L’IMMIGRATION ET L’ISLAM DANS LES DISCOURS DES PARTIS D’ETRÊME-DROITE

par | (Im)migrations, BLE, Migration, Politique

Pour contourner la législation antiraciste tout en se présentant comme une alternative légitime aux autres formations politiques, les partis d’extrême droite, à partir des années 1990, adaptent leurs discours. Ceux-ci ne font plus référence aux questions de race, mais de culture et de religion. La haine de l’autre devient protection de soi. Les références aux régimes autoritaires sont écartées. Les discours se colorent de nouveaux termes auparavant absents : « laïcité », « égalité homme/femme », « liberté d’expression » ou « démocratie ». Les partis d’extrême droite entament une phase de « dédiabolisation », de « normalisation ».[1]

Toutefois, malgré ces changements sémantiques et rhétoriques, le culturalisme et le nationalisme présents dans les discours des partis d’extrême droite demeurent des idéologies racistes. Le racisme peut se définir de différentes façons. Il renvoie tout d’abord à un ensemble de préjugés formulés à l’égard d’individus regroupés autour de traits physiques ou psychologiques communs. Le racisme peut aussi être envisagé comme une doctrine biologique fondée sur la supériorité ou l’infériorité des races.[2] Nous pouvons toutefois distinguer un racisme « biologique » d’un racisme « culturel ». Ces deux formes de racisme ne sont pas nécessairement antinomiques, mais conciliables au sein d’une seule et même idéologie ou d’un seul et même discours.

Le racisme biologique se fonde sur la couleur de peau qu’il sacralise et, plus particulièrement en Europe et aux Etats-Unis, sur la blancheur. L’identité passe par la séparation, la pureté et la nécessite d’être protégée des facteurs dégradants d’un autre groupe. La crainte ne réside pas tant dans l’existence d’autres races ou d’autres couleurs de peau, mais dans la possible « dégradation » de la race supérieure par la race inférieure et le métissage. Comme nous l’avons évoqué, en raison d’une multiplication des législations visant à interdire l’incitation à la haine raciale ou encore le négationnisme, les discours d’extrême droite ont adapté leur vocabulaire et évitent désormais les termes pouvant être directement reliés aux notions de race, d’inégalité et de hiérarchie. L’argumentaire raciste évolue et effectue un glissement de l’inégalité biologique vers la différence culturelle.[3] La « biologisation » se transforme en « culturalisation », la culture s’érigeant en seconde nature pour les individus.[4] La classification des races humaines s’exprime selon le critère : assimilable versus inassimilable.[5]

L’hostilité des partis d’extrême droite n’est plus dirigée contre des races inférieures qui menaceraient une race supérieure, mais contre les immigrés et la religion islamique (plus spécifiquement depuis les attentats du 11 septembre 2001) opposés à la culture occidentale.[6] Les discours reposent sur une essentialisation de communautés figées : d’un côté, l’Européen ou le Catholique et de l’autre, l’Arabe ou le Musulman. Les partis d’extrême droite dénoncent des pratiques ou croyances jugées dangereuses et irréconciliables, opposant ainsi un « nous » à un « eux ». De plus, accusé de sexisme, d’homophobie et de persécution à l’égard des minorités religieuses, l’Islam est présenté comme une menace pour les valeurs chrétiennes ou occidentales.[7]

En Allemagne, Albrecht Glaser, vice-président de l’Alternative für Deutschland (AfD) et ancien candidat à l’élection présidentielle de 2017, déclare au sujet de l’accueil des migrants : 

L’insertion professionnelle de 2 millions d’inconnus, en majorité analphabètes, ne pourra jamais réussir. Le résultat sera des décennies de transfert de paiements. Sur le plan culturel, on assiste dans le monde à une régression vers le début du Moyen  ge. Voile et mutilations génitales au lieu de l’émancipation des femmes. Mariage forcé au lieu du choix du partenaire. Epidémie de tuberculose au lieu d’améliorer la santé publique. La charia au lieu de la démocratie. Une grande bataille dans la guerre culturelle a été perdue[8]

Selon ce représentant de l’AfD, il y aurait différentes cultures en guerre les unes contre les autres. L’image de « bataille » évoque la présence d’un vainqueur et d’un vaincu et donc la possibilité pour une culture de mourir. L’AfD avance ainsi que la culture des migrants pourrait faire disparaître la culture allemande. Nous observons une rhétorique similaire dans une autre de ses déclarations où il affirme :

La ségrégation culturelle dans les milieux musulmans qui n’acceptent ni les droits de l’homme ni la démocratie laïque va transformer les structures de ce pays en ceux de leurs pays d’origine. Cet échec politique et laïque est aujourd’hui couronné par une ‘loi d’intégration’ qui accorde même aux demandeurs d’asile déboutés un droit de séjour s’ils obtiennent une place de formation et un travail pendant deux ans. On peut déjà imaginer le type et le nombre d’entreprises fictives qui fournissent de tels services […] Alors que le chômage et la criminalité augmenteront dans les mois à venir, l’amère prise de conscience s’amorcera bientôt.[9]

L’immigration ou le multiculturalisme sont érigés en menaces contre lesquelles il convient de lutter activement. Tout ce qui est « autre », « différent » ou « étranger » est considéré comme un danger pour l’identité de référence qui doit demeurer homogène et pure.[10]

En France, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National (RN), rejette toute forme d’hétérogénéité et de diversité. Il faut selon elle protéger le territoire français, la langue française, la culture française, ses traditions et son art de vivre. Durant la campagne présidentielle de 2017, elle déclare ainsi :

Les sociétés multiculturelles sont, par essence, déculturées et multiconflictuelles. Présenté comme humaniste, ce projet est en fait un retour au Moyen Âge […]. Le multiculturalisme est démasqué. Il ne procède pas, contrairement à ce qu’ils prétendent, d’une vision humaniste de la société, d’une liberté reconnue aux individus mais d’embrigadements collectifs visant à détruire la nation, à enrégimenter les individus. C’est le projet du fondamentalisme islamiste totalitaire et antirépublicain qui est en cours et que le système laisse faire. Le multiculturalisme comme le droit à la différence qui le justifiait apparaissent pour ce qu’ils sont, le faux-nez de la destruction de la nation c’est-à-dire de nos libertés collectives et de notre dilution en tant que peuple.[11]

Le multiculturalisme constitue une menace pour l’unité du peuple et un terreau propice à l’islamisme radical et terroriste. Selon Dominique Martin, député européen RN : « dans un Etat laïque, la seule communauté officielle devrait être la communauté nationale. La religion devrait être une affaire privée. Il ne faut pas l’imposer ostensiblement aux autres citoyens […] Plus de kippas, plus de turbans, plus de foulards, plus de barbes sur le lieu de travail ».[12]

Pour lutter contre la « gangrène du communautarisme »[13], Marine Le Pen défend une « assimilation républicaine qui fait des Français, quelle que soit leur origine, des membres d’une même communauté, la communauté nationale. Mais la République française exige aussi de nous des règles communes, avec nos coutumes, nos modes de vie, dans le respect de nos principes, avec l’acceptation de nos valeurs fondatrices ».[14] Les revendications religieuses ou culturelles n’ont pas leur place dans la sphère publique ou commerciale tout comme les valeurs et les lois françaises ne peuvent être optionnelles, négociables ou contestables au gré des croyances individuelles. Pour le RN, la seule réponse à l’immigration et à la diversité culturelle est l’identité nationale qui accorde au peuple français des avantages (priorité nationale, protection sociale, aides médicales).[15]

Les partis politiques d’extrême droite entendent ainsi mettre en place différentes politiques publiques visant à protéger la nation et les nationaux en limitant l’accès à certains droits ou à certaines ressources en fonction de critères liés à la nationalité, au lieu de naissance ou encore à la langue.[16] Ces projets se retrouvent sous les appellations de « préférence nationale » ou de « priorité nationale ». Selon ces partis également, les immigrés, les demandeurs d’asile ou les réfugiés deviennent des « privilégiés » qui bénéficient d’aides et de programmes spécifiques auxquels n’ont pas droit les nationaux. Ce n’est plus l’étranger qui subit un traitement inhumain, mais le national qui est victime d’une politique inégalitaire.[17]

En Autriche, le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ) considère que l’« immigration » est une menace pour la liberté et la démocratie et que l’idéologie du multiculturalisme conduit à une « transformation ethnique ».[18] Pour le FPÖ, l’Autriche a besoin d’une unité sociale pour stabiliser le pays et l’intégration est une « obligation ». Cependant, les immigrés et les musulmans, en raison de leurs différences ethnique, culturelle et religieuse, sont considérés comme inassimilables et risquent dès lors de déstabiliser l’unité sociale. Pour le FPÖ, il est temps de faire passer les « Autrichiens en premier ».[19] Herbert Kickl, actuel président du FPÖ, déclarait en 2017 : « 560 euros de sécurité minimale pour les demandeurs d’asile, c’est 560 euros de trop […] C’est injuste pour les Autrichiens, qui ont souvent cotisé des années dans le système ».[20] Les non-Autrichiens doivent donc être écartés des aides sociales et économiques. En 2015, Manfred Haimbuchner, membre du FPÖ, déclarait dans le même ordre d’idée : « Après tout, c’est le devoir d’un parti démocratique de défendre d’abord et avant tout son propre peuple ».[21] Il ajoute en 2016 : « d’abord les Autrichiens, notre pays pour nos compatriotes ! Notre argent pour notre peuple ».[22] Pour le FPÖ, les principales cibles sont dès lors l’immigration et l’Islam. Les immigrés seraient des ignorants et des criminels. Selon Herbert Kickl : « si les immigrants ne sont pas intégrés au marché du travail, c’est en raison de leur faible niveau d’éducation ».[23]

L’individu « étranger » assimilé à une forme de corruption ou de dégradation de l’identité et de la culture nationale doit être rejeté. Cet exclusionnisme ethno-culturel ou ethno-religieux induit une hiérarchie ou une supériorité non plus entre les races mais entre les cultures et les religions. Toutefois, l’accent sur les différences naturelles et permanentes entre des groupes humains demeurent.[24] L’évolution de la rhétorique des partis d’extrême droite vers une défense de la différence culturelle ne signifie pas que le racisme a disparu mais plutôt qu’il s’exprime aujourd’hui à travers un autre vocabulaire, un autre argumentaire juridiquement non sanctionnable. Que ce soit dans le cadre d’une hiérarchie des races ou d’une hiérarchie des cultures, d’une haine des Juifs ou d’une haine des Musulmans, d’une lutte contre l’immigration ou d’une lutte contre l’Islam, l’idéologie des partis d’extrême droite est et demeure raciste.


[1] Guillet Nicolas, Afiouni Nada (dir.), Les tentatives de banalisation de l’extrême droite en Europe, Éditions de l’Université de Bruxelles, Science politique, 2016, 184 p; Gauthier Elisabeth, Bischoff Joachim, Müller Bernhard, Droites populistes en Europe : Les raisons d’un succès, Editions du Croquant, 2015, 144 p.

[2] Taguieff Pierre-André, La force du préjugé: essai sur le racisme et ses doubles, La Découverte, n˚ 162, 1994, 644 p.

[3] Taguieff Pierre-André (dir.), Face au racisme, La Découverte, 1991, p. 15.

[4] Mayer Nonna, « L’offre identitaire du Front National », Revue internationale de politique comparée, 1998, vol. 5, no 1, pp. 179‑188.

[5] Taguieff Pierre-André (dir.), Face au racisme, La Découverte, 1991, 247 p.

[6] Delwit Pascal et Poirier Philippe (dir.), Extrême droite et pouvoir en Europe, Éditions de l’Université de Bruxelles, Science politique, 2007, p. 11.

[7] Taguieff Pierre-André, Le nouveau national-populisme, CNRS éditions, 2012, p. 26.

[8] Glaser Albrecht, « Torheit als Staatsräson », Alternative für Deutschland, 5 octobre 2016, https://www.afd.de.

[9] Glaser Albrecht, « Die planmässige Zerstörung von Staat und Gesellschaft in Deutschland wird forciert », Alternative für Deutschland, 13 juillet 2016, https://www.afd.de.

[10] Bihr Alain, L’actualité d’un archaïsme, Page 2 Editions, 1999, p23.

[11] Le Pen Marine, « Discours à Lille (26 mars 2017) », Rassemblement National, 26 mars 2017, http://www.rassemblementnational.fr.

[12] Martin Dominique, « Intervention au Parlement européen le 23 février 2016 », Rassemblement National, 22 mars 2016, http://www.rassemblementnational.fr.

[13] Le Pen Marine, « Discours de Marine Le Pen à Paris (10 décembre 2015) », op. cit.

[14] Idem.

[15] Le Pen Marine, « Discours de Marine Le Pen à Ajaccio », Rassemblement National, 9 avril 2017, http://www.rassemblementnational.fr.

[16] Betz Hans-Georg, Immerfall Stefan (dir.), The new politics of the Right: neo-Populist parties and movements in established democracies, St. Martinʾs Press, 1998, p. 3.

[17] Ivaldi Gilles, Droites populistes et extrêmes en Europe occidentale, La documentation française, Paris, 2004, p. 28.

[18] FPÖ, « Massenmigration nach Europa – Politik zwischen Verantwortung und Verantwortungslosigkeit », Freiheitliche Partei Österreichs, 19 novembre 2016, https://www.fpoe.at.

[19] Mölzer Wendelin, « Lehrverpflichtung – Österreicher zuerst ! », Freiheitliche Partei Österreichs, 14 septembre 2017, http://fpoe.at.

[20] Kickl Herbert, « 560 Euro für Asylanten sind 560 Euro zu viel », Freiheitliche Partei Österreichs, 4 septembre 2017, https://www.fpoe.at.

[21] Haimbuchner Manfred, « FPÖ-Wahlauftakt in Wels: Blaue Wende in Griffweite », Freiheitliche Partei Österreichs, 29 août 2015, https://www.fpoe.at.

[22] Haimbuchner Manfred, « Das ewige Schalmaien-Palaver macht die Demokratie zum Kadaver », Freiheitliche Partei Österreichs, 16 janvier 2016, https://www.fpoe.at.

[23] Kickl Herbert, « Willkommenskultur gefährdet den Sozialstaat », Freiheitliche Partei Österreichs, 16 juin 2017, https://www.fpoe.at.

[24] Mudde Cas, « Right-wing extremism analyzed », European Journal of Political Research, 1995, vol. 27, n°2, p. 211.

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