Par Asiem El DIFRAOUI (Institut d’études politiques de Paris) & Milena UHLMANN (Université Humboldt de Berlin). Synthèse commentée par Paola HIDALGO (Bruxelles Laïque)
La littérature sur les processus de radicalisation et de déradicalisation s’étoffe et se diversifie au fur et à mesure que ces phénomènes prennent de l’ampleur. Des recherches et études comparatives, comme celle présentée ici, permettent d’entrevoir une approche constructive et globale du phénomène. Démarche plus que jamais nécessaire en ces moments de contre-choc, après les attentats du 22 mars à Bruxelles.
INITIATIVES PROMETTEUSES, PROBLÈMES RÉCURRENTS ET LEÇONS POUR LA BELGIQUE[2]
l n’existe pas de processus standard de radicalisation. Plusieurs facteurs générateurs s’enchevêtrent à des degrés divers : marginalisation socioéconomique, aliénation, recherche de sens et d’identité, perception d’injustice à l’encontre des musulmans, développement d’une sous-culture du djihad, embrigadement sectaire, attraction de la violence, etc. Face à un processus aussi complexe, on ne peut concevoir de recette miracle pour prévenir la radicalisation ou déradicaliser. De plus, le faible nombre d’individus traités dans le cadre des programmes de contre-radicalisation et le manque de recul temporel rendent difficile l’évaluation de l’efficacité de ces programmes.
Toutes les initiatives analysées montrent néanmoins que prévention et déradicalisation nécessitent tout d’abord une forte volonté politique et doivent s’inscrire dans la durée. Elles exigent également des moyens pour mener un travail individualisé : il s’agit de comprendre le plus précisément possible les parcours individuels de radicalisation et les facteurs qui ont conduit au basculement. L’intégration des variables idéologiques, pragmatiques et émotives, à l’instar de ce qui est fait dans le cadre du programme Hayat,[3]est nécessaire pour analyser finement les processus de radicalisation. En Grande-Bretagne, des mesures trop peu ciblées ont eu des résultats peu probants pour un coût élevé.
Les acteurs impliqués dans les programmes de contre-radicalisation doivent venir aussi bien d’institutions étatiques que de la société civile. Les exemples étudiés montrent qu’une implication trop importante des services de sécurité peut nuire à l’efficacité d’un programme : les communautés musulmanes risquent de se sentir ciblées, de refuser de coopérer et de se replier sur elles-mêmes. En Grande-Bretagne, des approches créatives comme celle du TUI à Londres portée par un champion d’arts martiaux, ou encore le travail de rue de l’ACF, ainsi que l’intégration d’anciens djihadistes dans les programmes de déradicalisation, ont porté leurs fruits. Quant à l’exemple du VPN en Allemagne, il a démontré l’importance du facteur humain, du contact direct et du recrutement d’acteurs crédibles : conditions préalables au succès de la déradicalisation.
L’expérience danoise a par ailleurs montré que la concertation entre tous les acteurs, étatiques et non étatiques, musulmans et non musulmans, permettait de développer des programmes efficaces et largement acceptés. L’implication d’élus locaux et des municipalités apparaît comme un point fort, qui fait pour l’heure défaut en France [et en Belgique, note de la rédaction]. Les personnels municipaux doivent être formés et impliqués dans les démarches de prévention et de déradicalisation. L’inclusion d’acteurs de la société civile susceptibles de participer à la déradicalisation sur l’ensemble du territoire, y compris dans les régions rurales, est cruciale. Comme l’a démontré l’échec du programme Hatif en Allemagne, il est également nécessaire d’établir des dispositifs de prise de contact via des acteurs non étatiques. Pour la France, il pourrait être utile de désigner, dans chaque département, des terroriste britannique – qui a souhaité rester dans l’anonymat – souligne qu’il n’y a guère d’alternative : “Peut-être les résultats des efforts de déradicalisation sont-ils moins spectaculaires qu’attendu – mais les djihadistes sont bel et bien là. Certes, certains d’entre eux sont incarcérés, mais la plupart seront libérés à un moment ou un autre. Et on ne va pas suivre l’exemple américain, en ouvrant un camp extrajudiciaire comme Guantanamo…”
INITIATIVES ET PROGRAMMES CITÉS :
Hayat : “est l’un des premiers programmes de déradicalisation au sein de la société civile, lancé par le Centre de la culture démocratique (ZDK) de Berlin, qui disposait d’une expertise en matière de déradicalisation dans les milieux d’extrême droite.”
TUI : lancée en 2009 par Usman Raja, musulman pratiquant et professeur d’arts martiaux, The Unity Initiative (TUI) défie des apprentis djihadistes dans des combats et les convie à des entraînements, cherchant par là à canaliser leur violence et à tempérer leur foi.
ACF : “L’Active Change Foundation (ACF) a également été créée par des anciens islamistes en 2003. Elle s’est fixée pour objectif de déconstruire et de “délégitimer” les discours extrémistes. Elle a, pour ce faire, choisi une approche originale de “déradicalisation proactive”, axée sur un travail de terrain poussé et sur des ateliers de réflexion sur l’islam. Les membres de l’ACF sillonnent les rues de l’est de Londres, prenant contact avec les jeunes au détour d’une partie de basket-ball et les invitant à leur centre pour la jeunesse (Change Centre). Les personnes exposées aux risques de radicalisation peuvent participer là-bas à des ateliers de contre- radicalisation. Grâce à leur expérience personnelle dans les milieux radicalisés, les équipes de l’ACF disposent des compétences nécessaires pour dissuader les jeunes de suivre les arguments des radicaux.”
Hatif : “”téléphone” en arabe et Heraus Aus Terrorismus und Islamistischem Fanatismus en allemand [“Sortir du terrorisme et du fanatisme islamiste”]. L’idée était de lancer une hotline pour les personnes prêtes à abandonner le djihad. Leur prise en charge incluait soutien psychologique à l’individu concerné et à sa famille, échanges avec des imams, aide à la recherche d’un nouveau logement, formation professionnelle et assistance pour trouver un emploi. Le BfV a mis un terme au programme Hatif en septembre 2014, le nombre d’appels restant faible. Pour la plupart des analystes, cet échec est dû au fait que le programme était directement dirigé par les services de sécurité fédéraux.”
1 El Difraoui Asiem, Uhlmann Milena, “Prévention de la radicalisation et déradicalisation : les modèles allemand, britannique et danois.”, Politique étrangère 4/2015 (Hiver), p. 171-182
2 L’article peut être consulté dans son intégralité sur le site du www.cairn.info : www.cairn.info/revue-politique-etrangere- 2015-4-page-171.htm
3 Les différents programmes évoqués dans cette synthèse sont décrits en fin d’article.