Les jeunes continuent de s’intéresser et de se renseigner sur un nombre croissant de sujets. Pleins d’énergie, de rêves et d’envies, ils et elles évoluent dans un contexte radicalement différent par rapport aux générations précédentes. Avec une véritable crise de confiance dans les institutions politiques, scolaires et médiatiques, les jeunes se tournent avec d’autres moyens et vers d’autres intervenants auxquels ils s’identifient. En filigrane, une envie encore plus présente de pouvoir revendiquer et accorder à chacune et à chacun plus de pouvoir et donc un système politique plus proche et incarné.
Contexte
Le festival Chatbox est un festival se déroulant sur deux jours, uniquement ouverts à un public de secondaire (13 à 20 ans). Au programme : concerts, ateliers créatifs, escape room, performances artistiques, rencontres avec des intervenantes et intervenants engagés dans diverses causes sociales et politiques… et en clôture du festival, une interpellation d’un comité de 6 jeunes (5 filles d’environ 16 ans et un garçon de 18 ans) face à des responsables politiques invités.
Ce comité de jeunes, le Comité J, aura eu la tâche de proposer une réflexion en amont du festival et qu’ils auront ensuite confrontée
aux participants du weekend pour construire leur interpellation. Les réunions ont aussi inclus quelques activités pédagogiques, comme des ateliers-rencontres avec la journaliste française Salomé Saqué, au Bozar, ou encore des échanges et deux voyages avec un comité de jeunes strasbourgeois préparant un festival similaire, sur la question environnementale. Les jeunes du Comité J ont axé leurs réflexions sur trois angles précis : médias, rapport à l’institution éducative et le financement des services publics. Le fil rouge de la question du budget s’est dégagé pendant les discussions avec les jeunes, l’argent étant un moyen pragmatique d’agir sur la réalité sociale qu’ils et elles vivent quotidiennement. Au fur et à mesure des discussions et des rencontres avec les autres jeunes participants, ce fil rouge a évolué pour se centrer sur un décalage flagrant entre les institutions et la jeunesse.
En croisant leurs réflexions avec celles des festivaliers, ils ont pu construire un texte avec en toile de fond les préoccupations et le vécu d’une partie de cette jeunesse bruxelloise.
La logique derrière la création d’un tel événement est de pouvoir donner une voix à une partie de la population qui n’a généralement pas de pouvoir politique, car en grande partie en dessous de l’âge légal pour voter.
Cet angle mort du pouvoir politique suscite pas mal de questionnements, car les jeunes sont une part plus que vivante de nos sociétés, ainsi que son futur. Les exclure de toute réflexion semble donc contre-productif.
Méfiance
Quelques semaines avant le festival, Bruxelles Laïque a proposé une animation sur le système de vote et ses limites pour un public de primo votants. Notre animation démarre véritablement lorsque nous posons la question « Qu’est-ce que la politique ? » et « À quoi ça sert ? ». Or, ces deux questions amènent rarement une réponse autre que de brefs haussements d’épaules. Sans citer d’études qui appuient un désintérêt pour les partis et pour les arènes institutionnelles dans leur ensemble, il est rapidement établi qu’une bonne partie de notre public se désintéresse des jeux de pouvoir dans les chambres des parlements belges. Plus intéressant encore, quand nous invoquons l’image des élus et des membres du gouvernement, la perception qu’en ont les jeunes reste largement négative et oscille entre inutilité, abus de pouvoir, corruption et népotisme rampant.
Il est frappant de noter que cet imaginaire se décline aussi dans la question des médias avec une perception qui reste, elle aussi, négative et dont l’apparente opacité des lignes éditoriales et des comités de rédactions contribuent à rompre là aussi un lien avec les jeunes.
Enfin, la dernière interpellation concerne des situations d’injustices vécues dans le milieu scolaire. Ici aussi, les jeunes font un constat d’incompréhension et d’impuissance face à une institution qui oppose les jeunes à une gestion verticale des établissements d’enseignement. Un des membres du comité a pris pour exemple la gestion par son école d’un cas de harcèlement. Loin d’être une histoire isolée, elle est symptomatique d’un problème plus large dans l’organisation de l’enseignement et participe à creuser encore plus une mésentente entre les élèves et le corps enseignant.
Tous ces rejets interpellent : pour beaucoup, les institutions érigées par leurs aînés semblent distantes, opaques et peu investies par des personnes de leur âge. Sans forcément en comprendre tous les rouages, le ressenti est net : leur avis ne compte que peu ou pas.
Par d’autres moyens
Pour autant, les discussions avec le comité tout au long du processus, ainsi qu’avec les élèves lors des animations, révèlent qu’ils et elles ne sont pas dépourvus de réflexions pointues et d’une conscience de certains enjeux.
La nouveauté réside dans une certaine réappropriation de l’information et des cercles de réflexion.
Pour illustrer ce point suivant, les rencontres entre le comité de jeunes strasbourgeois et les jeunes bruxellois ont été particulièrement fructueuses, l’alchimie ayant été instantanée. Cela a presque immédiatement conduit à l’élaboration… d’un groupe Snapchat entre jeunes. Preuve en est que ces réseaux restent un outil puissant d’échanges puisque ce groupe continue encore d’être aussi animé bien après les festivals respectifs, les jeunes prévoyant d’autres rencontres entre eux.
Ces interactions s’expliquent car il existe aujourd’hui des outils et des plateformes virtuelles qui offrent une horizontalité dans l’échange d’idées et dans la réflexion : réseaux sociaux, forums en ligne, jeux vidéo, plateformes de streaming, messageries virtuelles, groupes WhatsApp, etc.
Tout ceci fait émerger une autre façon de consommer de l’information. Qu’elle soit proactive en faisant eux-mêmes leurs recherches sur certains sujets ou en passant par des personnalités plus connues en ligne qui traitent l’information pour la transmettre à leurs publics (Hugodecrypte comme autre exemple), les jeunes sont constamment exposés à une masse informe et omniprésente de publications.
Inconsciemment, peut-être, l’accès à autant de données force à faire un tri rapide en fonction de critères de familiarité. Une personne aura naturellement plus facile à faire confiance à un interlocuteur qu’il ou elle identifie rapidement et positivement. Ce qui n’est donc pas le cas, par exemple, d’un média dit « traditionnel », car composé et animé par un ensemble de personnes relativement inconnues des jeunes. Idem pour un parti politique et des établissements scolaires. Le narratif, l’histoire et le positionnement autour de ces personnes ou de cet organe doit être clair pour que ce lien de confiance s’établisse. Le privé devient donc public et vice-versa. Cette apparente transparence de la vie privée des personnalités permet à leur public de capter la « vibe » mise en avant et donc de rapidement distinguer les positionnements moraux et les valeurs constituantes de ces personnes.
Les jeunes continuent donc de se parler, de discuter, d’échanger et rêvent encore… mais pas avec les mêmes outils qu’il y a 20 ans.
Interdit aux moins de 18 ans
L’autre grand constat dans l’interpellation avec les jeunes est le sentiment de déconnexion qu’ils ont avec les institutions publiques. En effet, peu d’outils et de mécanismes ont été mis en œuvre pour les intégrer dans l’élaboration et les mises en place des politiques publiques.
Ce fossé qui sépare les adultes en âge de voter et de travailler et de l’autre côté des mineurs qui n’ont aucune prise sur leurs statuts crée de facto une division entre deux mondes qui se croisent, mais ne se mélangent pas.
Ces arènes pensées par et pour des adultes n’offrent donc aucune porte d’entrée pour les mineurs, malgré l’impact des décisions prisent en leur sein.
Conscients qu’ils ont peu ou pas de leviers institutionnels pour pouvoir changer structurellement les choses, les jeunes ne cherchent pas à investir de telles organisations politiques, médiatiques ou éducatives et ne marquent que peu d’intérêt à le faire. Cependant, pour peu que l’on prenne la peine de discuter avec eux, il existe clairement une conscience de certains enjeux politiques et sociaux. Le Comité J s’est attelé à aller discuter avec les jeunes participantes et participants du festival Chatbox et chacune de ces discussions s’est avérée riche de réflexions et de débats menés sans intervention particulière d’un adulte. Certaines pistes ont été évoquées et qui n’existent pas à l’heure actuelle telles que créer des espaces de dialogue et de participation citoyenne au niveau local, où les jeunes peuvent s’impliquer dans les décisions qui les concernent.
Il est donc tout aussi faux de penser que les jeunes sont plus apathiques ou moins intéressés que les générations précédentes mais, au contraire, qu’avec les bons outils discursifs en main, ils peuvent aussi proposer des pistes de réflexion sur la société dans laquelle ils vivent.
Bref.
La jeunesse bruxelloise aujourd’hui ne vit pas au sein des institutions publiques mais à leur marge. Elle semble cohabiter avec des responsables qu’ils ne connaissent pas et à qui ils n’accordent que peu de confiance. Pourtant les jeunes sont conscients que ces responsables ne devraient pas jouir de privilèges particuliers mais sont censés rester proches des citoyennes et citoyens qu’ils représentent. Avec des outils numériques qui permettent d’autres façons de se réapproprier de l’information et un peu de pouvoir citoyen, les jeunes y réfléchissent autrement. Ils cherchent à trouver des informations fiables, à avoir des relais auxquels accorder leur confiance. Ces personnes se trouvent en général sur les réseaux sociaux avec un narratif connu et avec qui les jeunes ont des marges d’interactions (commentaires, likes, messages directs, abonnements…).
Pour autant, les institutions politiques, les directions des écoles ou les comités de rédaction de grands journaux sont des déserts de jeunes. Il n’y a rien qui puisse concrètement les y intégrer.
C’est pourtant dans ces endroits que les décisions qui structurent la vie des jeunes sont prises. Il est donc important de pouvoir revendiquer qu’ils puissent les intégrer d’une certaine façon. De plus, il apparait que les jeunes sont eux-mêmes demandeurs d’outils qui leur permettraient de comprendre les structures politiques. Entre autres pistes que l’on pourrait imaginer répondre à cette demande, en Belgique francophone, le cours de philosophie et citoyenneté (CPC) propose exactement cela. Cependant, le CPC est encore fortement limité dans sa portée en nombre d’heures par semaine ainsi que dans une application très inégale entre les écoles. Si on peut aisément aller plus loin dans la matière et la mise en place du cours de CPC, on peut imaginer donner les outils (cours sur la politique, sociologie, éducation au média, etc.) et former les jeunes à construire la démocratie, il semble tout à fait possible de mettre en place des mécanismes pour les inclure dans des programmes qui auront le double intérêt d’enseigner les rouages démocratiques ainsi que de bénéficier de la vision que ce public a sur les politiques les concernant.
Bref, il existe peu de mécanismes mis en place pour faire se rencontrer des responsables politiques et les jeunes, la plupart d’entre eux n’ayant pas conscience de ce qu’implique les tâches quotidiennes d’un élu ni même l’organisation générale des prises de décision au niveau de l’exécutif et du législatif. Pouvoir organiser des rencontres, voire même leur faire vivre cette expérience de député travaillant sur le fond de dossiers pouvant mener à l’élaboration de nouvelles lois ou réformes, permettrait un travail pédagogique sur la forme et sur le fond contribuant à faire connaitre les enjeux et les mécaniques démocratiques.
Il y a une véritable demande de consultation et de co-construction de solutions, il faut donc impérativement tenir compte de l’avis des jeunes sur leur avenir.
Les jeunes ont une vision de la société de demain et ils y sont irremplaçables.