LES FILLES ET L’ACTION EN MILIEU OUVERT. Des paradigmes de contrôle social genrés et complémentaires

par | BLE, Féminisme, MARS 2017, Social

Dans le contexte d’une érosion de l’État-providence et d’une érection accélérée des dispositifs de contrôle adressés aux plus fragiles, le décret de la Communauté Française de 1991 sur l’Aide à la Jeunesse apparait comme un projet de résistance à l’esprit de tolérance zéro : maintien dans le milieu de vie, déjudiciarisation, émancipation, respect des droits fondamentaux, en somme un choix de prévention. Fortes de nos vécus, du Droit et de l’expérience réflexive de travailleurs et travailleuses sociaux, nous avons tenté de mesurer l’impact de cette “résistance” à un modèle social sécuritaire sur la mixité sexuée de l’Aide à la Jeunesse à travers le cas des AMO.

La prévention spécialisée de l’après-guerre néglige les femmes et les filles, sauf les mères, qui sont des actrices de première ligne. Les années ‘90 connaissent un renouveau d’intérêt pour les filles, comme délinquantes, avec la médiatisation en France de “gangs de filles”, ou comme victimes, suite à la médiatisation du sort de la malheureuse Sohane. Victime ou crapuleuse[1], l’adolescente est représentée tantôt comme étant en “crise” (troubles alimentaires, “soumissions”, grossesses précoces), tantôt comme libérée, voire “trop” libérée (Girl Power, délinquance). Ces deux représentations présentent l’écueil d’individualiser les situations des filles, soit à travers la notion de choix comme recette miracle, soit à travers une psychologisation des crises, et ainsi d’empêcher une lecture politique de leurs vécus communs, de cis-sexisme[2], d’hétéro-normativité, de racisme. Nous préférons donc aux discours du choix une analyse systémique, mais non réductrice. Nous basons notre analyse systémique sur un “continuum de violences sexistes[3] qui constitue un “rappel à l’ordre sexué”[4] : le caractère répété des menaces et agressions diverses  construit une féminité vulnérable et une masculinité violente. Les genres ainsi construits mènent à une ségrégation sexuelle des espaces : les filles sont moins présentes dans les espaces publics et semi-publics (loisirs, maisons de jeunes, cafés), surtout quand ceux-ci sont occupés par des garçons hétéro. D’autres groupes souffrent également d’une (tentative de) relégation  à l’intérieur : les invalides, les gays et lesbiennes. Cette donne structurelle explique une partie de la moindre fréquentation par certains jeunes des services AMO.

Par ailleurs, deux modèles concurrentiels guident la prévention : “l’occupationnel” et “l’émancipatoire”. Ce premier est ancré dans une notion subjective, raciste et âgiste de la sécurité urbaine, le deuxième vise l’autonomie et une amélioration des conditions de vie des jeunes. Dans notre étude des AMO de Bruxelles, nous avons détecté des éléments de ces deux paradigmes, parfois au sein d’une  même AMO. Les filles et garçons racisés sont parfois ciblés, et certaines AMO seraient complices d’une cooptation  des  garçons à des fins sexistes et homophobes : en laissant s’installer des lieux d’hyper-virilité en leur sein, comme la partie de foot, le contrôle social des filles et l’hétéro-normativité, qui s’opèrent entre autres par des micro-agressions des pairs, sont renforcés. Le contrôle informel sexiste des filles est donc imbriqué au contrôle des garçons issus de l’immigration postcoloniale, qui deviennent les bourreaux de leurs sœurs, des filles blanches, et des homosexuels (catégories non mutuelle- ment exclusives) ce qui justifie sa répression. En même temps, le spectre du garçon macho maintient les filles à domicile et justifie leur relégation et leur “protection”. Fort heureusement, il existe aussi un travail progressiste, détaillé dans notre brochure “Filles et travail social”[5] qui refuse  de contribuer à la reproduction des dominations et qui vise même à les déconstruire. Un tel travail se soucie des filles et des garçons, dont les dominations sont liées de manière complexe, avec qui il faut travailler vers une mixité réelle et émancipatoire.


[1] Stéphanie Rubi, Les ‘crapuleuses’, ces adolescentes déviantes, Presses Universitaires de France, 2005.

[2] NDLR : Cissexuel est le contraire de transsexuel.

[3] Liz Kelly, “The Continuum of Sexual Violence” in Women, Violence and Social Control, J. Hanmer et M. Maynard (ed.), Springer, 1987..

[4] Marylène Lieber, Genre, violences et espaces publics, Presses Science Po, 2008.

[5] A paraître, avec le soutien de la Fédération Wallonie Bruxelles

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