteurs insuffisant et la faiblesse de leur qualification continuent de nous inquiéter. La qualité de l’accueil doit aussi être questionnée. On a vu des demandeurs d’asile logés dans des containers qui suintent, d’autres sous des tentes installées dans des halls omnisports, ou encore dans des centres d’accueil et des dortoirs surpeuplés, où l’agressivité, le stress et une hygiène déplorable semblent faire partie de la déco ! Voilà l’accueil “à la Belge” qui est réservé aux réfugiés ! La situation est malheureusement loin d’être exceptionnelle. Elle se reproduit d’année en année, au gré de l’intensité des conflits, des guerres ou des catastrophes dans le monde. Si la pression migratoire varie, sur un temps plus long, elle est constante, voire toujours un peu supérieure. Et il n’y a aucune raison que ça change. Ainsi, la logique de “fermeture-réouverture” des centres d’accueil selon leur taux d’occupation est un non-sens et ne représente qu’une très faible économie : désaffecter puis réaffecter un bâtiment comporte un coût. Tout comme licencier du personnel expérimenté, le mettre au chômage pour réengager du personnel et le former quelques mois plus tard. Les places pour MENA n’échappent pas à cette logique. Avec pour conséquence supplémentaire qu’en période de crise, les MENA sont régulièrement hébergés dans des centres pour adultes. Mais, par-dessus tout, cette gestion à la petite semaine, que le personnel de Fedasil lui-même dénonce régulièrement, procure un accueil de très piètre qualité à des enfants et des familles qui reviennent du pire. Et chacun sait que le premier accueil qu’ils auront reçu, l’empathie ou la rudesse, le cœur battant ou l’indifférence qui auront marqué leurs premiers jours conditionneront en bonne partie la suite de leur parcours et de leur intégration.

Mais nos plus grosses inquiétudes concernent les mineurs qui ne sont ni demandeurs d’asile, ni demandeurs de protection internationale temporaire. Sans toit, sans argent, sans moyens de subsistance, ils sont à la fois fragiles et débrouillards, mais aussi revêches et rebelles. Les approcher, mieux les accrocher à une démarche de régularisation est très difficile : ils ne souhaitent pas être identifiés, de peur d’être arrêtés et expulsés, et leur état psychologique est souvent altéré par leurs différentes consommations (white spirit, colle, benzodiazépines, alcool, etc.). Le travail de rue (ou de très grande proximité) se révèle souvent la seule piste pour créer un contact et tenter de les sortir de la rue.

PETITES VICTOIRES

La situation des enfants belges retenus en Syrie a connu, en partie, un dénouement heureux à la mi-juillet 2021, avec le rapatriement de plusieurs mères avec leurs enfants. Ce retour correspondait à ce que nous n’avons jamais cessé de revendiquer : le retour des enfants et des mères, étant entendu que celles-ci seraient judiciarisées et vraisemblablement détenues à leur arrivée sur le sol belge. Si nous pouvons saluer l’action du Gouvernement, il est important de ne pas oublier les 28 autres enfants et 14 mères belges toujours détenues dans les camps du nord-est de la Syrie et leurs pères ainsi que les milliers d’enfants européens et non-européens qui vivent toujours l’enfer de ces camps.

Si le combat pour la sauvegarde des droits et la protection des enfants reste difficile, il est utile de se pencher sur de légers succès. Aussi légers puissent-ils être, ils augurent toujours la possibilité de vrais changements. C’est ainsi que le Parlement fédéral examine actuellement deux propositions de loi visant à interdire formellement, au civil, toute forme de violence dont les “Violences dites éducatives ordinaires”[3] et à garantir à chaque enfant, où qu’il soit (école, famille, loisir, etc.) une éducation entièrement non violente. Si la maltraitance avérée est pénalement punissable depuis longtemps, une série d’autres “petites” violences (fessée, claque, humiliation, violence  psychologique) échappent toujours à toute réglementation contraignante. Ce combat pour l’éradication de toute forme de violence vis-à-vis des enfants devrait aboutir prochainement à l’adoption d’une loi fédérale qui sera déclinée par les autres entités. L’idée n’est pas de culpabiliser les éventuels auteurs de ce type d’erreurs éducatives mais de permettre d’engager un intense travail de conviction, de prévention et de promotion de méthodes éducatives dont toute forme de violence est absente.

Pour conclure, retenons de la crise sanitaire qu’elle a surtout montré de façon éblouissante l’absolue nécessité de former une alliance éducative entre l’école, les familles et les nombreux acteurs de l’éducation  non-formelle. L’absence  de personnes de confiance, de “corps intermédiaires” a rappelé une nouvelle fois qu’il ne suffit pas d’une école pour éduquer un enfant. Ce triangle indispensable au bien-être des enfants et au respect de leurs droits les plus élémentaires doit de tout temps être investi et soigné par toutes les personnes concernées par la vie et le développement des enfants. La crise nous a aussi rappelé qu’il n’y a pas de petites ou de grandes préoccupations. Certaines sont plus connues et médiatisées que d’autres. Mais toutes ont, à nos yeux, une même importance. Comme les droits repris dans la Convention internationale : ils forment un tout indivisible et aucun n’est supérieur à un autre .


[1] Convention internationale relative aux droits de l’enfant.

[2] MENA.

[3] VDEO.


Photo : unsplash.com-©Sven Brandsma

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