RE-APPROPRIONS-NOUS L’ÉCONOMIE COLLECTIVE !

par | BLE, Economie, SEPT 2016

Il y a cinq à dix ans, personne n’avait jamais entendu parler de ces quelques entreprises qui aujourd’hui dominent littéralement l’économie collaborative. Il ne se passe pas un seul jour sans entendre parler de leurs (més)aventures, le tout dans un contexte de far-west du XXIe siècle, là où le politique semble ne rien y comprendre. Sommes-nous condamnés à vivre dans un monde dont les règles seraient dorénavant fixées par ces nouveaux géants de la Silicon Valley et consorts ?

Alors qu’ils se forgent des situations de quasi-monopole à une vitesse sans précédent – en neuf ans, AirBnB offre plus de chambres que le Hilton en cent ans, Facebook est sur le point d’atteindre les deux milliards d’utilisateurs en une décennie, il est crucial de se rappeler que c’est la collaboration entre des millions de citoyens qui sous-tend leur envolée. Si nous voulons une société qui affronte réellement les multiples crises auxquelles elle est confrontée, il est fondamental que nous nous réapproprions cette économie collaborative, notre économie collaborative, dès aujourd’hui.

Suite à ma thèse de doctorat sur l’histoire du lobbying auprès des institutions européennes et à notre film The Brussels Business (ARTE, RTBF), j’ai quitté les couloirs du pouvoir institutionnel pour regarder de plus près ce qui se passait dans nos quartiers, dans nos rues, et là où la démocratie représentative n’avait encore aucun élu. Ou plus précisément, là où chacun est son propre représentant. Nous y avons construit l’habitat groupé urbain L’Echappée avec 30 adultes et 15 enfants, et ça m’a donné envie d’écrire sur la forêt derrière notre petit arbuste. Homo Cooperans 2.0 explique dès lors le possible retour de la coopération.

En 250 ans, la notion d’individualisme, qu’il aurait certes été nécessaire de défendre au temps des Lumières après la longue période de Monarchie Absolue, s’est peu à peu transformée en hyper-individualisme contre-productif. Selon Eurostat, 35% des citadins en Europe vivent seuls… et de manière générale, c’est un changement

culturel sans précédent. En effet, notre espèce a toujours dû coopérer pour sa subsistance depuis l’Homo habilis, il y a deux millions d’années. Il n’y a donc aucun doute qu’une incroyable opportunité se présente à nous pour changer de cap au travers de l’économie collaborative. La grande question est de savoir quel modèle d’économie collaborative voulons-nous ?

Avant toute chose, l’économie collaborative, kesako ? Croyez-moi, c’est bien plus que UBER et AirBnB dont on nous bassine les oreilles depuis plusieurs mois. Grâce à Internet, et pour la première fois dans l’Histoire de l’humanité, des individus qui ne se connaissent pas, peuvent se connecter entre eux, en temps réel, à distance ou pas, pour s’échanger des biens (maisons, voitures, jouets, outils, vêtements, nourriture), du temps, de la connaissance et des services. La nouveauté ? Ils n’ont plus besoin d’intermédiaires. En moins de dix ans, un réel “monde parallèle” a émergé pour offrir des solutions réalistes, réalisées et réalisables, et permettre d’allouer biens et services de manière beaucoup plus optimale et économique que le Marché ou l’Etat. Du jamais vu !

Internet peut être critiqué à certains égards mais il faut reconnaître que c’est une incroyable arme de résistance. À coût nul ou presque. De manière quantitative, en vingt ans, un pays comme la Belgique est passé de 0,5% à 80% de connexions de la population. Cela veut dire qu’aujourd’hui presque tout le monde est potentiellement armé d’Internet, au-delà de l’âge, du genre ou de la classe sociale. De plus, les changements qualitatifs sont impressionnants : en deux décennies, nous sommes passés de l’eMail (1995) à l’économie collaborative (2015), en passant par les wiki et blog (2001), les réseaux sociaux (2005), l’audiovisuel en ligne et la mobilité (2010). Les possibilités de l’outil sont incroyables et soyons certains que nous n’en sommes qu’aux balbutiements !

Allons-nous pour autant tous enfin vivre dans un monde de Bisounours ? UBER, AirBnB, BlaBlaCar, Facebook & Cie vous diront que oui. La réponse est évidemment non. Michel Bauwens, qui signe la préface du livre, souligne que ces entreprises génèrent d’immenses profits grâce à la collaboration «peer to peer». C’est donc sur base de nos échanges, que des start-ups inconnues au régiment il y a à peine cinq ou dix ans, sont aujourd’hui devenues des géants économiques qui opèrent au niveau transnational, soulèvent des centaines de millions d’euros d’investissement et visent à assurer un quasi-monopole dans leur secteur à coup de dépenses en lobbying et en marketing. Le tout leur permet non seulement de voler au-dessus des lois, mais également de s’inviter de facto à les rédiger comme nous l’avons vu en Belgique avec le Ministre de Croo avant l’été 2016. Qu’on se le dise, le modèle de ces gloutons de l’économie collaborative est loin d’être un monde de Bisounours.

Et pourtant, aussi paradoxal que cela en a l’air, nous n’avons jamais été aussi proches de détenir la solution : nous pouvons nous réapproprier l’économie collaborative et créer un monde “parallèle”. En effet, ces nouveaux géants ont plus besoin de notre collaboration que nous n’avons besoin de leurs services ! Pour que ça fonctionne, nous devons devenir pro-actifs afin d’inculquer d’autres valeurs et d’autres objectifs à ce phénomène d’UBERisation – au sens large – de la société.

Avons-nous alors perdu tout espoir de changer le modèle de l’économie collaborative ? Pas du tout et c’est là où cela devient intéressant ! Puisque c’est notre collaboration qui sous-tend les profits de ces nouveaux géants/gloutons, pourquoi ne créons-nous pas nos propres plateformes d’échanges sous forme de coopératives ? Pourquoi ne donnons-nous pas d’autres valeurs et objectifs à notre économie collaborative ? Et la bonne nouvelle est qu’un réel mouvement est en marche, et ce, même en Belgique. Dans le domaine bancaire, la NewB est en train de se constituer en banque coopérative malgré les bâtons dans les roues de la part du régulateur. La Bees Coop a ouvert un supermarché participatif et coopératif avec déjà plus de 600 membres. La SMart vient de changer ses statuts afin de devenir une coopérative pour des dizaines de milliers d’artistes et de freelancers. Au niveau énergétique, la décentralisation bat son plein et de plus en plus de citoyens achètent déjà leurs propres éoliennes et panneaux solaires sous forme coopérative. En mobilité, le groupe Taxistop développe depuis plusieurs décennies des services sans but lucratif permettant la co-mobilité (cambio, cozycar, carpool plaza, eurostop). Enfin, face à la spéculation immobilière, le Community Land Trust prend racine et marque des points par son ingéniosité.

Pendant que certains s’en mettent plein les poches grâce à notre collaboration et que d’autres n’arrivent toujours pas à légiférer un cadre politique adéquat, il ne tient qu’à nous de créer des CoopBnB, BlaBlaCoop, FaceCoop et autres services sans but lucratif. “Un autre monde est possible” n’est plus un slogan théorique à chanter lors de manifestations ; en quinze ans, c’est devenu une réalité concrète que nous pouvons soutenir dès maintenant. C’est à nous de faire le choix. Réapproprions nous l’économie collaborative. Nos enfants nous en remercieront.

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