LES CPAS : UN ENJEU OUBLIÉ ET POURTANT CRUCIAL DES ÉLECTIONS COMMUNALES

par | BLE, JUIN 2018, Politique, Social

On parle peu des CPAS, peut-être moins encore en période d’élections communales. C’est pourtant un enjeu important, a fortiori dans un contexte où le nombre de personnes qui doit y faire appel est en croissance. Une occasion donc de dresser un bilan des dernières années et de formuler des propositions d’amélioration.

La loi organique de 1976 créant les CPAS fixait à cette institution une mission ambitieuse. D’après l’article 1er de cette loi, toujours en vigueur  : “Toute  personne  a droit à l’aide sociale. Celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. Il est créé des centres publics d’aide sociale qui, dans les conditions déterminées par la présente loi, ont pour mission d’assurer cette aide”. Ce droit à l’aide sociale a été intégré dans notre Constitution, mais beaucoup reste à faire pour qu’il soit effectif. A commencer par revenir sur les restrictions qui y ont été apportées depuis 2002.

Avant les élections communales de 2006, le Collectif Solidarité Contre l’Exclusion (CSCE) avait organisé un Forum, où mondes associatif et syndical nous avaient fait part des problèmes rencontrés par leur public dans les rapports et contacts avec les CPAS. En était sorti un premier mémorandum, résumant les débats et débouchant sur des revendications, classées par thèmes.[1] Douze ans plus tard, où en sommes-nous ?

UNE CONTRACTUALISATION GÉNÉRALISÉE DE L’AIDE

Force est de constater qu’au niveau global, à peu près aucune des revendications que nous avancions n’a été réalisée. La contractualisation, que nous dénoncions, s’est poursuivie et étendue. En 2006, la contractualisation de l’aide sociale était déjà en vigueur suite à la loi de 2002 transformant les centres publics d’aide sociale en centres publics d’action sociale et le minimex en revenu d’intégration sociale (RIS). Depuis lors, l’intégration sociale est censée être accordée prioritairement par la mise à l’emploi, le RIS n’étant octroyé que de façon subsidiaire et le reste de l’aide sociale l’étant de façon encore plus subsidiaire. L’évaluation de la “disposition à travailler”, l’une des conditions d’octroi du RIS, est devenue elle-même de plus en plus sévère. La “contractualisation” du droit se concrétise notamment par l’obligation pour les personnes aidées de signer un “PIIS” (Projet individualisé d’intégration sociale) qui leur impose un certain nombre d’obligations déterminées par le CPAS. Le non-respect de ce PIIS entraîne soit des sanctions temporaires, soit carrément le retrait du droit. Ce PIIS a été rendu obligatoire en 2002 pour les moins de vingt-cinq ans et les étudiants et a récemment été élargi à tous les nouveaux demandeurs d’aide par Willy Borsus, avant qu’il ne troque sa casquette de Ministre fédéral de l’Intégration sociale pour celle de Ministre-président de Wallonie. Ce “contrat” se révèle être un instrument de contrôle, de pression, de sanctions voire d’exclusion bien davantage que d’intégration. L’injonction à l’emploi à tout prix se matérialise même à présent par des prestations de travail gratuites et dans les faits, forcées, via le si mal nommé “Service Communautaire”.

Le Gouvernement s’est aussi attaqué au secret professionnel des travailleurs sociaux, sous prétexte de chasse au radicalisme et au terrorisme. De nouvelles techniques de contrôle des usagers, par la technologie, entrent également en vigueur, notamment par la création d’un dossier social électronique. Ce transfert de données, d’un CPAS à un autre, risque de couper l’herbe sous le pied d’un vrai travail social, parasitant la rencontre entre le travailleur social et le demandeur d’aide. La situation globale s’est donc à la fois compliquée (nombreuses nouvelles réglementations) et dégradée (multiples entraves aux droits) depuis 2006.

DES CONSTATS ACCABLANTS

Dans le même temps, le nombre de bénéficiaires du droit à l’intégration sociale a fortement augmenté (multiplié par 1,55 entre 2006 et 2016 et dépassant pour la première fois en 2016 la barre des 200.000), alors que le nombre d’aides équivalentes a fortement baissé (de près de la moitié). Le droit à l’intégration sociale (DIS) regroupe les personnes vivant du revenu d’intégration et celles mises à l’emploi en contrat dit Article 60. L’aide équivalente est accordée aux personnes dans les mêmes conditions d’absence ou d’insuffisance de revenus, mais pas encore inscrites au registre de la population. A noter que la diminution de la seconde catégorie explique en partie l’augmentation de la première puisque les personnes inscrites au registre des étrangers sont ensuite, après cinq ans normalement, inscrites au registre de la population. Mais il y a clairement aussi une diminution des entrants qui s’explique par la restriction du droit au séjour et par la limitation du droit à l’aide sociale pour les personnes disposant d’un droit au séjour temporaire. Ces différentes entraves ont été décidées par le Gouvernement précédent et l’actuel.

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Comme le montre le graphique, l’augmentation de la catégorie DIS a été constante depuis 2006 (avec un léger tassement en 2011 et 2012) et a subi un coup d’accélérateur avec les fins de droit aux allocations d’insertion à partir de 2015. La tranche d’âge comprenant le plus de bénéficiaires du RIS est celle des moins de 25 ans, avec un quasi doublement des effectifs entre 2006 et 2017. La tranche des 25-34 ans a encore plus augmenté (x 2,34 depuis 2006) et celle des 35-49 affiche aussi une progression importante (x 1,8). Les femmes représentent toujours la majorité des bénéficiaires du RIS mais cette prépondérance est en baisse (53% en 2017 au lieu de 59% en 2006). Le nombre d’hommes au RIS a doublé depuis 2006 alors que le nombre de femmes au RIS a été multiplié par 1,6. Un quart des RIS sont octroyés à des Bruxellois, pour 29% à des Flamands et à 46% à des Wallons. Si l’on compare à la population, Bruxelles est de loin en tête avec 4,34% de la population au RIS pour 2,58% en Wallonie et 0,9% en Flandre. Tous ces chiffres nous indiquent que la pauvreté n’a pas diminué en Belgique, bien au contraire. Les mesures d’exclusion du chômage et de restriction d’accès à celui-ci pour les jeunes expliquent en partie cette croissance, mais cela ne doit pas masquer que toutes les catégories d’âge sont concernées et que cela touche les femmes comme les hommes.

DES ALLOCATIONS TOUJOURS SOUS LE SEUIL DE PAUVRETÉ

Malgré la multiplication des discours officiels sur la lutte contre la pauvreté, les allocations sont restées nettement insuffisantes. Le revenu d’intégration a été revalorisé seize fois depuis 2006 : à onze reprises par l’indexation, quatre par la liaison au bien-être et une via le tax shift (mais avec un saut d’index). L’objectif proclamé de la liaison au bien-être était de résorber progressivement l’écart entre le montant du RIS et le seuil de pauvreté (SDP, correspondant à 60% du revenu médian). Le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est modeste : le ratio entre le RIS isolé et le SDP isolé était en 2006 de 75%, il est actuellement de 78,36%. A ce rythme, il faudrait environ septante ans pour atteindre le seuil de pauvreté ! Cela s’explique principalement par une trop rare et trop faible liaison au bien-être, le saut d’index n’ayant rien arrangé.

RÉAGIR

Face à ce bilan, le CSCE a décidé d’actualiser son mémorandum de 2006. L’objectif est de faire l’inventaire de ce qui va bien et mal actuellement et de ce qui pourrait et devrait aller mieux, en formulant en conséquence des revendications précises. Des revendications qui dépassent évidemment l’échelon municipal. Le fédéral est concerné puisque les lois principales qui régissent les CPAS viennent de ce niveau. Si la loi sur le minimex (1974) a été remplacée en 2002 par celle sur le droit à l’intégration sociale, la loi organique des CPAS (1976) est toujours en vigueur. Son article premier qui proclame que “toute personne a droit à l’aide sociale”, et que “celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine” garde tout son sens. Cependant, des parties importantes de cette loi ont été régionalisées, dont, récemment, la mise à l’emploi selon l’article 60§7 de la loi originelle. Mais les conseillers CPAS doivent aussi être responsabilisés sur l’application qu’ils font de ces diverses lois. La marge de manœuvre et d’interprétation de chaque CPAS est en effet loin d’être négligeable. En outre, toute une part de l’aide sociale n’est pas régie par la loi, ni même parfois par des circulaires, et dépend donc entièrement  de la politique sociale menée par chaque commune. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur la façon positive ou négative dont les CPAS utilisent leur autonomie, parfois au mépris des remarques de l’inspection de leur tutelle fédérale.[2]

LE FÉDÉRAL

A ce niveau, le CSCE demande d’individualiser les allocations (en premier lieu en supprimant le statut et donc le taux “cohabitant”), de les porter à un niveau supérieur au seuil de pauvreté et de lier leur évolution au bien-être. Ceci vaut pour tous les secteurs de la sécurité sociale et pour le RIS. Ce qu’on appelait avant le minimex, le minimum de moyens d’existence, rebaptisé RIS, est d’un niveau insuffisant pour vivre dignement. C’est donc la première chose à corriger et de façon volontariste et nette, puisque nous l’avons vu plus haut, les mécanismes actuels de revalorisation sont totalement inefficaces. Le fédéral doit aussi mieux rembourser le RIS aux CPAS (à au moins 90% au lieu de 60 à 80% aujourd’hui) afin qu’une véritable solidarité fédérale évite qu’une part trop grande du poids de l’aide repose sur les communes les plus pauvres. C’est aussi au fédéral que nous demandons la suppression de la “contractualisation”, du PIIS et du “Service Communautaire”, l’abrogation du Dossier Social électronique et celle des législations dégradant le secret professionnel. Enfin, nous y réclamons la fin des mesures contre les demandeurs d’asile, les personnes en séjour temporaire (suppression du titre de séjour en cas d’aide sociale) et les sans- papiers (restriction de l’aide médicale urgente).

LES RÉGIONS

Alors que la protection sociale est d’autant plus efficace que l’assiette de cotisations est large, on ne peut que regretter la tendance à la régionaliser de plus en plus. Mais, au moins, cela permet de demander aux Régions d’assumer leurs responsabilités. Cela vaut pour une part du financement des CPAS, pour le statut et les barèmes des travailleurs (les assistants sociaux sont toujours moins payés à Bruxelles qu’ailleurs, alors que la capitale concentre une part importante de la pauvreté et donc du travail social) et surtout, désormais, pour la politique de mise à l’emploi dite en “article 60”. Le CSCE demande que soit appliqué le principe “A travail égal, salaire égal”. Les travailleurs sous article 60 doivent avoir la garantie de bénéficier de la même rémunération que celle d’un travailleur qui aurait occupé la même fonction sans être engagé dans le cadre de ce dispositif.

LES COMMUNES

Les CPAS eux-mêmes, et donc l’échelon communal, ont une responsabilité primordiale dans la manière dont les droits à l’aide sociale sont assurés et sur l’organisation de celle-ci. Cela vaut tant pour les conditions de travail de leur personnel que pour l’accueil des demandeurs et usagers, la prise en compte de l’urgence, l’information donnée, la transparence des politiques menées et la participation des personnes concernées par les situations de pauvreté/précarité.

Concernant l’application des règles des autres niveaux de pouvoir, la situation peut changer du tout au tout d’une commune à l’autre. Il y a d’abord et surtout la manière de mener l’enquête sociale, en l’axant comme le veut la loi sur l’aide à apporter ou en l’utilisant d’abord comme un moyen de contrôle et de restriction de l’accès aux droits, comme c’est trop souvent le cas. Dans la foulée, les CPAS ont la possibilité de limiter le recours à l’obligation alimentaire[3], ce qui, en attendant une individualisation des droits, permettrait déjà, dans le respect de la loi actuelle, de reconnaître davantage le droit de chacun à un revenu propre. Même latitude est donnée aux CPAS sur la possibilité de permettre aux bénéficiaires du RIS de poursuivre des études en prenant en compte leurs difficultés.

Et puis, en matière d’aide sociale, la liste de ce que le CPAS peut ou pourrait faire est a priori infinie. Et, là aussi, la politique sociale voulue par la commune jouera beaucoup dans l’effectivité des droits. On pense ici aux politiques de logement (où la Région joue aussi), à l’octroi de l’adresse de référence pour les personnes radiées de leur adresse et donc sans existence administrative, de l’accès à la santé (médecins, hôpitaux et médicaments), à l’énergie, au sport et à la culture.

UN OUTILS DE DÉBAT POLITIQUE

Etant donné les différents niveaux de pouvoir impliqués, ce mémorandum servira non seulement à interpeller lors de débats publics les candidats aux élections locales, mais il sera aussi adressé aux différents partis politiques. Nous leur demanderons une prise de position politique engageant leur parti sur le contenu du document et leurs propres projets pour remédier aux problèmes identifiés. Nous prendrons acte des engagements de chacun et des revendications qu’ils seraient prêts à soutenir politiquement, que ce soit concernant les applications locales des lois ou des demandes de changements législatifs aux niveaux fédéral et régional.

Les questions liées à l’aide sociale, et l’évolution inquiétante des CPAS, restent trop souvent absentes du débat public. Le CSCE souhaite, par ce mémorandum et les débats qui suivront, contribuer à un changement de la situation. Il espère, dans ce combat, réunir un large soutien associatif et syndical.[4]


[1]Des CPAS qui garantissent le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine”, mémorandum disponible en pdf sur www.ensemble.be.

[2] Lire à ce sujet les articles et l’interview de Bernadette Schaeck, en particulier dans les numéros 90, 94 et 96 d’Ensemble !

[3] NDLR : Le CPAS peut obliger le bénéficiaire à faire valoir ses droits à une pension alimentaire et déduire le montant (fixé par le CPAS) du RIS.

[4] NDLR : Bruxelles Laïque sera aux côtés du CSCE dans ce combat comme dans la plateforme pour le boycott du service communautaire.

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