FAUT-IL RESPECTER LES CROYANCES?

par | BLE, Démocratie, MARS 2021, Politique

Que l’on soit croyant, athée, agnostique ou ignostique, l’heure est à la tolérance vis-à-vis des croyances religieuses et spirituelles. Cette position permet à chacun de faire montre d’une attitude à la fois respectueuse de l’autre et humble face à l’inconnu que représentent les questions métaphysiques telles que l’existence de dieu(x), la vie après la mort, l’âme, etc. Dans bien des pays, la paix sociale est à ce prix qu’une personne ponctuant ses phrases par « plaise à Dieu » ou invoquant les « énergies vibratoires » sera vue comme tout à fait légitime de le faire, au point que sa croyance rejoindra bien vite les limbes du non-débat, en privé comme dans l’espace public Je pense que c’est un problème.

Nous avons tous des croyances et l’esprit humain est ainsi fait que nous nous en créons de nouvelles chaque jour ! Lorsque je me sers un verre d’eau, je ne vérifie pas si elle est potable ; je suis prête à croire qu’elle l’est. Lorsqu’un physicien quantique me dit que la lumière est à la fois ondes et corpuscules, je serais bien incapable de m’en assurer ; je le crois. Je crois aussi que j’existe et que vous existez… Pourtant je n’en ai pas la preuve.

Nous sommes tous condamnés à croire. Et force est de constater que c’est ce qui nous permet de prendre nos décisions quotidiennes, et même de construire des raisonnements complexes plutôt valables ! Dès lors, il serait bien arrogant et naïf de critiquer une personne sur le simple fait qu’elle est croyante.

Mais voilà, la personne croyante et la croyance sont deux choses qu’il convient de bien dissocier. L’une n’est pas l’autre, et vice-versa.

Cela mérite d’être rappelé parce que nous avons tous et toutes tendance à nous identifier à nos croyances et à assimiler celles des autres à qui les porte. C’est ainsi que nous nous enflammons lorsque nos convictions politiques ou notre équipe nationale de football sont attaquées. Pourquoi ? Parce que nous nous sentons atteintes en tant que personnes par toute critique allant à l’encontre de ce que nous croyons profondément ou de ce à quoi nous nous identifions. Oui, il est bien difficile d’accepter le simple questionnement des idées qui nous sont chères.

Notre désir de neutralité face aux croyances des autres est sans aucun doute lié à cette difficulté que nous avons d’interroger les nôtres.

Mais le big buzz d’Internet a changé la donne. Il a créé un nouvel écosystème permettant, par exemple, aux tenants des théories du complot de faire entendre une voix inaudible il y a encore peu. Ce faisant, des camps se sont formés et se solidifient au gré des tweets sur les vaccins, le port du masque, l’homéopathie ou le changement climatique. Les clivages grandissent à tel point que pour certaines personnes, il devient impensable de rester en contact avec celles et ceux qui n’adhèrent pas à leur noyau de croyances ; l’opinion adverse devient l’ennemi, et celui qui la porte avec.

Ce phénomène de radicalisation croissante vient nous rappeler à quel point nous sommes enclins à donner un pouvoir démesuré à nos croyances, jusqu’à leur laisser le contrôle de nos pensées et de nos actes, sans d’autre considération que leur préservation et leur diffusion. Il est aussi une nouvelle occasion de remettre sur l’établi une question maintes fois posée dans l’Histoire et maintes fois remise sous le boisseau : faut-il respecter les croyances ?

Pour mener ce questionnement, j’aimerais prendre l’exemple d’une croyance tellement présente en ce moment qu’elle est rarement identifiée comme telle, et même souvent vue comme un mode de pensée inoffensif, voire bénéfique. J’ai nommé : la spiritualité New Age.

Eh oui ! Loin d’avoir été enterrée avec le mouvement Peace and Love des années 1960-70, elle bénéficie aujourd’hui d’un engouement planétaire dont vous n’imaginez sans doute pas l’étendue.

Sur mon podcast Méta de Choc[1], la série « Chroniques de la spiritualité contemporaine » rencontre un énorme succès. La saison 1 décortique huit notions majeures de l’ésotérisme New Age et montre la pénétration, dans notre quotidien, de ce qui s’avère être une véritable idéologie. Loi de l’attraction, énergies vibratoires, soins énergétiques, médecine quantique, écospiritualité, géobiologie de l’habitat ou encore féminin sacré… Autant de concepts difficiles à cerner et pourtant si largement véhiculés ; que ce soit dans les cours de yoga, sur les applications de méditation, sur les groupes Facebook parlant d’alimentation, sur les comptes Instagram des influenceuses en éducation positive, chez les coachs de vie ou dans les magazines féminins.

Mélangeant spiritualité et pseudosciences, les idées du New Age ont vu naître et croître le développement personnel, l’attrait pour les croyances orientales et le chamanisme, mais aussi tout un tas de “médecines alternatives“ et de théories du complot.

Au final, sous couvert « d’Amour », de « Lumière » et de « Vérité », toutes ces idées et pratiques s’avèrent non seulement manquer de fondement, mais surtout mener à des mises en danger individuelles et collectives insoupçonnées.

Déjà en 2015, le rapport annuel de la Miviludes (instance gouvernementale française de lutte contre les dérives sectaires) indiquait que la spiritualité New Age constituait leur préoccupation majeure, largement devant la radicalisation islamique. L’alerte ayant été ignorée par les politiques et les médias, ces croyances n’ont pas été discutées et le grand public n’a pas pris conscience de ce qui se jouait, en particulier sur Internet.

La pandémie de COVID-19 et le confinement ont finalement fait exploser ces idées, jusqu’à les rendre mainstream.

Il aura fallu la montée inquiétante du mouvement QAnon sur Internet et la publication en février 2021 d’un communiqué du Ministère de l’Intérieur pour que les médias français se fassent réellement l’écho de l’impact de ces croyances : isolement social, refus de soin, complotisme, voire dérives sectaires graves.

Si le lien avec la spiritualité New Age n’est pas toujours fait, il est bien réel ; les militants hyperactifs de QAnon en zone francophone s’en réclament tout autant que les pseudo-thérapeutes proposant « soins énergétiques » et communication avec des « entités supérieures ».

Le Ministère de l’Intérieur ne manque d’ailleurs pas d’alerter sur la recrudescence des dérives sectaires liées à ces croyances : « La majorité des procédures traitées vise des thérapeutes ou des coachs proposant des soins divers (parfois à distance) ou des séances de développement personnel, visant en apparence le bien-être (…) [mais] amenant [leurs clients] à rompre progressivement avec leur entourage, à adhérer pleinement et sans condition aux préceptes énoncés, à abandonner leur liberté de choix et à se mettre parfois gravement en danger ».

Les problèmes soulevés par cette offre pléthorique d’accompagnements alternatifs ne se cantonnent pas à des dérives d’ordre sectaire. Ils peuvent assez banalement se manifester, par exemple, par l’arrêt des traitements conventionnels ou le refus de vaccination sur la base d’arguments fallacieux typiques du New Age tels que : nos pensées déterminent notre état de santé. Certes, l’effet placébo existe et il est même utilisé en médecine, mais rappelons qu’il n’opère pas dans les cas de cancer ou les maladies infectieuses telles que la COVID-19.

La recherche a récemment montré que le recours aux pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (PNCAVT), en parallèle ou à la place d’un traitement oncologique conventionnel, augmente significativement la mortalité des malades.[2] Aujourd’hui en France, on peut estimer à plusieurs milliers par an les personnes mortes pour avoir eu recours à de tels “traitements“, rien que pour le cancer.

Ces exemples peuvent paraître extrêmes, mais ils sont liés à un phénomène auquel nous sommes tous vulnérables : en période de précarité et de forte anxiété comme celle que nous vivons actuellement, nous avons tendance à chercher des réponses rassurantes… Ce que les croyances ne manquent pas de nous apporter.

Mon but ici n’est pas de stigmatiser toute approche spirituelle ou de bien-être, mais de déconstruire le pari pascalien selon lequel les croyances ne peuvent pas faire de mal.

Aussi jolies ou inoffensives qu’elles paraissent, nombre de nos adhésions non-questionnées, bien loin de nous permettre de résoudre nos problèmes personnels ou existentiels, peuvent au contraire en créer de graves.

Plus elles nous sont chères et gouvernent votre vie, moins nous les interrogeons… Et plus il serait pourtant important de le faire !

C’est à ce travail de métacognition (réflexion sur nos propres pensées) que je tente d’introduire mon audience ; à l’envie d’identifier et de reconsidérer nos propres modes de fonctionnement mentaux pour prévenir la manipulation et l’auto-manipulation.

Cette démarche exigeante incite à ne pas respecter nos croyances ; à les malmener, les disséquer et les provoquer. Car c’est dans l’auto-éducation au doute, au questionnement et à l’analyse de nos pensées individuelles et collectives que le respect de soi et des autres est à trouver.

Respecter les croyances, s’interdire de les critiquer, c’est se déposséder de sa propre capacité à penser. Ne pas les respecter au contraire, c’est ouvrir la voie à une évolution constructive des idées.

Pour aller plus loin encore, ne pas échanger avec les autres sur le bien-fondé de leurs croyances, sur leur utilité et leurs conséquences, ne pas encourager chacun et chacune à une prise de recul sur ce qui fonde ses raisonnements, c’est hisser les idées irrationnelles au rang de gouvernail intouchable.

Jusqu’au jour où elles deviennent radicales et délétères, et qu’il est bien tard pour s’en indigner.


[1] Le podcast Méta de Choc est disponible sur toutes les applications de podcast et sur https://www.metadechoc.fr

[2] Complementary Medicine, Refusal of Conventional Cancer Therapy, and Survival Among Patients With Curable Cancers, par Skyler B. Johnson & al. (JAMA, octobre 2018).

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