L’IMPACT ÉCONOMIQUE DES MIGRANTS SUR LE PAYS D’ACCUEIL

par | BLE, DEC 2016, Economie, Migration

L’arrivée de vagues de réfugiés qui fuyaient les guerres du Moyen-Orient au cours de l’été dernier a suscité des questions essentielles quant à notre capacité à accueillir ces réfugiés de manière décente (ailleurs que dans un camp provisoire monté dans un parc), mais surtout sur les conséquences de cet accueil à court, moyen et long terme. Dans cet article, nous analysons la question de l’impact économique des migrations sans en distinguer les causes et origines.

Traditionnellement, ce sont les conséquences de l’arrivée de migrants sur le marché du travail qui sont traitées par les économistes. C’est ce que nous commencerons par faire. Mais il est aussi important d’aborder les effets plus diffus que cet accueil peut avoir sur l’État providence : l’assurance chômage, les pensions, les soins de santé, etc. Pour finir, nous aborderons les conséquences politiques que cet accueil peut avoir.

MIGRATION ET MARCH É DU TRAVAIL

L’évaluation de l’impact de l’immigration sur la situation des travailleurs nationaux en matière d’emploi a donné lieu à de très nombreuses analyses académiques dans de nombreux pays. Ce type d’analyse est la pierre angulaire de la recherche en matière d’analyse économique de l’immigration. Elle a divisé les économistes et le débat est loin d’être clos. Nous pouvons dégager deux visions opposées. L’une est relativement négative alors que l’autre est plus positive.

La vision la plus négative insiste sur la détérioration du bien-être des populations nationales en augmentant la concurrence sur le marché du travail, réduisant les salaires et donc la qualité de vie des autochtones. Le chef de file emblématique de ce courant est l’économiste George Borjas de Harvard. En entrant en concurrence avec les travailleurs nationaux, les immigrants pousseraient soit le chômage de ces travailleurs à la hausse, soit mettrait une pression à la baisse sur leurs salaires et leurs conditions de travail. Cette vision se base sur l’idée que le nombre d’emplois disponibles dans le pays est un stock qui n’évolue pas ou peu et que les travailleurs immigrés et nationaux sont substituts. L’arrivée de nouveaux travailleurs signifierait donc plus de compétition pour un nombre limité de places.

Sans avoir une vision angélique, d’autres économistes comme David Card de UCLA ou Giovanni Peri de UC Davis ont une vision beaucoup moins négative de l’immigration qu’ils considèrent à la fois comme une source de défis, mais aussi (et surtout) comme une source d’opportunités. Selon eux, le nombre d’emplois n’est pas limité. Lorsqu’il y a plus de travailleurs, le nombre d’emplois augmente et il n’est pas évident qu’une augmentation du nombre de travailleurs soit associée à une augmentation du chômage, en tous cas pas à moyen terme. De plus, l’arrivée de migrants peut satisfaire une demande de travail qui ne parvient pas à trouver des travailleurs nationaux, et ainsi être bénéfique pour l’économie dans son ensemble. C’est généralement le cas des emplois pénibles, pas suffisamment rémunérés ou socialement dévalorisés. Ce l’est cependant aussi pour des migrants peu qualifiés mais qui disposent de compétences spécifiques. Ces derniers peuvent compenser un manque ou une absence de ces compétences au sein de la population nationale (comme dans le secteur de la construction, par exemple).

Comment réconcilier ces opinions au premier abord opposées ? L’élément clef pour comprendre l’impact de l’immigration sur différentes catégories de travailleurs est celle de la complémentarité des migrants avec les travailleurs nationaux ou de leur substituabilité. En cas de complémentarité, l’impact est positif. En cas de substituabilité, il est négatif. Tout dépend donc des caractéristiques jointes des migrants et des travailleurs nationaux. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de considérer séparément les conséquences de l’immigration peu ou pas qualifiée de celle de travailleurs plus qualifiés.

Lorsqu’on compare les effets positifs et négatifs de l’arrivée de migrants peu qualifiés sur les travailleurs nationaux, on trouve généralement un effet très modeste sur les salaires et le chômage des travailleurs ayant des compétences proches de celles des migrants. Certaines études ne trouvent pas d’effets, et même quand des effets négatifs sont avancés, ils restent très limités. Pour les études qui trouvent un effet significatif, c’est en général le risque de chômage des travailleurs nationaux les moins qualifiés qui augmente. Paradoxalement, ces “perdants” sont souvent les migrants de la génération précédente.

Il existe aussi des effets indirects plus difficiles à mettre en évidence. Il a été récemment montré que l’arrivée de migrants peu qualifiés peut pousser les travailleurs nationaux vers des emplois plus qualifiés, nécessitant par exemple des compétences de communication et de synthèse dont ne jouissent pas les travailleurs étrangers fraîchement arrivés. Certains économistes avancent aussi qu’en disposant d’une main d’œuvre plus conséquente, les firmes peuvent rapatrier des activités qui avaient dû auparavant être délocalisées à l’étranger. De manière générale, pour les employeurs, les éventuelles baisses de salaire et l’enrichissement de l’éventail des compétences disponibles sont évidemment positifs.

Un autre effet indirect concerne l’impact de la consommation des migrants sur l’économie (ils doivent aussi se nourrir, se loger, se vêtir, se divertir, etc.). Cette consommation additionnelle a pour effet d’augmenter la demande pour différents biens et services et donc l’emploi et les salaires dans toute une série de secteurs de production. Ces effets indirects sont très difficiles à mesurer et quantifier.

Mais, au total, il n’est pas déraisonnable de penser que l’effet au pire légèrement négatif sur les salaires et le chômage de certains travailleurs (à compétences similaires), devrait être largement compensé par les autres effets positifs (direct sur les employeurs, et indirects sur le reste de l’économie).

L’immigration des travailleurs les plus qualifiés a un effet clairement positif pour le pays d’accueil en raison de l’effet de complémentarité qui est beaucoup plus prononcé entre les nationaux et les migrants qualifiés que chez les travailleurs moins qualifiés. Cela signifie que ces migrants entrent peu en compétition avec les nationaux qualifiés, mais ils contribuent à créer de la richesse et de l’emploi à travers, notamment, la création d’entreprises profitables pour lesquelles de la main d’œuvre sera nécessaire. L’addition des effets indirects susmentionnés ne fait que renforcer la conclusion que l’immigration dite qualifiée est désirable d’un point de vue économique.

MIGRATION ET WELFARE STATE

Dans le cas des réfugiés et des migrants peu qualifiés, une autre question qu’il faut se poser a trait aux conséquences sur l’État providence. Quelles conséquences pour le budget de l’État, la sécurité sociale et les pensions ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’aborder le problème à différentes échéances : à court, moyen et long terme.

À court terme, il faut consentir à des dépenses publiques pour accueillir ces migrants. Idéalement, il faut déployer des structures pour les aider à trouver leur place sur le marché du travail et, plus généralement, dans notre société le plus rapidement possible : cours de langue, encadrement social, scolarisation des enfants, etc. Les études montrent en effet que l’intégration des migrants les moins qualifiés sur le marché du travail prend un certain temps.[1] Il est donc raisonnable de penser qu’une amélioration de la qualité de ces structures d’accueil pourrait réduire ce temps d’adaptation. A l’instar d’autres pays européens, les finances publiques belges étant au plus mal, ces investissements sont politiquement difficiles.

À moyen terme, une fois suffisamment intégrés sur le marché du travail, l’effet net sur les finances publiques dépend très fortement du profil des migrants. S’ils sont jeunes et en bonne santé, l’on peut s’attendre à ce qu’ils aient une contribution nette positive au financement de l’État providence : ils paient des taxes mais reposent moins sur les services publics que la population belge, vieillissante.

À long terme, il faut s’attendre à observer un impact positif sur le financement des pensions. La structure démographique des migrants permet de compenser (partiellement) le vieillissement de la population. Déjà un rapport de 2011 du Comité d’étude sur le vieillissement estimait que l’augmentation des flux migratoires était à l’origine d’une réduction du coût du vieillissement. Des conclusions similaires ont été dressées par des économistes pour d’autres pays européens. Il est assez clair que le système de pensions par répartition qui préside aujourd’hui dans de nombreux pays européens n’est pas soutenable, en l’état, à long terme. Un rajeunissement de la population par l’immigration pourrait changer la donne.

Des études basées sur les principes de la comptabilité générationnelle évaluent l’impact fiscal global de l’immigration, en tenant compte des effets à court, moyen et long terme. Elles suggèrent un effet global légèrement positif des migrants sur le budget de l’État. Néanmoins, ces conclusions doivent être prises avec des pincettes car elles dépendent très fortement des spécificités du pays d’accueil (p.ex. le système de taxation, la générosité et les règles d’éligibilités aux programmes de l’État providence, la flexibilité du marché du travail, les structures d’accueil des migrants) et de celles des migrants. Ne disposant pas d’une étude de ce type pour le cas belge, nous ne pouvons que spéculer sur l’effet fiscal global sur les comptes de l’État belge.

IMPACTS ÉCONOMIQUES CONSÉCUTIFS AUX CONSÉQUENCES POLITIQUES DE CES MIGRATIONS

La migration, et en particulier l’augmentation des flux migratoires, génère des réactions souvent négatives parmi les autochtones. Comment expliquer ces réactions alors que nous avons insisté sur le fait que les effets économiques de l’immigration penchaient plus du côté positif ? On peut avancer trois explications complémentaires.

Premièrement, la connaissance du phénomène de l’immigration demeure insuffisante. La majorité de la population ignore non seulement les effets économiques globaux de l’immigration, mais surestime souvent l’intensité de l’immigration. Dans la plupart des pays développés, les enquêtes auprès de la population montrent que les gens interrogés surestiment très largement la proportion réelle d’immigrés dans leur propre pays, parfois d’un facteur de trois ou quatre.

Deuxièmement, il est clair que les effets économiques sont hétérogènes selon les caractéristiques des travailleurs natifs. Ceux qui sont les plus susceptibles d’être les perdants de l’immigration, les travailleurs non qualifiés, seront souvent ceux les plus enclins à manifester publiquement. Ceux qui gagnent à l’immigration demeurent plutôt silencieux. C’est une constatation qui s’applique à d’autres phénomènes de globalisation, tels que la libéralisation du commerce.

Enfin, contrairement au commerce, l’immigration inclut une composante autre qu’économique. On connaît l’adage “nous avons importé des travailleurs et nous avons reçu des hommes”. L’immigration accroît l’hétérogénéité ethnique et sociale alors que les êtres humains ont une préférence pour l’homogénéité. L’attitude en faveur ou contre l’immigration se forme à la fois sur base des effets économiques mais aussi culturels de l’immigration.

CONCLUSIONS

La littérature économique suggère un effet global positif de l’immigration sur l’économie du pays d’accueil. Mais un effet globalement positif n’implique pas qu’il soit positif pour tout le monde. Pour les travailleurs les moins qualifiés qui ont des compétences très similaires à celles des migrants, l’effet peut être négatif.

Il est néanmoins crucial de comprendre que cette conclusion dépend des structures d’accueil des migrants et du processus d’intégration qui prévalait au moment où ces études ont été réalisées. Si d’éventuelles réactions négatives de la population amenaient à une détérioration du niveau et de la rapidité d’intégration des migrants sur le marché du travail et dans notre société, l’effet économique global de l’immigration pourrait évoluer. Il serait probablement plus positif si leur accueil et intégration étaient améliorés, mais pourrait devenir négatif si ces structures sont inadaptées ou s’ils ne sont pas correctement intégrés par les autochtones sur le marché du travail et dans l’ensemble des structures de l’économie. Si l’hostilité de la population d’accueil s’accroit avec les flux migratoires, ce qui semble être le cas, il est possible que les conséquences économiques de la migration deviennent négatives.

Dès lors, il est crucial que les politiques migratoires prennent en compte, au moins en partie, les conséquences politiques de la migration afin de s’assurer que les structures d’accueil et d’intégration (formelles et informelles) restent suffisamment efficaces. En d’autres termes, il n’est pas suffisant de se baser sur les résultats d’études passées pour considérer que l’impact économique des migrations à venir sera positif. Si la hausse des flux migratoires s’accompagne de réactions de plus en plus négatives de la part de la population d’accueil, cet impact pourrait devenir négatif. Les politiques migratoires doivent donc prendre en compte les réactions (parfois hostiles) de la population d’accueil. Pour que l’impact global des migrations reste positif, il peut être nécessaire d’accompagner la population d’accueil en améliorant sa compréhension du phénomène et de ses conséquences, mais aussi en offrant des compensations aux travailleurs nationaux qui seraient négativement affectés. Si de telles mesures ne sont pas suffisantes, il peut aussi être nécessaire de limiter la taille des flux migratoires pour les conserver à un niveau qui soit soutenable à moyen terme.


[1] Pour mesurer l’intégration sur le marché du travail, les études comparent les taux de participation, d’emploi et les salaires obtenus par les migrants à ceux des natifs. L’intégration sur le marché du travail est considérée faite une fois que les taux de participation et d’emploi ainsi que les salaires des deux groupes sont suffisamment similaires (à compétences égales).

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