LES LIMITES MORALES DU CONSENTEMENT SEXUEL

par | BLE, Féminisme, SEPT 2018

Le consentement s’exprime !  “Non, c’est non”, et un “oui” doit être enthousiaste. L’usage du consentement révèle cependant des rôles et des représentations bien précis  que  tout  un chacun se doit de respecter. À cela s’ajoute qu’il nous conduit quelque fois à négliger d’écouter : rassuré qu’il y ait eu consentement, on présume vite que la relation sexuelle était désirée et plaisante.

En philosophie éthique, en méta-éthique et en théorie féministe, la littérature sur le consentement sexuela cherché à définir la nature du consentement et à comprendre s’il est une condition suffisante permettant de garantir la permissibilité morale d’une relation sexuelle.

Or, pourquoi tenons-nous à nous assurer que quelqu’un consente à une relation sexuelle ?

Je ne pourrai pas ici faire abstraction de la nature du concept de consentement, mais ce sont surtout les contextes dans lesquels on s’y réfère et l’usage qu’on en fait qui m’intéressent. Je défendrai deux choses. D’abord, l’usage du consentement est révélateur de catégories, de rôles et de représentations d’un imaginaire collectif de la sexualité qui ne laisse pas ou peu de place à l’expression d’autres perspectives sur la sexualité. Ensuite, le consentement est un concept inadéquat lorsque vient le temps de rendre compte de ces perspectives marginales. Certaines situations vécues et exprimées par des personnes en marge et qui, intuitivement, nous semblent moralement problématiques sont négligées parce que le critère du consentement est observé. En somme, le consentement, comme concept de référence, doit être employé avec prudence. D’un point de vue moral, même s’il est nécessaire, il n’est peut-être pas suffisant de s’y référer si l’on cherche à s’assurer que la relation sexuelle en question est acceptable.

Dans la foulée des mouvements #metoo et #balancetonporc, on a pu voir différents types de témoignages surgir. Dans un premier temps, des femmesont dénoncé des agressions sexuelles. Puis, d’autres personnes ont décrit des actes sexuels déplaisants ou inconfortables, sans plaisir ou sans désir, mais tout de même consentis.3 C’est ce dernier type de cas qui est ici à l’origine de ma réflexion. Ces femmes se sont questionnées quant aux raisons qui les ont poussées à participer à ces activités en regard des malaises et parfois même des traumatismes qui les ont habitées au moment des actes et par la suite. Les femmes consentent fréquemment à des relations sexuelles par politesse4, par sentiment de devoir, par obligation ou par peur. On sait par ailleurs que ces motifs, tirant leur source de stratégies d’évitement des conflits, génèrent des sentiments négatifs.

LE CONSENTEMENT RÉVÈLE LES RÔLES QUI NOUS SONT ACCOLÉS

Nul ne peut nier qu’il y a des représentations communes de ce qu’est la sexualité. Ce que nous pensons n’être que des fantasmes intimes et originaux, ne sont en fait que des copies de représentations collectives. Ces représentations sont le résultat de siècles de références culturelles, des contes épiques et images publiques de l’Antiquité, en passant par les récits et poèmes du Moyen Âge et des premiers romans à caractère érotique de l’époque classique jusqu’à la pornographie d’aujourd’hui. Ces représentations dépeignent des pratiques et proposent par le fait même des repères à qui s’initie aux plaisirs de la chair. Or ces représentations s’inscrivent toutes dans une trame historique hostile aux femmes et rendent compte du rapport de domination qui a caractérisé (et caractérise encore aujourd’hui) leur quotidien. L’assujetissement de la femme a été instauré historiquement par la force, mais garantie par des actes de langage. Ce sont des expressions, des tournures de phrases et des concepts qui ont contribué à renforcer cet état. Qui initie les rapports sexuels ? Qui doit être prise et conquise ? Ultimement, à notre époque, alors qu’enfin depuis quelques décennies seulement, on s’intéresse à l’intégrité physique et sexuelle de la femme, de qui attend-on un consentement ? Évidemment, en théorie, on imagine que les deux partenaires peuvent être, à tour de rôle, sujet consentant ou agent qui propose, mais, dans notre imaginaire collectif (ou dans l’univers épistémique5), on s’attend à ce que ce soit les hommes qui proposent et les femmes qui consentent. Et maintenant, peu importe ce qu’on entend par “consentement”, il demeure que consentir, ce n’est pas initier un rapport sexuel, ce n’est pas concevoir un projet sexuel dans un couple, c’est acquiescer explicitement ou tacitement à une initiative qui nous est extérieure. C’est céder son droit de refuser, pour un moment, une action précise.

L’usage du concept de consentement est révélateur d’une asymétrie dans les rapports hommes et femmes qui se manifeste par des rôles différenciés et hiérarchisés. Il participe de la minorisation de l’agentivité féminine dans cet acte.

LE CONSENTEMENT, CE CONCEPT IMPARFAIT POUR RENDRE COMPTE DE SITUATIONS VÉCUES

La pluie de dénonciations d’agressions des dernières années a eu plusieurs impacts positifs. Nous avons constaté qu’une expérience qui pouvait être considérée par la personne l’ayant vécue comme unique était en fait tout à fait commune. Rendre compte de ses expériences, témoigner auprès de ses semblables, est essentiel. Être crue est tout aussi important. Ces deux moments ont été offerts aux femmes qui ont dénoncé, du moins par leurs pairs. D’autre part, s’il est impossible ou difficile de rendre compte de ses expériences, c’est que le vocabulaire disponible pour les exprimer n’est pas tout à fait adéquat.6 Dans ces cas, le sujet est non seulement pris avec le goût amer que lui a laissé son expérience, mais il ne peut pas partager son vécu et espérer une quelconque réparation ou guérison. Les termes que nous employons servent évidemment à décrire le réel, mais ils servent également, dans une perspective individuelle et personnelle, à l’interpréter et à se positionner. Lorsque des femmes ont décrit des relations sexuelles consenties, mais sans plaisir (voir douloureuses), ou sans désir, elles n’ont pu rendre compte que de leur malaise, sans réussir à en transmettre davantage. Dans ces cas, le fait que la relation sexuelle soit consentie peut nous distraire quant au caractère moralement douteux de ces relations. Nous ne pouvons pas rester insensibles à ce malaise dont témoignent tant bien que mal ces femmes. Voilà une raison de remettre en question la prédominance de l’usage du concept de consentement lorsqu’on s’intéresse à l’éthique de la sexualité.

EXIGEONS PLUS QUE LE CONSENTEMENT

Il faut réviser complètement nos croyances en matière de sexualité. Chercher à comprendre, par exemple, quels sont les mécanismes qui conduisent les femmes à consentir à des relations sexuelles qu’elles ne désirent pas. Il nous faut comprendre également pourquoi il est si inconfortable pour une femme d’interrompre une relation sexuelle qu’elle ne désire plus. L’expression “consentement enthousiaste”7 trahit cette idée selon laquelle il n’est pas suffisant d’acquiescer. Que faut-il d’autre alors comme condition nécessaire ? L’expression du désir ? La recherche de plaisir mutuel ? Le consentement demeure, en somme, toujours nécessaire, mais il n’est plus suffisant.


1 Il ne sera question ici que du consentement sexuel. Pour des lectures introduisant au débat, voir : Alan Wertheimer, Consent to sexual relations, Cambridge University Press, Cambridge, 276 p., et Guillaume Bard, Nature et fonction du consentement au sein de l’éthique de la sexualité, Mémoire de Maitrise (philosophie), Montréal, Université de Montréal, 201, 102 p.

2 L’expression “femme” renvoie à toutes les personnes qui sont reconnues comme femme ou qui s’identifi ent comme telles.

3 Le récit de Kristen Roupenian, “Cat person”, (newyorker. com, 2017) abondamment partagé, a contribué à lancer la discussion sur le sujet. C’est l’histoire de Margot qui n’ose jamais faire part de ses préférences à son partenaire par peur de déplaire.

4 Rebecca Reid, “Women are having sex out of politeness and that’s got to stop,” Metro.co.uk.

5 Les expressions “imaginaire collectif” et “univers épistémique” ne sont pas équivalentes, mais je les emploie ici en considérant qu’elles renvoient toutes deux à l’ensemble des concepts, images, représentations, termes, rôles qui constituent notre “base de données” collective nous permettant de nous repérer dans le monde et de l’interpréter.

6 Dans le jargon philosophique, on parlera alors d’injustice herméneutique. Miranda Fricker dans Epistemic Injustice (2007, Oxford University Press) théorise deux types d’injustice épistémique : l’injustice testimoniale, le fait de ne pas accorder de crédibilité à quelqu’un en raison de préjugés injustifiés ; et l’injustice herméneutique, soit le moment où une personne n’est pas en mesure d’interpréter un moment alors qu’il serait dans son intérêt de le faire.

7 La maternité de l’expression “consentement enthousiaste” est reconnue à l’autrice Meghan Murphy (“On ‘grey rape’, girls, and sex in a rape culture”, feministcurrent.com, 2013).

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