LE TRANSHUMANISME: UNE UTOPIE HUMANISTE ?

par | BLE, JUIN 2017, Technologies

Le concept médical thérapeutique s’est aujourd’hui largement élargi pour aboutir à un concept de bien-être, proche de la définition de la santé de l’OMS, à savoir : “état de complet bien-être mental, physique et social”.

Le concept de santé a aussi évolué vers celui de l’homme amélioré, au-delà donc de la thérapie : l’homme amélioré correspond à une augmentation artificielle des performances humaines. Actuellement, les découvertes s’accélèrent, ainsi que leurs applications industrielles. Les nouvelles technologies se renforcent mutuellement, on parle des NBIC : nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives. Cette convergence annonce des métamorphoses radicales. La liste de ces métamorphoses est longue, de l’allongement de la vie humaine à des implantations de mémoire dans le cerveau, de la régulation informatique de nos organes à la fabrication de cellules artificielles, de l’augmentation des capacités physiques à l’utilisation de l’intelligence artificielle… Réalité ? Fantasme ? Idéalisation ou diabolisation des technosciences ?

DÉFINITIONS

Le terme transhumanisme avait été proposé par le biologiste Julian Huxley, comme l’idée que les limites de l’humanité pouvaient être dépassées. Le transhumanisme est cependant utilisé selon les auteurs avec des nuances différentes, et se confond souvent avec le terme post-humanisme.  Il  nous  faut  donc   préciser dans quel esprit nous utiliserons ces termes dans cet article.

L’humanisme accepte que les technosciences aident la nature humaine, mais sans que l’humain ne soit dominé par ces technosciences.

Le transhumanisme pour sa part accepte que le corps humain soit prolongé par les technosciences, qu’il puisse être amélioré. Le concept de l’être humain amélioré est la possibilité de se transformer et de s’enrichir des apports des différentes technologies récentes. Le transhumanisme présente deux aspects, l’un réparateur, une version thérapeutique donc, l’autre mélioratif, qui voudrait prolonger la vie en bonne santé, et voudrait doper les performances humaines.

Et, finalement, le posthumanisme voudrait libérer le corps humain de ses contraintes biologiques, le rendre quasi indestructible. Comme un ordinateur, l’humain deviendrait (re)programmable. Le posthumanisme envisage un monde futuriste, il s’agit d’une croyance ou de fantasmes en une humanité véritablement différente. C’est une utopie de la sortie de soi de l’humain, de se débarrasser du corps considéré comme trop vulnérable.

UN FUTUR DÉJÀ PRÉSENT

En fait, par quelques exemples, je voudrais montrer que nous sommes déjà dans le transhumanisme.

L’analyse du génome humain  permet déjà une médecine prédictive plus précise. Cela a aussi permis le déchiffrage complet du génome humain et certaines applications de génie génétique : le diagnostic génétique est devenu de plus en plus exact. La lutte contre le vieillissement ressortira aussi de plus en plus de l’analyse génétique individuelle : par exemple, des traitements ciblés de tumeurs cancéreuses peuvent être proposés après analyse de l’ADN de ces cellules cancéreuses.

La thérapie génique permettrait par des recombinaisons génétiques, comme cela peut déjà se faire sur les animaux et les plantes, de lutter contre certaines maladies génétiques comme la dystrophie musculaire, les insuffisances immunologiques, mais aussi de stimuler les forces musculaires chez des personnes âgées, ou encore d’améliorer des performances de sportifs.

La thérapie cellulaire : consiste à créer des tissus à partir de cellules souches, il s’agit donc d’une médecine  régénérative,  par  le remplacement de tissus endommagés. Elle pourrait être utilisée pratiquement pour tous les types tissulaires – peau, cœur, foie, cerveau, muscle, sang, etc. – offrant donc de multiples promesses thérapeutiques.

Les composants électroniques, telles les prothèses myoélectriques, redonnent une certaine autonomie à des tétraplégiques. Des neuro-prothèses  sont  implantées chez des patients à lésion de la moelle épinière, des implants bioniques (œil, main, jambe) captent les impulsions nerveuses, des implants cochléaires stimulent les terminaisons nerveuses de l’audition. Citons encore la robotique et les exosquelettes.

Les organes artificiels se multiplient, tels récemment le cœur artificiel.

Les nanotechnologies, nanomatériaux (à l’échelle de 0,2 nm à 100nm) et nanomachines (des moteurs moléculaires pour lesquels le prix Nobel de chimie a été attribué en 2016) ont de nombreux usages, comme des nanotubes contenant des médicaments et identifiant par des protéines placées à leur surface les cellules notamment cancéreuses où le médicament doit être délivré.

Pour les neurosciences, je citerai uniquement le projet Human Brain Project, coordonné par l’école polytechnique fédérale de Lausanne, qui voudrait créer un cerveau humain virtuel, grâce à un ordinateur avec une puissance de l’exaflop (un milliard de milliards d’opérations par seconde).

L’utilisation de l’Internet peut être considérée actuellement comme une extension de nos fonctions cognitives, de l’accumulation d’informations, de possibilités de calcul. Face à des flots de données, nous sommes dépassés. De plus, notre capacité de raisonnement rationnel est vite mise en défaut. Au contraire, une intelligence artificielle sera meilleure en logique et en rationalité que nous, elle n’est absolument pas surchargée ni submergée par les flots de données. Elle va donc être capable de les gérer bien mieux que nous.

Les études du vieillissement connaissent de nombreuses avancées scientifiques notamment les recherches sur les télomères et les télomérases, l’immunothérapie. Des gènes de longévité ont été mis en évidence. La biologie du vieillissement est donc en plein développement.

RISQUES ET AVANTAGES

Risques et avantages doivent être envisagés. Risques de nouvelles inégalités pouvant exacerber des différences sociales, de transhumanisme réservé aux plus fortunés, de sélection des plus performants, et, surtout dans le domaine de la santé,

de la complexité des conséquences possibles. Mais aussi les avantages, des capacités d’amélioration, qui  viendront que nous le voulions ou non, doivent être examinés au cas par cas, comme le font déjà les comités de bioéthique devant de nouvelles avancées scientifiques.

Est-ce une raison pour crier à l’apocalypse ? Ces biotechnologies modifient l’être humain, mais dans sa relation avec l’environnement, et non dans l’essence même de l’homme. Ce ne sont pas les progrès de la médecine, l’augmentation de l’espérance de vie, ni même l’utilisation d’une thérapie génique qui modifieront l’espèce humaine. Il n’y a pas une modification du concept humain, il n’y a qu’une transformation du corps humain, comme corps modelé, séquencé, construit. Par  les sciences et leurs applications, nous pouvons espérer une vie plus longue et moins de maladies, mais nous ne modifierons pas cette nature humaine.

L’essence de l’être humain n’a-t-elle pas toujours été de dépasser ses limites ? Et quel mal y a-t-il à vouloir s’affranchir des maladies et même du vieillissement ? Voire de la mort ? Et quel mal y-a-t-il de traiter l’individu avant qu’il ne tombe malade et donc d’aboutir à une médecine prédictive, préventive, personnalisée ? Naturellement, il ne faudrait pas que ce progrès médical devienne élitiste, égoïste, narcissique, il devrait se concentrer sur le collectif.

L’humain amélioré  nous  questionne  donc sur le mode de vie que nous souhaitons et sur notre modèle de société.    Il nous faut, me semble-t-il, nous situer entre les transhumanistes acharnés et les bioconservateurs radicaux.  S’opposer à l’amélioration de  l’être  humain  et de ses performances est intenable et ne peut plus se justifier dans une société où les pratiques d’augmentation des performances sont déjà largement présentes (le dopage sportif mais aussi sur les campus et dans certains milieux professionnels). Cet idéal de perfectibilité humaine est l’héritage de l’humanisme des Lumières, il doit donc rester lié à la liberté et l’autonomie des citoyens, mais aussi à une distribution équitable dans une vie sociale et politique également améliorée. Une pensée éthique critique reste indispensable sachant que  la supériorité de l’intelligence artificielle sur l’intelligence humaine est  prévisible. Si le transhumanisme nous bouscule, il ne doit pas éliminer la recherche du bien vivre collectif. Bien construit et bien pensé, il pourrait soutenir le caractère humaniste de l’humanité ou de la posthumanité.

Ne faisons pas semblant d’ignorer le transhumanisme, il ne s’arrêtera pas, il est une réalité qui nous bousculera de plus en plus, et nous obligera de nous mettre en question.

POUR CONCLURE

1° La “dignité humaine” entraîne des interprétations contradictoires, paternalistes lorsque l’on considère la vie comme sacrée et qu’elle ne nous appartiendrait pas, non paternaliste lorsque l’on considère que c’est à la personne de décider de la valeur à donner à sa propre vie. L’être humain a rompu avec la représentation religieuse où le bonheur ne s’atteignait  qu’au-delà  de la vie corporelle, il ne conçoit donc sa vie que dans le seul destin matériel corporel et dans un bonheur à réaliser ici-bas. La mort a toujours obsédé l’être humain, les progrès des sciences et de la médecine n’y changent rien, mais le corps se conçoit aujourd’hui rationnellement.

L’intention du transhumanisme est d’utiliser les technologies pour soigner et réparer les êtres humains suite à des maladies ou des accidents. Qui peut s’y opposer ? N’est-ce pas ce que fait la médecine depuis un siècle, avec des progrès considérables ces dernières décennies et une augmentation considérable de l’espérance de vie ?

2° La définition de l’humain change-t-elle avec les nouvelles technosciences ? On modifierait certes le corps humain mais ne reste-t-on pas humain avec l’utilisation de nouvelles techniques de procréation, de diagnostic pré-implantatoire, d’utilisation de cellules souches, et demain de thérapie génique, d’intelligence artificielle, de nanorobots internes ?

Le recul de la mort est à la fois réalité et fantasme. Mais l’être humain continuera  à s’adapter, à se transformer et il restera humain : même greffé, augmenté de prothèses, amélioré génétiquement, dopé biochimiquement, stimulé par les sciences cognitives, aidé par des robots, rendu bionique… il gardera son identité humaine.

Réfléchir à ses conditions de vie et à sa mort conduit nécessairement à des questionnements philosophiques sur la vie et la mort, y réfléchir doit nous engager à examiner nos actes et nos engagements, à réfléchir à notre testament philosophique. Réfléchir aux possibilités transhumanistes

nous oblige à approfondir ces réflexions et à y ajouter un questionnement sur le sens de la vie. Réfléchir également à la manière d’augmenter la qualité de vie davantage que sa longueur à tout prix.

On peut se demander si les sciences et la médecine n’imposent pas un modèle de bien-être, dont elles nous rendent dépendants ? Mais qui voudrait nier l’augmentation d’espérance de vie ? Mais qui voudrait refuser une vieillesse prolongée avec une qualité de vie améliorée ? Mais qui refuserait la possibilité de dompter ses souffrances et ses maladies ? Mais qui ne voudrait pas “réparer” un corps handicapé ?

3° Comment réagir vis-à-vis des mutations que nous propose le transhumanisme ? L’humanisme devrait nous obliger à réfléchir aux directions que peuvent prendre l’humanité, à tracer de nouveaux chemins possibles vers le progrès de l’humanité : ces chemins ne sont pas linéaires, nous le savons bien. L’humanisme ne peut que défendre un développement humain responsable et équitable. Les technosciences ne sont pas le paradis, pas l’enfer, mais il nous faut les appréhender. Les humanistes discutent de progrès sociaux, nous travaillons au progrès de l’humanité, il faut donc que nous ne nous laissions pas enfermer dans des principes sociaux du XIXe et XXe siècle, que nous continuions à nous remettre en question. Il faut que nous réfléchissions à une société en pleine mutation, il faut pour parler de progrès de l’humanité, envisager cette nou- velle société.

Osons l’humanisme en prenant nos distances par rapport aux idées dogmatiques, religieuses ou financières et aux idéologies présentées comme incontestables. Osons refuser un transhumanisme uniquement lié aux milieux politico-financiers. Osons le savoir comme modèle éthique de libération de la pensée. Osons pour cela une diffusion des progrès scientifiques et technologiques, pour relativiser les déséquilibres existants entre les pays développés et ceux en voie de développement. Osons nous déstabiliser en nous éloignant de nos choix traditionnels et de nos certitudes. Revendiquons un transhumanisme démocratique, qui accepte les technologies mais qui respecte les principes démocratiques ainsi que ceux de liberté, d’égalité, de fraternité et de solidarité, qui n’accepte pas une humanité à deux vitesses mais promeut une justice et une harmonie sociale.

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