PROJET DE LOI PEETERS SUR LA RÉFORME DU TRAVAIL. UNE ATTAQUE SANS PRÉCÉDENT SUR LE TEMPS DE TRAVAIL

par | BLE, Economie, Politique, SEPT 2016

Le 15 juillet 2016, le ministre de l’Emploi Kris Peeters a transmis son projet de loi de réforme du droit du travail au Groupe des dix.[1] Dans la communication qui en est faite à la presse, le Ministre soutient que ces différentes mesures n’aboutiront ni à la fin de la semaine des 38 heures ni à la précarisation du travail.[2] À la lecture de celles-ci, il apparait pourtant qu’elles constituent une dérégulation et une flexibilisation du travail considérable. Le Ministre annonce d’ailleurs très clairement l’objectif dans l’exposé des motifs : “La production, le chiffre d’affaires et la marge bénéficiaire doivent être accrus, tandis que les coûts doivent être réduits”. C’est rare qu’une loi soit motivée aussi explicitement comme voulant faire augmenter les profits des entreprises.

Le projet de loi ne permettra pas de créer de l’emploi et rendra plus difficile encore la conciliation entre une vie privée de qualité et l’exercice du travail. On pourrait même dire que le Plan Peeters représente un retour au XIXe siècle sous prétexte de modernisation du travail. On est donc loin d’une vision innovante du travail, notamment celle impliquant une réduction collective du temps de travail, pour plus d’emplois de qualité pour tous.

Ci-dessous, nous évoquons les traits principaux de la loi, pour ensuite émettre des critiques en terminant avec la nécessité d’une vraie réflexion moderne sur le temps de travail.

LA LOI : LE SOCLE ET LE MENU

Le projet de loi comporte une partie commune directement applicable à tous (le “socle”) et une autre partie composée de mesures qui peuvent être adoptées par les secteurs mais qui ne seront dès lors a priori pas d’application pour tous les travailleurs (le “menu”).

DANS LE “SOCLE”, PLUS D’HEURES SUPPLÉMENTAIRES , PLUS DE FLEXIBILITÉ

Le “socle” commun vise principalement l’annualisation du temps de travail ainsi que la possibilité pour le travailleur d’effectuer jusqu’à cent heures supplémentaires par an sans récupération et en-dehors de tout cadre de contrôle collectif.

Ces mesures remettent en cause l’une des revendications historiques des travailleurs, à savoir la limitation de la journée de travail et la limitation des heures supplémentaires.[3] Les heures supplémentaires sont en effet considérées par les travailleurs comme nocives tant du point de vue de la santé et de la sécurité des travailleurs (vu le risque de maladie et d’accidents accru en cas d’heures de travail trop nombreuses), que du point de vue de la création d’emplois (puisque plus d’heures prestées par travailleur diminuent la nécessité d’embaucher du personnel   supplémentaire) et du montant du salaire (puisqu’en cas de chômage élevé, une pression accrue existe d’accepter des emplois moins bien payés).

Le principe général en droit du travail est donc qu’une semaine de travail comprend en moyenne 38 heures et que les heures supplémentaires éventuelles doivent être motivées par l’employeur mais également donner droit à un paiement de sursalaire et être récupérées, le tout sous contrôle des organisations syndicales.

Au fur et mesure de la libéralisation du marché du travail dans les années 1980, des dérogations de plus en plus nombreuses à ce principe général ont été introduites dans certains secteurs, où, par exemple, la moyenne de 38 heures de travail par semaine est calculée sur trois mois, avec une limite de 45 heures par semaine. Cela reste néanmoins encore l’exception et les différentes mesures ont été négociées au niveau sectoriel avec les organisations représentatives des travailleurs.

Selon le Plan Peeters, le principe général deviendra le calcul des heures supplémentaires sur l’ensemble de l’année. Cela signifie concrètement que tous les travailleurs pourront travailler jusqu’à 45h

par semaine, sans récupérer les heures prestées, s’ils travaillent moins durant d’autres semaines et qu’en moyenne sur l’année ils ne prestent pas plus de 38h par semaine. Cela aboutira dès lors à des semaines plus chargées, le tout sans aucune négociation ni possibilité de refus. Des dérogations sectorielles seront par ailleurs également possibles, permettant de porter la journée maximale de travail par jour à 11h et la durée hebdomadaire à cinquante heures.

Le projet de loi prévoit également l’introduction d’un nouveau système d’heures supplémentaires, sur base volontaire individuelle, et sans récupération ni contrôle syndical. En théorie, ces heures supplémentaires sont faites à la demande du travailleur. Dans la réalité, cela risque souvent d’être l’employeur qui demandera au travailleur de prester des heures supplémentaires.

Chaque travailleur pourra donc se voir proposer jusqu’à cent heures supplémentaires par an, qui ne seront pas récupérées mais payées ou stockées sur un “compte carrière”. Ces heures supplémentaires pourront donc être effectuées sans motivation (contrairement à ce qui est le cas actuellement) et un contrôle de la part des organisations syndicales ne sera pas obligatoire. Cent heures de plus par an, cela équivaut à deux heures de plus par semaine, soit le retour à la semaine des quarante heures. Ce système sans contrôle ni motivation se superposant à l’ancien système des heures supplémentaires contrôlées, le travail d’encadrement des travailleurs par les délégués et les organisations syndicales en sera rendu encore plus difficile, le compte entre les différents types d’heures prestées étant plus complexe.

DANS LE “MENU”, PLUS D’INTÉRIMS ET D’HORAIRES ULTRA FLEXIBLES

L’utilisation de travailleurs sous contrat d’intérim s’est fortement accrue ces dernières années, alors que cela doit en principe demeurer l’exception, dans certains cas précis uniquement et avec l’accord ou l’information de la délégation syndicale. Outre l’allongement du temps de travail, le projet de loi Peeters vise également à normaliser l’intérim, en permettant aux secteurs de créer un statut d’intérimaire à durée indéterminée.

Le projet de loi Peeters s’attaque également aux travailleurs à temps partiel, dont les différentes possibilités d’horaires doivent actuellement être prévues dans le règlement de travail et l’horaire précis doit être communiqué au minimum cinq jours à l’avance. Il est déjà aujourd’hui difficile, pour ces nombreux travailleurs (dans les faits, principalement des travailleuses), d’organiser leur vie privée afin de pouvoir s’adapter chaque semaine à un nouvel horaire. La proposition actuelle va plus loin, puisqu’elle ne prévoit plus d’horaires précis dans les règlements de travail et que l’horaire de chaque travailleur pourra être modifié au jour le jour, en prévenant celui-ci 24h à l’avance uniquement. Le nombre d’heures hebdomadaires pourra aussi fortement varier, la moyenne étant calculée sur trois mois. Le calcul des heures complémentaires donnant droit à un sursalaire sera modifié également, ce qui aboutira à des heures supplémentaires moins bien payées qu’actuellement.

LES CRITIQUES. INDIVIDUALISATION DE LA CARRIÈRE ET MISE À  MAL DE LA CONCERTATION COLLECTIVE

Le Ministre Peeters indique que de nombreux travailleurs veulent avoir la liberté de choisir quand ils souhaitent travailler plus et “mettre de côté” des heures supplémentaires,   pour   pouvoir, à d’autres moments de l’année ou de leur carrière, travailler moins, pour par exemple “construire leur maison”. Cette vision idyllique de la “liberté” individuelle ne correspond pas aux relations dans le milieu du travail où les travailleurs doivent généralement prester des heures supplémentaires parce qu’ils ont du travail supplémentaire et non parce qu’ils en ont “envie”. De même, pouvoir prendre congé n’est pas uniquement lié à la volonté de chaque travailleur mais également aux nécessités de son service et au bon vouloir de son employeur. C’est pourquoi, au fil du temps, les travailleurs et leurs organisations représentatives se sont mobilisés pour un encadrement de l’horaire de travail et une limitation et un contrôle des heures supplémentaires.

En instaurant des heures supplémentaires sans contrôle syndical, un élargissement du travail intérimaire et un compte carrière individuel, le projet de loi Peeters instaure de plus en plus de négociations individuelles, sans appui des organisations syndicales. Une grande partie des négociations sera également déplacée du niveau interprofessionnel au niveau du secteur ou de l’entreprise, affaiblissant ainsi le poids des organisations syndicales et organisant une division supplémentaire des travailleurs. C’est en outre une tendance promue par la Commission européenne.

Ce n’est donc pas une coïncidence si de nombreux pays européens ont ces dernières années “réformé” et flexibilisé leur droit du travail. Ainsi, en Espagne, après plusieurs réformes en 2012 et 2013, les accords d’entreprise peuvent à présent déroger aux accords sectoriels au détriment des conditions de travail, les licenciements sont facilités, le temps de travail flexibilisé et les conventions collectives de travail sont attaquées.

En France également, lors des débats concernant le projet de la Loi Travail, l’inversion de la hiérarchie des normes et l’appui au principe de la négociation individuelle a fait l’objet de nombreux débats.

L’Angleterre reste sans doute un des pays occidentaux les plus extrêmes au niveau de la réglementation du travail, et elle devrait servir à nous avertir jusqu’où peut nous conduire une décentralisation de la négociation collective. Le déplacement de la négociation vers le niveau de l’entreprise a diminué le nombre de travailleurs couverts par des conventions collectives de travail de 82% au début des années 1980 à 20% actuellement, allant de pair avec une perte importante du pouvoir d’achat et une montée des inégalités incroyable. Presqu’un million de travailleurs sont liés à des contrats “zéro heures”, c’est-à-dire sans la moindre idée des heures à prester, sans aucune sécurité et corvéables à merci.

QUELLES CRÉATIONS D’EMPLOI ? QUELLES CONSÉQUENCES SUR LA VIE DES TRAVAILLEURS ?

L’annualisation du temps de travail, l’augmentation des heures supplémentaires et la flexibilisation accrue du marché du travail vont faire accroitre la compétition entre les travailleurs et détruire les emplois. La possibilité de faire travailler plus longtemps chaque travailleur pour moins cher ne va en effet pas inciter les employeurs à engager du personnel supplémentaire, bien au contraire.

La possibilité de faire prester des heures supplémentaires sur base d’un accord individuel va entrainer chaque travailleur à prester plus d’heures que ses collègues, augmentant la compétition entre travailleurs et la cadence de travail dans l’espoir de pouvoir en profiter plus tard. Cela augmentera très probablement les risques de maladies au travail, de surmenage et de stress qui, à long terme, ne profitent certainement pas au travailleur ni à la vie familiale.

CONCLUSION : NÉCESSITÉ  D’UNE VRAIE RÉFLEXION MODERNE POUR UNE RÉDUCTION COLLECTIVE DU TEMPS DE TRAVAILE

Les travailleurs et les organisations syndicales se mobiliseront durant les prochains mois afin de défendre le principe des 38 heures de travail hebdomadaires, le retrait des différentes mesures de flexibilisation accrue du travail et de précarisation organisées par le projet de loi Peeters. Le gouvernement serait bien inspiré d’entendre enfin ces revendications et d’entamer un réel débat démocratique quant à l’organisation du travail dans notre société, dans le sens d’une meilleure répartition du travail entre tous les travailleurs.

La majorité des mesures proposées dans le projet de la loi Peeters vont en effet à contrecourant de l’histoire de notre pays. Au fil des siècles, au vu de l’augmentation de la productivité et grâce à l’organisation des travailleurs, le temps de travail a été progressivement réduit, afin d’atteindre 38h par semaine, ce qui a permis une augmentation générale de la qualité de vie des travailleurs et d’ailleurs aussi de la productivité des entreprises.

Aujourd’hui, de nombreux travailleurs croulent sous le travail, le taux des maladies professionnelles explose, alors que de nombreux autres travailleurs se retrouvent au chômage ou avec des temps partiels imposés. Réduire à nouveau collectivement le temps de travail, sans perte de salaire et avec embauches compensatoires est la mesure d’avenir qui permettra de créer de l’emploi pour tous, de concilier vie professionnelle et vie privée, d’offrir aux travailleurs âgés de travailler dans de meilleures conditions et aux jeunes de trouver un emploi stable.

Vous pouvez vous informer de façon plus complète sur Plan Peeters et signer la pétition “Loi Peeters – Wet Peeters : non merci, nee bedankt !” sur le site http:// www.loipeeterswet.be


[1] Un des hauts lieux de la concertation sociale, réunissant les représentants des organisations syndicales et patronales.

[2] Voir notamment le communiqué de presse concernant le projet de loi sur http://www.krispeeters.be/actua/ persberichten/wetsontwerp-werkbaar-wendbaar-werk

[3] Cf. par ex. Jean Neuville, La lutte ouvrière pour la maîtrise du temps, Bruxelles, Vie Ouvrière, 1981 (2 tomes).

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