ESQUISSE DE BILAN DE LA POLITIQUE PÉNALE ET SÉCURITAIRE DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL : TOUT FOUT LE CAMP ?

par | BLE, Justice, MARS 2019, Politique

Il faut que tout change pour que rien ne change”, disait Tancredi dans le célèbre roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard. Peut-on appliquer cette maxime au premier mandat du Gouvernement Michel-De Wever en ce qui concerne la politique pénale et sécuritaire ? Ou, au contraire, peut-on lui appliquer le célèbre adage conservateur “c’était mieux avant” ? En d’autres termes, le Gouvernement fédéral a-t-il fait preuve de continuité ou s’est-il inscrit dans une rupture par rapport  à ses prédécesseurs ? Tentative de réponse, partielle et partiale.

PRÉAMBULE

Comparer des bilans politiques, et donc des époques différentes, n’est pas chose aisée. En effet, les contextes sociaux, économiques, historiques (entre autres) sont différents, ce qui rend les comparaisons hasardeuses. À titre d’exemple, c’est sous le mandat du Gouvernement Michel 1er (et dernier ?) que sont survenus les attentats terroristes ayant frappé Paris puis Bruxelles, entraînant la surenchère sécuritaire qu’on connaît, avec son lot d’innovations spectaculaires (militaires dans les rues, collectes massives de données personnelles, etc.). Face à ce constat, il est difficile d’opérer une comparaison avec le bilan des Gouvernements précédents, qui ont développé une politique pénale dans un cadre qui était tout à fait différent.

Ceci étant écrit, certaines tendances, tant de continuité que de rupture, peuvent être relevées.

CONTINUITÉ

Dans la première catégorie, on peut affirmer sans trop de craintes de se tromper que l’emprise du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif (qui était déjà moribond) et, surtout, sur le pouvoir judiciaire, s’est accentuée.

Dans le premier cas, citons l’exemple de la loi dite “pot-pourri II” (les termes sont ceux choisis par le Gouvernement…). Cette dernière avait pour objectif de réformer le code pénal et le code d’instruction criminelle en prenant des options largement critiquables, comme, entre autres, la suppression de fait de la Cour d’assises, des incohérences issues de l’emballement pénal [1], le renforcement déséquilibré des prérogatives du Parquet[2] ou encore l’exclusion absolue et systématique des modalités d’exécution de la peine privative de liberté pour les étrangers sans titre de séjour en Belgique.

À toutes les étapes de la procédure d’élaboration de la loi, la Ligue des Droits Humains (LDH), aux côtés de nombreux autres acteurs, a souligné le caractère particulièrement problématique de plusieurs pans du projet de loi. Malgré une mobiisation politique, juridique et médiatique intense, le pouvoir législatif n’a pas concédé le changement de la moindre virgule du texte de loi, celui-ci faisant déjà l’objet d’un accord politique scellé entre les partis du Gouvernement…

Fort heureusement, suite à l’introduction d’un recours en annulation par la LDH et l’Association Syndicale des Magistrats (ASM), entre autres, la Cour constitutionnelle ne s’en est pas laissé conter et a annulé les points les plus problématiques de la loi, permettant de ce fait à la Cour d’assises de renaître de ses cendres, réaffirmant le rôle du juge d’instruction comme acteur incontournable du procès pénal, et mettant fin à la discrimination  à l’encontre des détenus étrangers sans titre de séjour. Et, par conséquent, infligeant un véritable camouflet au Gouvernement.

Dans le deuxième cas, citons la déglingue organisée du pouvoir judiciaire, qui a abouti à l’effondrement d’un plafond dans le Greffe de la Cour de cassation, au passage de la pluie dans es salles d’audience du palais de Justice de Mons, ou à la fermeture du  Palais  de  Justice de Namur, en raison de sa vétusté. Au sous-financement immobilier, s’ajoute la pénurie de magistrats et l’inadaptation (voire l’inexistence) d’outils informatiques performants pour les acteurs et actrices judiciaires, sans oublier le manque de moyens pour financer l’aide juridique, c’est-à-dire l’accès à la justice permettant à toutes et tous de faire valoir leurs droits.

Ce bilan a fait réagir le plus haut magistrat du pays, Premier président de la Cour de cassation de Belgique, peu coutumier de ce genre de saillies, qui a parlé d’“État voyou” pour désigner les autorités de fédérale.

RUPTURE

En termes de rupture, parlons de la situation des étrangers qui ont le malheur de ne pas être administrativement en ordre de séjour, du non-respect des décisions de justice par le pouvoir exécutif et des velléités de remise en cause des textes internationaux protecteurs des droits fondamentaux par certains membres du Gouvernement.

Dans le premier cas, la figure de l’étranger semble être devenue un personnage de plus en plus présent dans le dispositif sécuritaire, tant administratif que pénal. Ainsi, de nombreuses lois ont été adoptées afin de s’occuper de ces intrus avec autant de fermeté, surtout s’ils ont eu le malheur de ne pas respecter les lois du Royaume, et même dans certains cas s’ils ont bien respecté ces lois (comme dans le cas, de la loi dite “d’ordre public” ou encore loi “déportation”, qui permet d’expulser du territoire un individu étranger en séjour légal, même de longue durée, pour des raisons d’“ordre public” ou de “sécurité nationale”, cela en l’absence de toute condamnation pénale).

Par exemple, tant dans la loi pot-pourri II précitée que dans la loi pot-pourri III qui lui a succédé (relative à l’internement des personnes), l’étranger en séjour irrégulier ne pouvait en rien prétendre à une modalité d’exécution de la peine privative de liberté. Cela signifie concrètement qu’un étranger qui aurait, par exemple, fait l’objet d’une mesure d’internement, ne pouvait pas bénéficier de mesure d’aménagement de sa peine (comme des permissions de sorties de maximum 16h par jour et jusqu’à 14 jours par mois) et pouvait donc demeurer interné (et par conséquent coincé entre quatre murs) sans plus aucune raison de l’être, si ce n’est le fait d’être en séjour illégal. Fort heureusement, la Cour constitutionnelle a, par la suite, mis fin à cette discrimination.

Dans le deuxième cas de figure, pointons l’affaire dite des visas humanitaires, dans laquelle feu le Secrétaire d’État à l’Expulsion du territoire a refusé d’exécuter des décisions de justice le condamnant, ou encore les déclarations de son président de parti soulignant avec autant de mesure que de subtilité que “si un Gouvernement des juges décide qu’une migration incontrôlée est la meilleure chose pour le pays, je dois m’y opposer pour défendre l’intérêt général et la démocratie”.

Si l’on doit à l’honnêteté de souligner que cela n’est pas une première, puisque le Gouvernement précédent s’était honteusement couché sur une décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme de ne pas extrader Nizar Trabelsi vers les États-Unis (ce qui vaudra à la Belgique une sévère condamnation par cette dernière), il semblerait tout de même que cette pratique jusque-là rarissime, soit devenue très populaire dans les milieux Gouvernementaux.

Dans le dernier cas, pointons la volonté des mêmes d’outrepasser la Convention européenne des Droits de l’Homme en privant de liberté tous les “returnees” sans contrôle judiciaire, la volonté d’adapter la Convention de Genève sur la protection des victimes de conflits armés, la volonté de contourner la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme relative à l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants ou, encore, le psychodrame autour de la signature du pacte mondial sur les migrations, qui sera le théâtre de la rupture entre les deux grandes composantes du Gouvernement (rupture qui tombe de manière fort à propos juste avant la campagne électorale…).

CONCLUSION

La réponse à la question initiale (rupture ou continuité  ?) n’est sans aucun doute pas univoque. Si l’on peut convenir avec Bob Dylan que “The times, they are a-changin”, la proposition de Tame Impala selon laquelle “New person, same old mistakes” est toute aussi vraie…


[1] À titre d’exemple, un crime de droit commun était plus sévèrement sanctionné qu’un fait de génocide…

[2] Suppression du mandat du juge d’instruction pour effectuer une perquisition dans un domicile privé…

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