CONSULTATION DU DOSSIER ET RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

par | BLE, MARS 2013

Facilité d’accès aux données, rapidité dans la mise à jour et efficacité dans le partage des informations… Le dossier médical informatisé semble la solution rêvée face aux exigences de la nouvelle gouvernance publique des soins de santé. Au-delà des questions que cet outil pose en matière de respect des données personnelles, il ouvre une fenêtre sur les logiques à l’œuvre dans les services publics, à l’heure où les “usagers” se confondent de plus en plus avec les “clients”, de qui on attend une transparence et une réceptivité à toute épreuve. Petit tour d’horizon de la question.

CONSULTATION DU DOSSIER ET RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

Que l’on parle de dossier médical global, dossier informatisé, dossier médical partagé ou de répertoire de référence, le partage des données de santé d’un patient sera la base même de l’organisation de l’offre médicale de demain. Chaque prestataire pourra consulter le répertoire de référence de son patient, afin de savoir à quel endroit, dans quelle institution, des données le concernant sont disponibles. S’ajoutera également à cela un résumé minimum réalisé par le médecin généraliste.

Rendre disponibles les données des patients permettra d’assurer la continuité des soins de qualité pour chaque patient, tout en garantissant la durabilité de notre système de santé reconnu pour être performant. Des réformes sont en route, accentuant, par exemple, le rôle de la médecine générale, créant des nouveaux métiers à caractères plus administratifs ou favorisant la délégation des tâches pouvant être accomplies par des personnes ayant d’autres qualifications.

Ce sont les objectifs énoncés. Des critères de qualité à juxtaposer à des critères économiques : un réel défi pour nos responsables politiques. La LUSS a décidé, depuis le début, de suivre pas à pas la mise en place de ce gigantesque projet.

LE PARTAGE DES DONNÉES

Chacun utilise un jour ou l’autre les services de prestataires de soins de compétences différentes. Qui peut dire ne s’être jamais rendu chez un généraliste, un dentiste, un kiné, un spécialiste, une infirmière… ou chez le pharmacien pour acheter des médicaments, prescrits ou non ? Lors d’une hospitalisation, les soins sont prodigués  par un ensemble de soignants, avec lesquels le patient aura plus ou moins de contacts. Tous ces prestataires détiennent des données de chacun de leurs patients, et le partage de ces données s’organise aujourd’hui, d’une manière sécurisée, via la plateForme eHealth.

Soyons clairs, pouvoir accéder aux données de santé antérieures de la personne qu’il est amené à soigner, comporte beaucoup d’avantages potentiels pour le prestataire, mais également pour le patient. La LUSS en est convaincue. Parmi ces avantages, citons, le gain de temps pour poser un diagnostic, la diminution des risques liés à la méconnaissance des antécédents du patient, une coordination améliorée entre hôpital et domicile, la facilitation de soins pluridisciplinaires, la diminution du nombre d’examens, d’actes techniques et l’amélioration que cela représente, notamment pour le patient, en diminuant la souffrance liée à certains examens, les coûts, le temps passé à l’hôpital, etc. Tout le monde s’y retrouve : la qualité et la continuité des soins sont mises en avant comme autant de bénéfices pour le patient, l’efficacité du travail en équipe pour les prestataires, une sécurité croissante pour les institutions, et des économies pour tous !

LA LUSS RELAYE LES INQIÉTUDES DES PATIENTS/USAGERS/CITOYENS

Mais cet échange de données soulève aussi beaucoup de questionnement, voire d’inquiétudes, au sein de la LUSS et des associations de patients. Et, afin de défendre au mieux les intérêts des usagers dans ce domaine, la LUSS suit de près, et depuis des années, la mise en place de la plateforme eHealth et organise la concertation sur le sujet auprès des usagers. Elle relaye le fruit de ses réflexions vers les autorités compétentes et constate que plusieurs de ses demandes, telles que le consentement éclairé du patient pour le partage de ses données, ont été rencontrées et inscrites dans la procédure.

Ces réflexions rejoignent également un débat de société plus général sur des enjeux de notre démocratie actuelle, quand le citoyen s’interroge sur la garantie de respect de sa vie privée, par exemple, ou sur le risque que représente l’accès à des données, somme toute sensibles, par les assureurs, les employeurs, les organismes de contrôle et autres acteurs pas tout à fait désintéressés.  Vous trouverez dans la suite de cet article quelques éléments qui méritent d’être débattus sur la place publique, par les citoyens que nous sommes.

UN DOSSIER “INFORMATISÉ PARTAGÉ” DE QUALITÉ ?

La loi relative aux droits du patient définit que “le patient a droit, de la part de son praticien professionnel, à un dossier de patient soigneusement tenu à jour et conservé en lieu sûr”. La première question qui se pose est celle de la qualité des dossiers, quand on pense que leur contenu pourra être consulté par tous les prestataires. Qu’entend-on par dossier soigneusement tenu à jour ? Quelles sont les données minimum qui doivent y figurer ? Comment savoir si le dossier est complet et mis à jour ? Qu’est-ce qui doit être accessible à l’ensemble des prestataires concernés, et quelles données seront segmentées par profession ? Où sera la limite des informations utiles pour le dentiste ? Pour le kiné ? Pour l’ambulancier ? Pour le pharmacien ?

Dans la logique de la continuité des soins et d’une prise en charge pluridisciplinaire des patients, surtout chroniques, l’accès aux résultats d’examens déjà réalisés, aux résultats de laboratoire, aux radios récentes… apportera une certaine efficience aux soins à prodiguer à un patient : moins d’erreurs, moins d’examens inutiles, moins de souffrances, de temps perdu, de dépenses inutiles. À condition que chacun veille à la qualité et la pertinence des données qu’il rend disponibles, et que corollairement, chaque soignant utilise les données à bon escient. Restera à définir la validité et/ou la qualité d’une “radio récente” ou d’un scanner effectué dans un autre hôpital… Mais cela doit-il se faire au cas par cas ? Ne faudrait-il pas définir dès aujourd’hui les critères objectivables déterminant un dossier de qualité ? Et les patients ont bien des idées à ce sujet !

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ ET TRAÇABILITÉ

La LUSS s’est battue pour que le patient doive exprimer son consentement avant que ses données ne puissent être échangées entre les prestataires de soins. La solution pressentie au départ prévoyait que le patient soit d’accord par défaut, et fasse une démarche pour s’opposer aux échanges. Il a semblé important à la LUSS que chacun puisse prendre sa décision en connaissance de cause, selon sa situation et ses besoins. Après d’âpres discussions, c’est la formule du consentement éclairé qui a été retenue.

DONNER SON CONSENTEMENT AU PARTAGE DE DONNÉES

Le patient peut donner son consentement au partage des données soit :

Il est prévu que seuls les prestataires qui ont une relation thérapeutique avec un patient accèdent à ses données, et ce dans l’unique but d’assurer la continuité de ses soins. Cette précision est d’importance ! Mais difficilement vérifiable concrètement, bien que chaque connexion par un professionnel à un document d’un patient sera traçable. C’est le patient lui-même qui devra “surveiller” qui aura été voir ses documents. Cela pourra se faire, à postériori, via le site du Réseau Santé Wallon, mais on peut imaginer la complexité de cette vérification… Pourquoi ne pas réfléchir dès le départ à un système de contrôle et d’évaluation moins flou et tout aussi efficace que le reste de la structure. Comme on peut le constater, la garantie du respect de la vie privée de chacun a ses limites…

Reste la question des accès aux dossiers par des professionnels “à double casquette” : les experts des assurances, les médecins contrôleurs des employeurs et autres représentants d’intérêts qui ne sont pas spécialement ceux du citoyen. Celui- ci devra retrouver parmi les soignants visiteurs de ses données, ceux qui n’auraient pas dû y accéder !

Pour un malade chronique en recherche d’une assurance solde restant dû à l’occasion de l’achat d’une maison, par exemple, la consultation de ses données de santé par un médecin expert de la compagnie d’assurance peut avoir des conséquences catastrophiques. Et même si l’abus est dénoncé par la suite, les conséquences seront là, et les risques de refus de l’assurance ou de surprimes biens réels… On parle de sanctions exemplaires en cas de consultation non autorisée. Encore faudra-il les détecter ! A moins d’en arriver à retirer son consentement le temps de contracter son assurance …

ET LE PATIENT DANS TOUT ÇA ?

Le patient peut donc voir, à condition d’avoir accès à Internet (ce qui est encore un autre débat), qui a accédé à ses données. Mais jusqu’à présent, il ne peut pas consulter lui-même ses propres données. Paradoxe que de pouvoir voir que le docteur X a consulté des données qui vous concernent à l’hôpital Y, mais de ne pas connaître le contenu de ces données. L’argument que le patient ne comprendrait pas ce qu’il y a dans son dossier, et les conséquences négatives que cela pourrait avoir pour lui, reste bien ancré parmi les professionnels de la santé.

La loi relative aux droits du patient stipule que le patient a le droit d’être informé sur son état de santé (article 7). Si ce droit-là est appliqué correctement, le patient ne devrait trouver aucune surprise dans son dossier. Non ? Et celui qui décide de ne pas savoir, ce qui est également son droit, n’a aucune raison d’aller consulter son dossier, ou alors il en prend la responsabilité. Par contre, avoir accès à ses données permettrait au patient, qui  le  souhaite,  de remarquer des manquements, des erreurs, des informations non pertinentes voire fausses qui restent parfois sans raison dans les dossiers. Relire à tête reposée le diagnostic qui a été posé, les particularités du traitement prescrit ne peuvent qu’être bénéfiques pour le patient.

Le paradoxe est réel : il est attendu du patient qu’il agisse en personne responsable, acteur de sa santé, voire compliant quand nécessaire, mais les informations qui le concernent et qui l’aideraient à agir de la sorte, ne lui sont plus accessibles une fois la consultation terminée et la porte du cabinet médical refermé. La LUSS plaide pour un accès direct à leur dossier par les patients qui désirent en connaître le contenu. Elle demande également que l’on réfléchisse dès aujourd’hui  à la manière de rédiger les dossiers, afin qu’on cesse de prétendre qu’ils sont incompréhensibles pour le patient. Le dossier du patient deviendrait dès lors un outil de communication, permettant de vérifier la compréhension par le patient, des informations données par le soignant et réciproquement.

Imaginer qu’une multitude de personnes, professionnels de la santé au sens très large, auront accès à ces données santé, données sensibles s’il en est, ne peut qu’interpeller le citoyen que nous sommes. La question du respect de la vie privée surgit immédiatement. Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour qu’elle soit garantie pour l’ensemble des citoyens. Les abus devront être sanctionnés très clairement et sévèrement. Chacun devrait pouvoir prendre sa part de responsabilités pour que la notion-même de respect de la vie privée de tous ne soit pas un vain mot : les autorités publiques, les prestataires, les gestionnaires… et les citoyens.

La plateforme eHealth, et le partage des données des patients qu’elle favorise d’une manière sécurisée, fera partie de l’organisation des soins de santé dès demain. La disponibilité de ces données est la base du changement du modèle médical qui se profile à l’horizon. Elle doit garantir tant la qualité des soins que la maitrise des coûts qu’ils engendrent pour le patient et pour la société. Et là aussi, chacun devra prendre sa part de responsabilités, bien que le patient ne soit pas sur un pied d’égalité sur ce terrain-là. Cette question de partage des responsabilités mérite à elle seule un débat important, considérant que devenir un patient est rarement un choix délibéré du citoyen. Quelle que soit sa situation, ce citoyen patient a encore de longs combats à mener pour se faire entendre au même titre que les autres acteurs. La LUSS y travaille…

Dans la même catégorie

Share This