Étymologiquement, l’émocratie signifie le pouvoir de l’émotion. Au travers de ce néologisme, nous nous inquiétons de la manière dont nos gouvernements tendent toujours plus l’oreille aux émotions populaires et instrumentalisent celles-ci pour asseoir leur pouvoir ou contourner les procédures démocratiques. Ces émotions, généralement suscitées par un fait divers, sont souvent négatives : la peur,

le ressentiment, le désir de vengeance. Ceux qui nous gouvernent y répondent la plupart du temps dans la précipitation en adoptant des mesures qui ne font l’objet d’aucun débat démocratique alors que bien souvent elles touchent aux fondements de l’État de droit.

Ce thème ne paraîtra pas inédit à nos lecteurs fidèles. Si nous y revenons aujourd’hui, c’est parce qu’il y a une certaine constance dans nos préoccupations démocratiques et aussi parce que l’actualité nous rattrape. La question mérite dès lors d’être approfondie et nuancée.

Il faut savoir que les décisions prises sous le coup de l’émotion et dans la précipitation sont rarement avisées, que la peur, la tristesse, l’angoisse… perturbent le discernement. Elles devraient émaner d’un réel débat démocratique, humaniste et avec une intelligence émotionnelle “juste” car notre conscience humaine est émotionnelle avant d’être rationnelle. Le problème est que notre culture “moderne” a peu intégré le QE (quotient émotionnel) dans notre société pour mettre le QI sur un piédestal. C’est pourquoi, nous réagissons en “analphabéte de l’émotion” (Daniel Goleman).

L’intelligence émotionnelle, véritable fonction cognitive s’apprend essentiellement sur le terrain… dont s’éloigne trop vite la plupart de nos politiciens ! C’est l’émotion qui nous motive, qui, bien canalisée, nous fait avancer. C’est un moteur de vie, plus que la raison (nous retrouvons d’ailleurs dans émotion et motivation la racine “moteur”). Montaigne reconnaissait déjà l’importance de l’émotionnel lorsqu’il écrivait qu’ “un enfant n’est pas un vase qu’on remplit, mais un feu qu’on allume”.

La vie n’est que mouvement et les émotions positives – l’enthousiasme, la joie, le plaisir, etc. – sont des moteurs indispensables à l’action voire, à la transformation sociale positive. L’émotion peut aussi provoquer la compassion et déclencher des élans de solidarité et de générosité – telle l’affect suscitée par cette photo d’un enfant échoué sur une plage méditerranéenne qui a fait le tour du monde fin de l’été dernier.

Balayer toutes les émotions d’un revers de main expose à de gros “retours de manivelle”. Des émotions n’ayant pu être entendues finissent parfois par s’exprimer d’une manière explosive et totalement incontrôlable. Ainsi le tout à la raison n’est pas sans danger car il ferait de nous des êtres froids et insensibles. L’humanisme peut d’ailleurs aussi être mis à mal par les excès de la raison instrumentale, commerciale ou électorale.

Les émotions font donc partie de l’humain et le caractérisent autant que sa raison. L’humanisme laïque doit également les prendre en compte, les décrypter afin de ne pas les subir mais d’en faire bon usage. Comme nous y invitent Prigogine et le Dr Michel Debelle avec son “émostress”, il nous faut profiter des énergies libérées par le chaos, qui a un pouvoir organisateur… mais sans être mis KO.

Nous sommes des êtres complexes vivant dans un monde complexe au sein duquel nous devons naviguer en cherchant un juste équilibre entre notre raison et nos sentiments, entre nos principes et la réalité. Cela ne sera possible que grâce à notre capacité de réflexion et de libre examen.

J’espère que ce dossier contribuera à aiguiser la vôtre !

Dans la même catégorie

Share This