FEMMES ÂGÉES ET PRÉCARITÉ… TOUJOURS D’ACTUALITÉ ?

par | BLE, DEC 2015, Féminisme

Les chercheur(e)s féministes dans leur combat pour se faire entendre et acquérir une légitimité scientifique notamment par le développement de la théorie du genre se sont surtout concentré(e)s sur le champ du travail et de l’articulation entre la vie privée et la vie professionnelle. La situation des femmes âgées a donc été largement éludée et ainsi, d’après Claudine Attias Donfut, on observe encore actuellement une forme “d’inculture du vieillissement féminin”.

A l’aube de ce vingt-et-unième siècle, la question s’impose pourtant vu la croissance du nombre des aînés. Etudier le vieillissement différentiel devient donc important et constitue un enjeu majeur, celui du contrat social entre les sexes et entre les générations.

Les disparités entre hommes et femmes sont très importantes au cours de la vieillesse : inégalités de revenus, inégalités en matière de santé, d’environnement social, de conditions de vie. La longévité des femmes est devenue une donnée assez générale des sociétés occidentales, alors que dans le passé, il y avait une surmortalité féminine due notamment au nombre de grossesses et aux problèmes rencontrés lors des accouchements répétés. Cela dit, on met toujours en exergue la différence d’espérance de vie entre hommes et femmes, mais les plus grandes différences sont fonction des positions socioéconomiques des individus. Un cadre supérieur a plusieurs années d’espérance de vie en plus par rapport à un manœuvre !

En fait, les différences entre hommes et femmes se creusent au fil de la vie et prennent actuellement une autre dimension, vu l’augmentation de la durée de la vie. Si les femmes vivent plus longtemps, elles vieillissent dans de plus mauvaises conditions.

Au niveau économique, le montant de la pension des femmes est inférieur à celui des hommes d’environ 30 %. En mars 2010, d’après le Bureau Fédéral du Plan, la pension moyenne globale du régime salarié était de 1300 euros pour les hommes et 1000 euros pour les femmes. Les femmes ont plus souvent des carrières incomplètes, ont eu davantage de temps partiels ou ont effectué des travaux rémunérés au noir. De plus, du fait d’être femmes ayant des enfants ou susceptibles d’en avoir, elles ont été confrontées à des discriminations à l’embauche, à des licenciements arbitraires ou à des discriminations salariales. Enfin, dans le couple, le salaire de la femme a souvent été considéré comme un salaire d’appoint. Ainsi, au moment de la retraite, elles paient cher des carrières trop courtes ou des sorties temporaires du marché de l’emploi, vu que le montant de la retraite est déterminé par les revenus dérivant des activités professionnelles exercées durant la vie active.

Le veuvage, plus fréquent chez les femmes, est dû à une surmortalité masculine conjuguée à une différence d’âge entre conjoints, les hommes étant souvent plus âgés dans le couple. Cela accentue le problème économique en le cumulant au problème de solitude des femmes. Il faut aussi ajouter l’augmentation des divorces chez les aînés. D’après l’enquête SHARE (2011), la proportion de femmes vivant seules croît rapidement, elle atteint deux sur cinq pour la tranche d’âge des 65-79 ans.

L’insertion sociale des femmes est également inférieure à celle des hommes. Les femmes s’investissent beaucoup dans la sphère familiale et domestique. Ainsi, des résultats de l’enquête SHARE montrent que 27 % des hommes de plus de 50 ans ont pris part, au cours des douze derniers mois, à du volontariat pour 22 % des femmes.

Ces différents éléments ont comme conséquence que le taux de pauvreté des femmes âgées de plus de 65 ans est supérieur à celui des hommes et également à la moyenne de la population. Ainsi, les femmes qui, durant leur vie, ont cumulé une activité professionnelle, mais aussi des aides aux plus vulnérables de la famille (parents, enfants) se retrouvent donc pour un nombre important d’entre elles, à l’aube de la vieillesse avec des revenus étriqués qui leur permettent de survivre… au mieux.

Les désavantages féminins à la vieillesse ne se limitent pas à leur plus grande vulnérabilité économique mais touchent aussi un registre plus symbolique, celui de leur identité personnelle associée à l’image corporelle. On met souvent en évidence la dichotomie entre jeunesse et vieillesse, santé et handicap à travers notamment les médias et la publicité (produits de beauté “anti-âge”).

Sous le couvert d’une diminution des inégalités entre hommes et femmes, on a dans un premier temps prolongé la durée de l’activité professionnelle des femmes jusqu’à 65 ans (depuis décembre 2008) alors qu’auparavant l’arrêt de l’activité était à 60 ans. Le rehaussement de la pension légale à 67 ans avec un seuil minimum calculé sur la base d’une carrière de 45 ans à temps plein, va dans le sens de creuser d’autant plus les inégalités sexuées. Vu tous les éléments décrits ci-dessus, ce type de mesure ne risque pas de gommer les inégalités sexuées en matière de revenus, en tout cas !

Une autre réforme qui va dans le sens du renforcement des inégalités entre hommes et femmes concerne la pension de survie qui limite ce droit pour les femmes se retrouvant veuves à moins de 50 ans. En proposant cette loi, le précédent Ministre des Pensions, Alexander De Croo assimilait la pension de survie à un “piège à l’emploi”. S’il est certes fondamental pour les femmes de se construire des droits individuels, il semble évident que cette réforme n’est pas conçue pour favoriser le bien-être des femmes, ni pour promouvoir l’individualisation des droits (car qu’en est-il des autres droits comme celui aux allocations de chômage de cohabitante ou celui au revenu d’intégration sociale ?), mais plutôt pour réaliser des économies.

Pour terminer, il convient d’aborder un domaine où les femmes (âgées aussi) sont davantage touchées, c’est celui de la maltraitance. D’après Respect Seniors, agence wallonne de lutte contre la maltraitance envers les personnes âgées, 75 % des appels reçus concernent des femmes âgées. Par ailleurs, une étude menée en 2010 par le Panel Démographie Familiale de l’Université de Liège auprès de 766 personnes âgées de plus de 70 ans en Wallonie, et portant sur le bien-être des personnes âgées de plus de 70 ans, a mis en évidence que, si l’on rassemble les différents types de maltraitance, 31,45 % des femmes (de plus de 70 ans) et 25,37 % des hommes ont subi l’une ou l’autre forme de maltraitance (physique, financière, psychologique, sexuelle, civique, médicale ou simplement de la négligence).

En conclusion, l’égalité entre hommes et femmes semble encore bien lointaine et s’il faut se méfier des “pièges à l’emploi”, il faut aussi rester attentif aux mesures qui, sous couvert de la favoriser, ont l’objectif principal d’économiser les finances publiques en appauvrissant encore les femmes. Les racines de cette inégalité de conditions de vie des femmes âgées se trouvent dans le passé, dans leur histoire de vie. C’est donc aussi dans les conditions de vie (tâches domestiques, d’éducation, d’aides) et de travail (accès aux professions et aux postes de direction, revenus, possibilités d’articuler réellement vie privée et vie professionnelle) des femmes actives d’aujourd’hui qu’il faut obtenir l’égalité entre les sexes.


Références bibliographiques

Claudine Attias Donfut, “Sexe et vieillissement” in Thierry Blöss (éd.), La Dialectique des rapports hommes-femmes, P.U.F. (“sociologie d’aujourd’hui”), 2001

Synergies en santé, 2. Cahier “Bien vieillir, préserver l’autonomie”, Fédération Wallonie-Bruxelles, septembre 2014, réalisé par Le Panel Démographie Familiale de l’Université de Liège.

Stéphanie Linchet, Laurent Nisen, promoteur Marie-Thérèse Casman et Didier Giet, “Etude sur le bien-être des personnes de plus de 70 ans en Wallonie”, rapport de recherche commandité par Respect Seniors, octobre 2010

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