VOUS REPRENDREZ BIEN UN PEU DE PUBLICITÉ

par | BLE, DEC 2018, Social

La publicité envahit tout l’espace public : depuis l’invasion des villes et des campagnes par les panneaux jusqu’à la prolifération des spots sur les écrans, imposés à toutes et à tous. Elle s’impose à nous dans tous les lieux physiques et avec l’arrivée d’Internet l’exposition à la publicité s’est encore accrue. Elle s’immisce jusque dans les écoles, parfois au mépris de la loi. Cet article propose un tour d’horizon de l’envahissement de l’espace public par des intérêts privés.

TEMPS DE CERVEAU DISPONIBLE

S’il n’est pas simple de quantifier notre exposition à la publicité, des travaux ont montré que tous médias confondus, c’est 15.000 publicités vues ou entendues par jour et par personne. Si nous n’avons pas le souvenir de toutes ces pubs, il n’en demeure pas moins que tous ces stimuli ont un impact sur notre cerveau. Comme le fait remarquer Arnaud Petre, chercheur en neuromarketing à l’UCL, “Ces découvertes sur le fonctionnement largement inconscient du cerveau, laissent supposer que la majorité de ces stimuli publicitaires auxquels vous prêtez si peu d’attention et dont vous êtes le plus souvent incapables de vous rappeler consciemment, vont laisser des traces mémorielles “implicites”, non conscientes, dans votre  cerveau.1 Il n’est plus possible pour personne de prétendre éviter l’influence de la pub sur notre cerveau et in fine sur le libre-arbitre de chacun.

MÉDIAS AU SERVICE DE LA PUB ?

La publicité occupe une place toujours plus grande dans les médias, ce qui n’est pas sans poser de questions quant à l’influence des annonceurs sur le contenu proposé par les grands médias.

En effet, les programmes télé dédiés au divertissement ont peu à peu pris l’espace consacré aux émissions politiques ou culturelles. Le “divertissement” aurait cette capacité à attirer la “ménagère de moins de 50 ans”, cible convoitée des annonceurs. Cette tendance ne se limite pas au chaînes privées, elle s’observe aussi sur les chaînes du service public qui y sont contraintes budgétairement. Cela soulève un certain nombre de questions concernant la dépendance du service public face à ces mêmes annonceurs, devenus d’importants et indispensables bailleurs de fonds.

Ainsi les médias se doivent-ils de tenir compte des vues économiques et politiques des annonceurs qui les financent ? Sont pénalisés les médias dont les audiences ne sont pas rentables du point de vue des annonceurs. Cette thèse est celle défendue notamment par Noam Chomsky et Edward Herman dans leur livre La fabrique du consentement. La publicité y est présentée comme un élément de propagande. Dans la mesure où les grands médias généralistes dépendent de façon majeure des revenus de la publicité pour survivre, leur conclusion suggère que l’intérêt des publicitaires prévaut sur le récit de l’information.

L’ÉCOLE : LE DERNIER SANCTUAIRE SANS PUB ?

Dans notre société de consommation, les publicitaires cherchent également à fidéliser de plus en plus tôt les enfants et les adolescents. Ceux-ci sont soumis à la publicité car ils représentent un public très intéressant. Parce qu’ils sont manipulables, influençables, parce qu’ils font pression sur leur entourage pour obtenir le produit, parce qu’ils sont de plus en plus prescripteurs des achats effectués par leurs parents, les enfants représentent une cible parfaite. Cette stratégie des annonceurs qui “s’attaquent” aux enfants, public vulnérable, n’est pas sans poser des questions éthiques. C’est à ce titre que la publicité est en théorie écartée des écoles. Il existe un article de loi très clair sur le sujet : “Toute activité et propagande politique ainsi que toute activité commerciale sont interdites dans les établissements d’enseignement organisés par les personnes publiques et dans les établissements d’enseignement libre subventionné”.2

Toutefois les sollicitations sont nombreuses comme le témoigne ce directeur d’établissement : “Par courrier, par téléphone ou encore, désormais, par fax ou par mails, les sollicitations sont quotidiennes […] Ces démarches commerciales valsent directement à la poubelle ou essuient un refus catégorique de ma part”.3 L’Union Francophone des Associations de Parents de l’enseignement catholique s’inquiète aussi de la porosité des écoles à la publicité privée et relève de nombreux cas concrets d’une immixtion sournoise de la publicité.4 Si aujourd’hui une majorité des chefs d’établissements tient bon face à l’agressivité des sociétés commerciales, qu’en est-il des écoles les plus pauvres à qui il est demandé de faire toujours plus avec toujours moins ? Ne se laisseront-elles pas tenter par des financements privés en échange d’un peu de publicité ? Seul un financement public à la hauteur des besoins pourra garantir la sanctuarisation de l’école et mettre à l’abri les jeunes de toute influence commerciale.

PEUT-ON SE PASSER DE LA PUB ?

Dans de nombreuses villes, des citoyens s’organisent pour remettre en question ce choix politique qui consiste à vendre l’espace public aux annonceurs. Le collectif “Liège sans pub” souhaitait ne pas voir le contrat avec JC Decaux5 renouvelé. Malgré une forte mobilisation citoyenne et une pétition signée par plus de 5.000 personnes, le Collège s’est engagé – au nom des citoyens – à prolonger le contrat jusqu’en 2032. Le seul argument financier a suffi aux autorités pour justifier leur choix, ce qui n’est pas sans poser de questions sur l’indépendance des villes et communes à l’égard des sociétés privées. L’argument financier élude la question du choix politique, pour nous répéter une fois de plus “There Is No Alternative”.

Néanmoins, les contraintes financières présentées comme incontournables ne sont pas nécessairement plus imposantes que les externalités négatives de la publicité. On sait par exemple que la pub exerce une influence directe sur l’obésité infantile ou encore sur les accidents de la route qu’elle suscite en distrayant les automobilistes. Les coûts engendrés en soins de santé doivent être mis en balance pour évaluer le coût/bénéfice de la publicité. Toujours dans ces externalités négatives, on peut ajouter la quantité de papiers qui, bien souvent, finissent à la poubelle. Le traitement de tous ces déchets est un coût pour le contribuable qu’il convient d’intégrer aussi.

La STIB et son matériel roulant avec de la publicité sont une source importante de pollution visuelle à Bruxelles. Pourtant, les recettes engrangées ne représentent que 1% du budget6 de la STIB. Ces recettes pourraient être en partie remplacées par les nouveaux annonceurs que seraient les associations qui souhaitent faire la promotion d’activités artistiques ou sociales. Le manque à gagner restant pourrait être compensé par davantage d’investissement public au nom d’une ville plus conviviale, plus belle, moins sexiste et qui reconnaît les individus comme autre chose que de vulgaires consommateurs.

Si peu de villes dans le monde se sont donné les moyens de réduire, voire de faire disparaître, la publicité dans l’espace public, il n’en demeure pas moins des exemples de villes qui ont fait ce choix. Au nom de la pollution visuelle et sonore qu’elle crée, la ville de Grenoble, ou encore de Sao Paulo, a réduit considérablement l’espace consacré à la pub. Grenoble est la première ville d’Europe à avoir complètement interdit les panneaux publicitaires. En novembre 2014, le maire écologiste Eric Piolle décidait qu’il ne renouvellerait pas le contrat qui lie la ville à l’afficheur JC Decaux, afin de libérer Grenoble de la publicité. “La municipalité fait le choix de libérer l’espace public grenoblois de la publicité en développant les espaces d’expression publique et ne lance pas de nouvel appel d’offre pour de l’affichage publicitaire”, indique la mairie.7

La remise en question de la place qu’occupe la publicité ne doit pas nous faire perdre de vue que celle-ci s’inscrit dans un cadre plus global d’une société capitaliste qui érige le consumérisme comme idéologie. L’obsolescence programmée, le conditionnement de nos désirs par un imaginaire collectif construit autour de la pub et une croissance sans fin sont les éléments saillants de cette idéologie capitaliste construite comme un système cohérent. C’est donc plus fondamentalement à cette idéologie qu’il convient aujourd’hui de s’attaquer pour s’affranchir de cette entreprise de manipulation des esprits.


1 Arnaud Pêtre, “Publicité, “part de cerveau disponible”… et libre-arbitre”, www.etopia.be, février 2007. Le chiffre de 15 000 publicités quotidienne est obtenu à partir d’une définition large de la publicité incluant le sponsoring, le placement de produits dans les films, les enseignes et devantures de magasins, les publicités sur distributeurs de boissons, les displays et autre présentoirs dans les magasins, les logos bien identifiables sur vêtements, etc.

2 Article 41 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l’enseignement (et instituant le pacte scolaire).

3 Cité par Anouck Thibaut dans “La pub à l’école : une réalité”, publié sur www.oxfammagasinsdumonde.be le 14 janvier 2009.

4 http://www.ufapec.be/nos-analyses/la-publicite-envahit-l-ecole.html

5 Le groupe JC Decaux est n°1 mondial de la communication extérieure. Il se présente comme : “une entreprise familiale d’origine française créée en 1964. Nous créons des mobiliers et services pour rendre la ville plus agréable, accueillante et responsable”.

6 Rapport financier STIB 2016. www.stib-mivb.be

7 “Grenoble bannit la publicité de ses rues” publié sur France tv.info le 23 novembre 2014 (www.francetvinfo.fr).

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