La liberté de circulation instaurée dès le Traité de Rome (1957) constitue l’une des quatre grandes libertés du marché intérieur. Une liberté qui permet aux citoyens de l’Union européenne de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Mais qui ne doit et ne peut rester inconditionnelle. Car les risques sécuritaires liés à la liberté de circulation sont bien réels. Les attentats nous ont montré à quel point nos frontières étaient perméables et que “l’Europe forteresse” décrite par certains était davantage une “Europe passoire”.
Nous verrons que le terrorisme a bénéficié de l’ouverture des frontières européennes et cela notamment grâce à une mauvaise optimisation des outils à notre disposition en matière de sécurité. Par ailleurs, le déni persistant quant à la nécessité de garantir la sécurité des citoyens belges et européens sera abordé ainsi que l’absolue nécessité de le surmonter au vu de l’explosion démographique en cours et à venir.
LES MIGRANTS KAMIKAZES
L’enquête du journal Le Monde du 13 novembre 2016 – date anniversaire des attentats de Paris – révèle au grand jour les risques sécuritaires liés à la libre circulation : on y apprend que “sous de fausses identités, la plupart des kamikazes ont suivi la route des Balkans jusqu’en Hongrie, plateforme de transit des réfugiés, avant de rejoindre Bruxelles, base opérationnelle des terroristes”. Pas moins de dix membres de la cellule terroriste à l’origine des attaques de Paris et de Bruxelles ont séjourné ou transité en Hongrie dans la deuxième partie de l’année 2015 en se mêlant à l’afflux de réfugiés.
Ces conclusions ont été très peu relayées et discutées. Probablement parce que jusqu’ici les “experts” sollicités par la presse belge et les organismes militants continuaient à propager les incitations au déni en véhiculant des affirmations révélées au grand jour comme fausses et péremptoires. François De Smet, directeur de Myria – le nouveau Centre pour l’égalité des chances[1] – affirmait dans la presse que les djihadistes “ne sont pas
des gens qui sont venus en bateau ou en camion” et “pourquoi diable des djihadistes voudraient-ils dissimuler des gens chez des demandeurs d’asile (…) ?” Le Ciré – un lobby pro-réfugiés – avait quant à lui lancé une campagne afin de “déconstruire les préjugés”. Le numéro 9 est formulé comme suit : “parmi les réfugiés, il y a des terroristes et des criminels”. Que devient un préjugé lorsqu’une étude d’un grand journal le transforme en information véridique ?
Depuis le 11 septembre, nous avons découvert à quel point si le marché européen permettait aux marchandises, aux services et capitaux de circuler librement, le terrorisme franchissait également presque aussi aisément nos frontières. Ainsi, avec la crise des réfugiés, l’ouverture massive des frontières a permis un “basculement stratégique” de la part de l’État islamique. Il est en effet beaucoup plus difficile de coordonner et d’organiser à distance des attentats massifs que d’envoyer directement de Syrie des combattants entraînés sur place. Or, des attentats tels que ceux de Paris et de Bruxelles ont pour particularité de ne pas avoir impliqué un, deux ou trois individus comme ceux de Charlie Hebdo, du Thalys, de Nice ou du Musée Juif de Bruxelles mais des dizaines de personnes avec chacune un rôle bien précis. Depuis Raqqa, grâce au flot de migrants, des attentats de grande ampleur sont ainsi devenus possibles avec l’envoi de combattants aguerris, capables de déjouer les moyens de surveillance de l’Europe. Nous avons ainsi transformé nos frontières en tapis rouge vers l’Europe. Une Europe qui fut ainsi frappée en plein cœur.
L’INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ DE L’EUROPE FACE À LA MENACE
La perméabilité de nos frontières pose de graves questions. Comment les responsables des attentats de Bruxelles et de Paris ont-ils pu effectuer en toute liberté autant d’allers-retours sans être inquiétés ? Certainement partiellement parce que l’Union européenne a tant tardé à prendre la mesure de la menace terroriste, en témoigne la lenteur avec laquelle elle s’est dotée d’un PNR (Passenger Name Record), une base de données recensant l’identité de tous les passagers des avions circulant dans l’espace européen.
Pourtant, l’idée initiale d’un PNR remonte aux attentats du 11 septembre 2001, lorsque les États-Unis demandèrent à l’Europe que leur soient communiquées les données personnelles des passagers des vols transatlantiques. Le parcours législatif du PNR relève de la saga : en février 2011, la Commission européenne envoie sa proposition au Parlement européen. La proposition y transitera ainsi que par la Commission européenne, le Conseil, la Commission LIBE. Elle sera rejetée, amendée, réexaminée, reformulée jusqu’à son adoption…en 2016 ! Il a fallu attendre les piqûres de rappel des attentats pour que ce texte soit finalement adopté. Les risques sécuritaires, à force d’être minimisés, ont conduit à affaiblir considérablement la sécurité des citoyens et à ralentir considérablement la mise en place de mesures pourtant nécessaires. L’Union européenne dispose pourtant d’outils afin de garantir la sécurité de nos frontières extérieures : Europol, Interpol, Frontex, Eurodac, VIS, etc. Mais ces outils sont trop parsemés et fonctionnent de manière trop disparate pour être efficaces : un djihadiste fiché par Europol pourrait ainsi parfaitement décliner sa vraie identité et ne pas être reconnu dangereux par Frontex !
Une lenteur et une incapacité à garantir la sécurité des frontières qui poussent les États à vouloir se réapproprier leur politique d’immigration, en témoignent le Brexit et les Eurobaromètres qui montrent que le terrorisme et l’immigration sont deux préoccupations majeures des Européens. Ainsi, on assiste en Belgique et dans d’autres pays européens à un phénomène de ghettoïsation, de communautarisme et de montée du radicalisme. Certains quartiers sont progressivement devenus des zones de non-droit, de grande insécurité pour les citoyens qui y vivent et les commerçants ou professionnels de la santé qui y sont implantés.
MENACE TERRORISTE : LES YEUX GRANDS FERMÉS
Pourtant, le déni persiste et le sacro-saint principe de liberté de circulation des individus prime constamment sur la sécurité comme en témoignent les arrêts rendus par la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg. En vertu de la portée extensive de l’article 3 relatif aux traitement inhumains et dégradants, les États ne sont désormais plus à même d’extrader un individu, y compris si celui-ci s’est rendu coupable de faits criminels ou terroristes qui viennent pourtant menacer l’ordre et la sécurité publique. Dans l’arrêt M.S. c. Belgique, la Cour a conclu à une violation de l’article 3 sans preuve que l’Irakien renvoyé dans son pays pour faits
de terrorisme avait réellement besoin d’un traitement médical. Dans l’arrêt Trabelsi, la Belgique a également été condamnée pour avoir extradé l’individu en question vers les États-Unis, celui-ci ayant des liens avec l’organisation terroriste Al-Qaeda, car celui-ci y risquait la peine de mort ou une peine incompressible. Les États se retrouvent donc contraints de garder sur leur territoire des individus dangereux sous peine d’être condamnés.
LE RISQUE D’ÉFFET BOOMERANG DE LA DÉMOGRAPHIE
Cette perte de contrôle à nos frontières risque de peser d’autant plus sur les États que l’évolution démographique laisse présager des mouvements de populations de plus en plus considérables. En 1950, la population de l’Afrique était moitié moins nombreuse que celle de l’Europe. Depuis la fin des années 1990, le continent africain, en pleine transition démographique est devenu plus peuplé que l’Europe. Aujourd’hui, les principaux pays d’origine des migrants ont tous multiplié leurs populations par quatre, cinq ou six depuis cinquante ans. Il est évident que de plus en plus d’individus seront tentés de rejoindre le territoire européen, qu’il s’agisse de fuir les conflits en cours et potentiellement à venir dans la région ou simplement d’obtenir de meilleures perspectives de vie. Sans compter les réfugiés climatiques qui seront de plus en plus nombreux à l’avenir. Croire que la Belgique et l’Union européenne pourront absorber le flux de migrants à venir n’est pas réaliste.
Péguy affirmait : “Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est le plus difficile, voir ce que l’on voit”. L’enquête du Monde a révélé ce que beaucoup – journalistes, médias, fonctionnaires européens, politiques, juges – ont préféré ignorer. Les risques sécuritaires liés à la libre circulation nous rattrapent et il importe de cesser cet aveuglement collectif qui ne voudrait voir en la libre circulation des individus que la richesse culturelle qu’elle induit. Les risques sont présents, les événements récents nous le prouvent. Il est grand temps d’ouvrir les yeux plutôt que nos frontières.
[1] NDLR : Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, qui incluait un Observatoire des migrations, a été scindé en deux organismes : le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, dit Unia, et le Centre fédéral Migration, dit Myria.