Sur papier, tout peut paraître prévu pour que soient respectés les droits du patient de la personne âgée. Et pourtant, que ce soit pour la personne âgée à domicile ou encore résidant en MR (maison de repos) ou en MRS (maison de repos et soins), la réalité est tout autre. Il est dès lors important de rappeler quels sont ces droits et surtout de veiller au respect de ceux-ci. Ceci implique un changement de mentalité profond.
QUELS SONT LES DROITS FONDAMENTAUX DE LA PERSONNE ÂGÉE ?
Les principes se retrouvent dans le corpus de droit médical constitué par la loi sur les droits du patient, celle qui consacre le principe de l’accès général aux soins palliatifs et enfin la loi relative à l’euthanasie, toutes trois votées en 2002. Le respect de ces droits est rappelé dans l’Arrêté royal du 9 mars 2014, relatif aux normes pour l’agrément spécial comme maison de repos et de soins, comme centre de soins de jour ou comme centre pour lésion cérébrale acquise. Dans le chapitre “Normes de qualité” en son article 6, il est indiqué “le respect de la législation en matière d’euthanasie et de soins palliatifs”, ainsi que “le respect des volontés du résident concernant sa fin de vie et/ou de sa déclaration anticipée en matière d’euthanasie”.
La Fondation Roi Baudouin a lancé une initiative “Penser plus tôt aux soins de plus tard” en vue de promouvoir le projet de soins personnalisés et anticipés “en d’autres termes, encourager chacun à penser plus tôt à ses soins de plus tard et en parler à son entourage familial et médical”. La Fondation insiste sur la nécessité de stimuler le dialogue entre la personne âgée et ceux qui la soignent : il s’agit de partager ses valeurs, choisir les traitements que l’on veut ou ne veut pas subir, les lieux où l’on veut vivre ou ne pas vivre.
LA LOI DU 22 AOÛT 2002 SUR LES DROITS DU PATIENT
Outre que la loi sur les droits du patient rappelle que tout patient a droit à des soins de qualité, l’accent est mis sur l’autonomie du patient et le respect de son intégrité morale et physique. Pour tout traitement, le patient doit donner son consentement. Son refus éventuel ne doit pas être motivé. Les refus de traitement peuvent être exprimés de manière anticipative : notre ancien testament de vie proposé par l’ADMD reçoit sa consécration légale sous la forme de déclaration anticipée de refus de traitement avec la possibilité également de désigner un mandataire qui peut être un membre de la famille. Ce mandataire pourra exercer les droits du patient en ses lieu et place.
Une remarque s’impose : la déclaration anticipée en matière de traitement doit être la plus précise possible. Se contenter d’indiquer que l’on refuse l’acharnement thérapeutique n’est guère suffisant : il s’agit de citer les traitements refusés comme par exemple l’alimentation artificielle, la dialyse, la réanimation en cas d’arrêt cardio-respiratoire.
La règle d’or est l’anticipation. Mais sans information, il est impossible d’anticiper : information des professionnels de la santé vers la personne et information de la personne concernant ses volontés à l’égard du personnel soignant et de ses proches. Evoquer cette question il y a quelques années devant le personnel soignant et administratif de MR et MRS se révélait un exercice difficile. La réaction immédiate était d’opposer à cette nécessité de dialogue le choc que représentait pour le futur résident l’entrée en MR ou MRS. Je répondais qu’il était plus vraisemblable que la personne la moins choquée par ce type de questionnement devait être le futur résident ! En vérité, les cadres administratifs et le personnel soignant, par ce questionnement, se voient renvoyés de façon très directe à leurs propres interrogations au sujet de leur vie future. Il est en quelque sorte plus facile d’infantiliser la personne âgée, éventuellement même lorsque des problèmes se posent, de la bourrer de calmants, que d’entrer dans un dialogue qui nous confronte à nos propres questions concernant la fin de vie, la mort, la démence.
Le mot “démence” fait à la fois peur et sert également de paravent pour ne pas poser les bonnes questions. La démence s’installe très souvent de manière progressive chez la personne âgée. Et c’est précisément lorsque cette démence n’a pas encore neutralisé la volonté de la personne qu’il faut pouvoir aborder toutes ces questions. C’est parfois une course contre la montre. Du jour au lendemain, en effet, une personne peut basculer de l’autre côté du miroir. Il ne faut cependant pas perdre de vue que le principe est de respecter la décision de la personne en matière de traitement et ce, le plus loin possible, le professionnel de la santé devant s’adapter devant l’état de la personne pour pouvoir communiquer le plus longtemps possible et le mieux possible.
Toujours dans le but de respecter la volonté de la personne, la loi du 22 août 2002 a prévu qu’en absence de déclaration anticipée ou de mandataire, le médecin recherchera la volonté de la personne auprès de ses représentants pour lesquels la loi prévoit un ordre de priorité : tout d’abord, le partenaire cohabitant, marié ou non, ensuite le ou les descendant(s) majeur(s) pour en arriver éventuellement aux ascendants et, à défaut, le(s) frère(s) ou la(les) sœur(s).
Il faut toutefois préciser que les nouvelles dispositions prises en matière de protection des personnes vulnérables, conformément à la loi du 17 mars 2013 sont venues jouer quelque peu les trouble-fêtes. Les intentions du législateur étaient parfaitement louables : harmoniser les différents statuts qui existaient et permettre à la personne vulnérable de pouvoir, autant que possible, exercer elle-même ses droits. Auparavant, la seule protection qui intéressait le législateur portait sur l’aspect matériel : les biens. Aujourd’hui, le juge de paix peut désigner un administrateur de la personne. Le problème est que le législateur a permis ainsi au juge de paix de pratiquement supprimer la possibilité pour les personnes sous statut d’exercer leurs droits du patient. Il n’est guère possible dans le cadre de cet article de développer plus avant cette question, mais toujours est-il qu’il s’agit de savoir qu’aujourd’hui dans l’hypothèse où la personne n’est plus capable de prendre ses décisions par elle-même, qu’elle n’a pas désigné un mandataire, un administrateur de la personne pourra éventuellement s’interposer, administrateur de la personne qui ne connaît pas nécessairement ni ces questions au point de vue général, ni éventuellement la personne elle-même placée sous statut.
QUID DE L’EUTHANASIE ?
La loi du 28 mai 2002 permet à toute personne compétente de formuler une demande d’euthanasie. Le médecin qui reçoit cette demande doit s’assurer du caractère volontaire, répété, réfléchi, sans pression extérieure de la demande, ainsi que du caractère grave et incurable de l’affection médicale présentée par le patient et des souffrances physiques ou psychiques inapaisables engendrées par la condition médicale. Ce sont les principes généraux dans lesquels la personne âgée peut s’inscrire. Est-il utile de rappeler que, même en cas de démence causée entre autres par la maladie d’Alzheimer, l’euthanasie est possible pour autant que la personne soit toujours en capacité de formuler une demande volontaire, réitérée et sans pression extérieure ?
La personne âgée, comme toute personne adulte et compétente, aura éventuellement écrit une déclaration anticipée, contresignée par deux témoins dont l’un d’entre eux ne peut pas avoir d’intérêt matériel au décès de la personne. Elle aura peut-être désigné une personne de confiance mais qui, à l’inverse de ce qui est prévu pour le mandataire dans le cadre de la loi sur les droits du patient, aura un rôle limité, à savoir être la voix de la personne qui ne peut plus s’exprimer. Il existe en effet un droit à demander l’euthanasie mais non un droit à l’euthanasie. Cette déclaration a, par ailleurs, une date de “péremption” : cinq ans à partir du jour où la personne trace la déclaration, jusqu’au moment où elle se révèle incapable de s’exprimer. Ajoutons que la personne doit se trouver en inconscience irréversible pour que ce document puisse servir de base à une euthanasie.
Reste la question délicate de la zone grise lorsque la personne a perdu conscience d’elle-même, ne peut être jugée capable de formuler une telle demande d’euthanasie, mais ne peut pas être considérée comme inconsciente de manière irréversible au sens de la loi relative à l’euthanasie, pour ce qui concerne la déclaration anticipée.
QUAND ROMÉO ET JULIETTE ONT 80 ANS
Le vieillissement de notre société est une donnée en soi, problème sociétal pour lequel la loi relative à l’euthanasie ne peut servir d’écran. Les suicides de personnes âgées existent. Le paradoxe de la dépénalisation de l’euthanasie veut que certains de ces suicides abominables, cruels, solitaires ont pu être évités. Mais c’est évidemment une réponse partielle.
Les demandes de couples qui souhaitent partir la main dans la main, l’un à côté de l’autre, augmentent. Le prochain rapport de la Commission d’évaluation et de contrôle de l’euthanasie qui portera sur les années 2014 et 2015, fera état de ces euthanasies de couples de personnes âgées, du moins de celles que l’on a pu détecter. Il faut en effet rappeler que ces déclarations sont anonymes.
Il y a quelques années, la presse néerlandophone s’est fait l’écho du cas d’un couple qui avait demandé et obtenu l’euthanasie. Pour l’un, le décès était prévisible à brève échéance. Pour l’autre, ce n’était pas le cas. Cela étant, chacun d’entre eux remplissait les conditions prévues par la loi. Et c’est bien la condition sine qua non : chacun doit pouvoir répondre aux critères de la loi. Certains ont voulu introduire une polémique. Mais l’affaire n’a pas été plus loin : les conditions prévues par la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie avaient bel et bien été respectées. La circonstance que ces personnes avaient souhaité partir ensemble ne devait pas distraire du fond de cette affaire.
Comprenons ces couples fusionnels, entendons leur demande de pouvoir être ensemble pour ce dernier voyage, mais avant cela, n’oublions pas de tout mettre en œuvre pour prévenir les suicides brutaux et solitaires et de jeter les bases d’une société où la vieillesse n’est pas une tare, une marque infamante.