A la veille du scrutin local du 14 octobre, il nous a été demandé d’esquisser brièvement les contours des prérogatives dont disposent les dix-neuf communes de Bruxelles, en évoquant la manière dont elles sont exercées et financées. Afin de vulgariser une matière qui peut s’avérer rebutante au premier abord, on épargnera au lecteur tout développement superflu et on tâchera d’éviter tout juridisme pointu.1 Nous traiterons successivement des organes, des compétences et des finances d’une commune. Enfin, quelques considérations consacrées au rôle des communes en termes de réceptacle de nouvelles compétences, de garde-fou des politiques menées à d’autres niveaux de pouvoir et de laboratoire de nouvelles formes de démocratie achèveront la présente contribution.
LES ORGANES COMMUNAUX
Chargé notamment de veiller au maintien de l’ordre, de la sécurité et de la tranquillité publique, le Bourgmestre est le plus haut responsable de la Commune. Il dirige le collège qui en assure la gestion quotidienne et qui constitue l’exécutif, le “gouvernement” local. Ce dernier se compose de sept à onze membres selon le nombre d’habitants de la localité. Des règles ont été adoptées récemment afin de garantir une représentation plus équilibrée entre les femmes et les hommes en son sein.
Le Conseil communal se réunit traditionnellement une fois par mois. Le budget, les comptes annuels, tout impôt communal, les principaux dossiers et les marchés publics doivent y être discutés et adoptés. Ce “parlement” local constitue également le lieu où les représentants des partis de l’opposition peuvent interroger l’exécutif local à propos des politiques menées, mais aussi formuler des propositions.
Des voix de plus en plus nombreuses s’expriment aujourd’hui en faveur d’une réduction du nombre de mandataires communaux. La prudence et la mesure devraient, à notre avis, guider le législateur.
Si pareille réforme – au demeurant populaire – avait, selon nous, du sens en ce qui concerne les collèges communaux au sein desquels il faut bien reconnaître que certains échevins assument parfois des compétences extrêmement limitées2, elle nous paraît sensiblement moins justifiée relativement aux conseillers communaux. Outre que la fonction de conseiller communal s’avère peu coûteuse pour la collectivité,3 elle est souvent endossée par des non professionnels de la politique, exercée par de “simples” citoyens qui sont actifs dans d’autres domaines durant la journée. Ils enrichissent indubitablement les débats de leurs expériences. Réduire le nombre de conseillers communaux revient à prendre le risque de se priver de ces personnes et de se retrouver confronté à des assemblées locales composées quasi exclusivement, ou en tout cas majoritairement, de députés, membres de cabinet, collaborateurs de parti… bref, de professionnels de la politique.
LES COMPÉTENCES COMMUNALES
Si les communes disposent d’une marge de manœuvre étendue dans l’exercice de leurs prérogatives, elles le doivent à la notion “d’intérêt communal” dont le contenu n’est défini ni par la Constitution ni par la Nouvelle loi communale4. Ainsi, “dans le cadre de l’intérêt communal, la commune est habilitée à prendre elle-même toute initiative à la seule condition que celle-ci ne lui soit pas interdite”.5 Autrement dit, “les communes sont compétentes pour toutes les matières locales, sauf si l’autorité fédérale, les Communautés ou les Régions s’estiment elles-mêmes compétentes”.6
A son niveau, en tenant compte des moyens financiers qui sont les siens, et dans le respect des normes juridiques supérieures, une commune peut faire le choix de créer et organiser une école, un centre culturel, une bibliothèque, un centre sportif, d’aménager un espace vert, de placer des caméras de surveillance dans l’espace public, de limiter la vitesse des véhicules à 30 km/heure sur les voiries dont elle a la charge (il s’agit généralement de l’ensemble des artères, à l’exception des axes principaux qui relèvent de la Région)…
Une commune peut développer des politiques incitatives dans de nombreux domaines (en matière de mobilité douce et d’environnement par exemple) en menant des actions de sensibilisation, en organisant des événements, en subsidiant des associations ou encore en instituant une prime communale.
Elle peut être amenée à constituer, souvent pour des raisons de facilité, des asbl communales qu’elle charge de certaines missions. Pareil procédé peut s’avérer, dans certains cas, problématique sur le plan de la transparence et du contrôle démocratique, un réel pluralisme n’étant pas systématiquement assuré au sein des organes décisionnels.
Afin de mutualiser les coûts et l’expertise, les communes bruxelloises ont aussi créé conjointement des institutions : les intercommunales. C’est le cas notamment de Vivaqua ou de Sibelga.
Dans certains domaines, la commune est simplement chargée d’exécuter des tâches confiées par une autorité supérieure. Il en va par exemple ainsi en matière d’urbanisme.
La commune est aussi un lieu de mémoire (commémorations du premier et du second conflit mondial, inaugurations de pavés de la mémoire en hommage aux juifs déportés…) mais également de réjouissances (célébration du mariage civil, déclaration de naissance, fêtes annuelles…).
A noter que les compétences relatives à la police relèvent pour l’essentiel, depuis la concrétisation de l’accord dit Octopus intervenu en 1998, de la zone pluricommunale de police. La Région de Bruxelles-Capitale compte 6 zones, composées respectivement de deux à cinq communes, chaque zone disposant de ses institutions propres.
Par ailleurs, les matières touchant à l’aide aux personnes sur le plan local sont exercées par le centre public d’action sociale, qui dispose d’une certaine autonomie vis- à-vis de la commune. C’est à cette institution qu’une personne s’adressera, par exemple, pour solliciter un revenu d’intégration sociale ou afin de se voir allouer une aide ponctuelle (remboursement de frais médicaux, intervention pour une facture d’énergie…).
LES FINANCES COMMUNALES
Afin de financer leur action, les communes bruxelloises jouissent d’un pouvoir fiscal propre. Elles prélèvent ainsi un impôt complémentaire (centimes additionnels communaux) sur l’impôt des personnes physiques (IPP – revenus du travail) et sur le précompte immobilier (à charge des propriétaires dont le bien est situé sur le territoire communal). La pression fiscale fluctue d’une commune à l’autre.
À côté des prélèvements relatifs à l’IPP et au précompte immobilier, qui constituent une part considérable des recettes, il est loisible aux communes d’instaurer des taxes et redevances (par exemple sur l’occupation de l’espace public, sur le stationnement, sur les documents administratifs, sur les résidences secondaires, sur les distributeurs de billets, sur les caveaux mortuaires et sépultures…). Les dividendes versés par les intercommunales, les revenus du patrimoine immobilier communal ou le recours à l’emprunt constituent autant d’autres sources de rentrées financières.
Les communes peuvent également compter sur des subsides alloués par l’État fédéral et les entités fédérées (Région de Bruxelles-Capitale, Communautés, Cocom, Cocof, VGC) dont les montants et proportions varient assez nettement d’une commune à l’autre, selon leurs besoins et des critères déterminés. Certains sont récurrents, d’autres sont afférents à des opérations spécifiques, dans le cadre notamment d’appels à projets (construction d’une crèche, d’une école, création d’une piste cyclable, réalisation d’un “contrat de quartier”…).7
Si les communes bénéficient régulièrement de l’appui des autorités supérieures, elles peuvent aussi être impactées négativement par leurs décisions. Ainsi, lorsque le gouvernement fédéral met en place des dispositifs qui ont pour effet d’exclure des citoyens du chômage, un certain nombre d’entre eux viennent ensuite frapper à la porte du CPAS de leur commune. Ce n’est évidemment pas neutre financièrement pour les pouvoirs locaux. De la même manière, le tax shift décidé par le gouvernement fédéral qui a pour effet de réduire légèrement la pression fiscale sur les revenus du travail, implique un manque à gagner pour les caisses communales.
Sachant que l’arriéré des juridictions bruxelloises est non négligeable et que de nombreux dossiers relatifs à des infractions mineures étaient classés sans suite par le Parquet, les communes ont été chargées, depuis quelques années, d’infliger des sanctions administratives communales. L’échelon local se saisit une nouvelle fois, de gré ou de force, de décisions d’autorités supérieures.
LES COMMUNES COMME GARDE-FOU ET LABORATOIRE DE NOUVELLES FORMES DE DÉMOCRATIE
Parfois, les communes haussent le ton, se présentent en garde-fou – avec plus ou moins de succès – à l’égard de politiques menées à d’autres niveaux de pouvoir, mais qui sont susceptibles de les impacter directement ou indirectement. Ainsi, de nombreuses localités belges se sont déclarées voici deux ans “communes hors TTIP”. Plus récemment, plusieurs conseils communaux se sont prononcés contre le projet de loi du gouvernement fédéral relatif aux visites domiciliaires. Pareilles prises de position sur le plan local, à travers le vote d’une motion, n’ont aucune valeur contraignante. Mais leur portée symbolique ne doit pas être négligée, surtout lorsque le mouvement prend de l’ampleur. En outre, cela amène nombre de mandataires fédéraux ou régionaux qui siègent également au sein de ces assemblées locales à devoir se positionner.
Dans un registre plus “positif”, et toujours par le biais de motions, plusieurs communes bruxelloises se sont récemment déclarées “hospitalières” ou encore se sont positionnées en faveur de l’élargissement du droit de vote des ressortissants étrangers aux élections régionales, relayant ainsi la campagne du collectif #1bru1vote.
De tels votes découlent en effet régulièrement d’initiatives d’habitants, d’associations, de mouvements citoyens, qui s’adressent à leurs élus locaux, qui les invitent à se positionner et qui les interpellent directement au Conseil. Voilà qui est sain et qui participe assurément à vivifier le débat démocratique. Les processus de participation directe des citoyens se développent en effet ces dernières années (droit d’interpellation au conseil communal, conseils consultatifs, budgets participatifs, consultation citoyenne…), tout comme les dispositifs garantissant une plus grande transparence de l’action publique (retransmission des débats, publication du taux de présence des mandataires aux réunions sur le site internet de la commune…).
Gageons que cela permettra de restaurer la confiance – fortement ébranlée par des scandales à répétition – et le dialogue entre les mandataires et les habitants, essentiels en démocratie.
1 Le lecteur en recherche de données pointues relatives au droit communal est invité à parcourir notamment les ouvrages et articles suivants : J. BOUVIER, “Florilège de législation bruxelloise”, Rev. dr. Com., liv. 1, pp. 2-16 ; D. MORISOT, Mémento communal 2017, Waterloo, Wolters Kluwer, 2017, 363 p. ; A. VASSART, La commune et l’ordre public, Bruxelles, Politeia, 2013. ; X. Le droit communal. Etat des lieux, Limal, Anthemis, 2015, 254 p.
2 Ainsi, siège au sein du collège d’une commune bruxelloise, une échevine exclusivement chargée de “l’Economie et du commerce”. Dans une autre localité, un membre de l’exécutif est compétent pour les matières suivantes : “SIPPT – Solidarité internationale-Sports”. La “santé publique et la petite enfance” constituent les seules prérogatives d’une échevine dans une troisième entité. Force est de reconnaître que pareilles compétences pourraient aisément être redistribuées aux autres membres de l’exécutif local concerné sans engendrer un surcroît de travail considérable.
3 En vertu de l’article 12 de la Nouvelle loi communale, tel que modifié par l’ordonnance du 25 janvier 2018, le montant des jetons de présence des conseillers communaux est compris entre un minimum de 75,00 euros brut et un maximum de 200,00 euros brut indexés.
4 L’article 162 de la Constitution précise que : “La loi consacre l’application des principes suivants : (…) 2° l’attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d’intérêt provincial et communal, sans préjudice de l’approbation de leurs actes, dans les cas et suivant le mode que la loi détermine”. L’article 117 de la Nouvelle loi communale dispose ainsi que “Le conseil règle tout ce qui est d’intérêt communal; il délibère sur tout autre objet qui lui est soumis par l’autorité supérieure”
5 D. MORISOT, Mémento communal 2017, Wolters Kluwer Belgium, Waterloo, 2017, p.165.
6 S. BRACKE, A. GERLACHE, G. GOEDERTIER, M. UYTTENDAELE et J. VANDE LANOTTE, La Belgique pour débutants, La Charte, Bruges, 2008 p. 170.
7 Pour davantage d’informations à propos de la fiscalité et du financement des communes : www.pouvoirs-locaux.brussels.