QUELS DROITS POUR LES PERSONNES MIGRANTES DE L’ENVIRONNEMENT ?

par | BLE, Environnement, JUIN 2019, Justice, Migration

Depuis toujours, les femmes et les hommes migrent suite aux effets néfastes des facteurs de l’environnement sur leurs conditions de vie afin de se protéger et d’accéder à un avenir meilleur. Cependant, toute préhistorique soit elle, la migration occupe une place majeure dans les débats politiques contemporains, tout comme le réchauffement climatique. Ce dernier est présenté comme un élément accélérateur de la dégradation de l’environnement et, de ce fait, des mouvements migratoires. Face à cette situation, l’Europe et ses Etats membres préfèrent afficher un discours sécuritaire, fondé sur un sentiment de menace que nourrirait la venue sur leur sol de ces “nouveaux” migrants de l’environnement. Au-delà des enjeux européens, la scène mondiale est animée non seulement par les négociations internationales sur les changements climatiques mais également celles sur les migrations. En atteste la dernière COP 24 2018 à Katowice en Pologne[1] et au même moment, le 18 décembre 2018, l’adoption par 152 états, dont la Belgique, du Pacte – migratoire – de Marrakech des Nations Unies.[2] Etat des lieux de la question.

LES MULTIPLES VISAGES DES PERSONNES MIGRANTES

Avant toute chose, il est important de préciser de “quoi” et de “qui” nous parlons. Tout au long de ce texte, le terme “personne migrante de l’environnement” sera utilisé. Ce terme a l’avantage de prendre en compte les migrants dits climatiques qui sont une catégorie de la rubrique plus générale des personnes migrantes de l’environnement. Car, en effet, les migrations causées, entre autres, par les dégradations de l’environnement ne sont pas dues systématiquement et uniquement aux effets des changements climatiques. Le terme générique de personnes migrantes de l’environnement permet également de parler, sur le même pied d’égalité, des hommes et des femmes migrantes.[3]

Il n’existe pas de définition de la migration environnementale unique, officielle, admise par l’ensemble des acteurs internationaux. On peut cependant résumer la migration environnementale comme étant “une migration causée, directement ou non, totalement ou en grande partie par des phénomènes environnementaux, qu’ils soient multiples ou uniques, catastrophiques ou graduels, naturels ou anthropiques.[4] Les trajectoires migratoires sont avant tout individuelles et leurs origines sont mixtes. Nombre de causes et motivations peuvent être identifiées et s’entremêlées dans le projet de migrer (économique, environnementale, politique, familiale, etc.).

DÉGRADATIONS DE L’ENVIRONNEMENT, CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET MIGRATIONS

Aujourd’hui, sur base des nombreux rapports du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur  l’évolution du climat) [5],  plus  personne  ne  peut nier l’existence des changements climatiques,  dont  le  principal   moteur est l’activité humaine. Les effets des changements  climatiques  renforcent les processus de dégradation de l’environnement en fréquence et en intensité. Ces dommages ont ensuite des conséquences néfastes sur les moyens de subsistance, la santé publique et l’accès aux ressources naturelles qui auront, à leur tour, une  incidence  sur les mouvements migratoires internationaux. Même si nous ne possédons pas de données  précises  concernant le nombre de personnes déplacées suite aux dégradations de l’environnement ou,  plus  particulièrement, celles imputables aux changements climatiques, les estimations au plus bas chiffre sont de 50 à 250 millions d’ici 2050.[6] Ces chiffres évolueront selon la mise en œuvre – ou non – de politiques publiques d’atténuation et d’adaptation par la communauté internationale dans les prochaines décennies et du nombre de personnes incluses dans les statistiques des migrations environnementales.

CARTE DES MIGRATIONS ENVIRONNEMENTALES

Les pays en développement sont globalement plus vulnérables aux dégradations de l’environnement que les pays industrialisés, pour deux raisons : d’abord parce que la zone intertropicale, où ils sont pour la plupart situés, est la plus menacée par les impacts du réchauffement climatique ; ensuite parce qu’ils sont confrontés à de nombreuses difficultés socio-économiques. Déjà fragilisés, ils sont sous outillés pour prévenir et faire face aux dégâts dus aux catastrophes naturelles.[7]

Selon F. Gemenne, directeur de l’Observatoire Hugo et chargé d’études Climat et migrations à l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales, Paris), “on distingue généralement trois types d’impacts du changement climatique susceptibles de provoquer des flux migratoires significatifs : l’intensité accrue des catastrophes naturelles, la hausse du niveau des mers et la raréfaction des ressources d’eau potable – aussi appelée stress hydrique. Ces trois types de changement ne produiront pas des migrations similaires et n’appellent pas des stratégies d’adaptation identiques.[8]

La région de l’Asie et du Pacifique est  la plus touchée par les impacts de la dégradation de l’environnement,  dont les causes sont souvent liées aux changements climatiques. Trois-quarts des catastrophes naturelles s’y concentrent et sont très meurtrières car elles ont lieu dans des zones très peuplées. Selon la Banque asiatique de développement (BAD), la région compte six des pays du monde les plus vulnérables aux changements climatiques, avec le Bangladesh et l’Inde aux deux premières places.[9]

La situation d’urgence des Etats insulaires du Pacifique (exemples de Tuvalu et Kiribati) est la plus connue du grand public car elle est la plus parlante médiatiquement et exige une solution d’urgence : ces pays sont tout simplement appelés à disparaître sous les eaux.

Au Moyen-Orient, ce sont les régions deltaïques, comme l’Egypte, où une majorité de la population se concentre, qui seront principalement touchées. Les nombreuses inondations entraîneront des déplacements forcés de populations et rendront les terres arables non exploitables. Selon la Banque mondiale, les centres urbains du monde arabe pourraient subir une hausse des températures nocturnes de 6 degrés, les rendant invivables. Il n’est cependant pas toujours évident de trouver un lien systématique de causalité entre les mouvements migratoires dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) et les changements climatiques. Il semble que les facteurs socio-économiques soient aussi déterminants. La communauté internationale dispose à l’heure actuelle de trop peu d’études qualitatives à ce sujet.

En Afrique subsaharienne, dans un monde à +4 degrés, des territoires deviendront inhabitables d’ici la fin du siècle car trop chauds. La sécheresse touchera davantage les régions sahéliennes.

L’Ethiopie, le Soudan et le Mozambique sont considérés comme les pays africains “à risque extrême”. La raréfaction de l’eau entraîne une dégradation de la qualité des sols, entraînant à son tour une augmentation de l’insécurité alimentaire. Les pays africains en bordure de mer seront également de plus en plus exposés aux conséquences de la montée du niveau de la mer, comme l’érosion des côtes et la salinisation des sols. Des inondations dues aux fortes pluies seront plus fréquentes et intenses et affecteront directement les populations.

En Amérique du Sud, la fonte des glaciers de la Cordillère des Andes et la déforestation intensive de l’Amazonie brésilienne entraînent une modification radicale de l’environnement, pouvant causer des déplacements de populations. Aux États-Unis, les ouragans (exemples de Katrina 2005 et Sandy 2012) sont de plus en plus fréquents et les glaciers de l’Alaska, en fondant, inondent des terres habitées et font disparaître des villages entiers par la montée des eaux.

En Europe, le cas des Pays-Bas est le plus connu car 60% de sa population vit en-dessous du niveau de la mer. La Belgique et le Danemark ne sont pas en reste et doivent protéger leur littoral de la montée des eaux avec des digues de protection. La France et l’Italie subissent des hausses de températures et d’humidité qui augmentent les risques sanitaires et la raréfaction de l’eau.

Les impacts des changements climatiques touchent les trois dimensions du développement durable que sont l’environnement, l’économie et le social. Ils sont un facteur supplémentaire d’appauvrissement des populations qui vient s’ajouter aux inégalités économiques internes et internationales entre pays du “Sud” et du “Nord”. Malgré leur étendue mondiale, les impacts néfastes des changements  climatiques touchent prioritairement les pays en développement déjà fragilisés. Cette injustice climatique est symbolisée par le fait que la plupart des pays émetteurs de dioxyde de carbone et de gaz à effet de serre (GES), sont responsables de la majorité des facteurs de dégradation de l’environnement et des changements climatiques, sont basés géographiquement au Nord, alors que la majorité des victimes de ces dégradations est au Sud. Le tableau est certes plus complexe depuis la montée de la production des émissions de GES par les pays dits émergents (Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud).

Il est important de rappeler que la majorité des migrations se fait en interne voire entre pays proches (migrations régionales) et que, par conséquent, la plupart des personnes migrantes de l’environnement sont avant tout des déplacés internes dans les pays du Sud (selon le PNUD, les déplacés internes représentent 740 millions de personnes soit quatre fois plus que les migrants internationaux.)[10] Ce sont donc les pays du Sud qui gèrent, en première ligne, l’accueil et la prise en charge des personnes migrantes de l’environnement.

LA MIGRATION COMME FORME DE RÉSILIENCE

Pour faire face à ces situations difficiles, parallèlement à la lutte contre les changements climatiques (volet atténuation), les populations sont obligées de trouver des solutions (volet adaptation).

L’adaptation peut prendre plusieurs formes. Ces formes sont complémentaires. La première est financière. Lors des dernières COP Climat, l’idée d’un fonds vert pour venir en aide aux pays du Sud principalement touchés par les effets des changements climatiques a fait son chemin. Aujourd’hui, ce  fonds  représente des cacahuètes par rapport aux besoins  et demandes des pays du Sud.[11] D’autres types de financement liés à un mécanisme d’assistance face aux changements climatiques sont en cours de réflexion. La reconnaissance des pertes et préjudices climatiques constitue aux yeux des pays du Sud un troisième pilier de lutte tout aussi important que ceux de l’atténuation et de l’adaptation. Certains évoquent aussi l’orientation des transferts d’argent des diasporas dans des projets d’adaptation aux changements climatiques.

L’autre forme d’adaptation pourrait être celle de la mobilité. Depuis toujours, la migration est une forme d’adaptation [12] aux difficultés socio-économiques, aux dégradations de l’environnement ou aux conflits. La migration apparaît comme une stratégie de survie et de subsistance permettant de protéger sa vie et diversifier ses sources de revenus. Elle peut être individuelle ou collective (famille), temporaire ou permanente, selon les volontés de l’individu et, inévitablement, des lois qui régissent le titre de séjour et le permis de travail des étrangers dans le pays d’accueil ou de transit. “Au Bangladesh, lorsque des terres sont inondées ou deviennent salinisées, l’agriculteur peut s’employer en ville comme tireur de pousse-pousse ou vendeur de jouets en plastique pour gagner de l’argent pendant un certain temps, et revenir ensuite chez lui avec l’espoir de faire une meilleure saison.[13] A condition qu’il ait, ou qu’on lui donne, les moyens de cette mobilité. Ce qui n’est pas toujours le cas.

CADRES JURIDIQUES DES DÉPLACEMENTS INTERNES ET EXTERNES

Si la migration peut être envisagée comme une stratégie de résilience, il n’existe que de très rares cadres juridiques à cet égard. À ce jour, en matière de migrations environnementales, seuls des cadres juridiques relatifs aux déplacés internes existent (principes directeurs de l’ONU).[14] Rien, ou très peu (Convention de Kampala de l’Union africaine), existe concernant les personnes migrantes au-delà de leurs frontières nationales.

Le débat sur la création d’un statut de réfugié climatique, voire environnemental, est relativement récent et polémique. La plupart des acteurs sont réticents, pour des raisons diverses. Certains États, car cela les obligerait, au vu du respect du droit international, à accueillir ces nouvelles catégories de migrants. D’autres acteurs, comme le HCR, pensent qu’ouvrir le débat sur une révision de la Convention de Genève, pour y ajouter un protocole additionnel permettant de créer un statut pour les réfugiés climatiques, serait dangereux dans le contexte international de repli sur soi car on risquerait d’obtenir un abaissement des standards actuels de protection internationale. Rappelons que la définition de cette catégorie de personnes migrantes est chimérique, au vu notamment du caractère multifactoriel des causes de migrations. De plus, ces déplacements sont en majorité internes et donc juridiquement non concernés par la Convention de Genève de 1951.[15] Enfin, cette approche ne permet pas de s’attaquer à la racine du problème et de se pencher sur ceci de façon globale. Or, l’approche pluridisciplinaire mêlant politique environnementale, migratoire, sociale et économique est la seule dynamique permettant de mettre en place une vision cohérente et ayant un réel impact positif durable, assurant à tous des conditions de vie décentes.

QUELS DROITS POUR LES PERSONNES MIGRANTES DE L’ENVIRONNEMENT ?

Dans l’attente de plus de cohérence dans les politiques belges et européennes, quand l’adaptation n’est pas ou plus possible, la communauté internationale a le devoir de porter assistance aux personnes nécessitant une protection.

Cela doit passer par l’élargissement du champ d’application de l’accès à la protection subsidiaire [16] et de d’accès aux visas humanitaires [17] pour les personnes déplacées en raison de facteurs environnementaux. Cela nécessite préalablement un consensus large sur les éléments de définition de la migration environnementale. Cela permet aux victimes d’être protégées le temps que les mécanismes de reconstruction dans la région sinistrée se mettent en œuvre et que la réinstallation soit envisageable. Dans certaines situations, le risque de s’installer de façon définitive est présent et doit être pris en compte lors de l’élaboration des politiques d’accueil des pays “récepteurs” et de réinstallation dans le pays d’origine. La solution réside dans la mise en œuvre de politiques locales, régionales et internationales facilitant la migration plutôt que sa restriction. La migration doit être envisagée dorénavant comme une forme d’assurance contre les risques de l’environnement. Cela implique une meilleure intégration des politiques environnementales (dont celles d’urbanisation des pôles d’attraction) et migratoires qui, jusqu’à présent, évoluent dans des sphères distinctes. Ces pistes de recommandations vont, bien heureusement, dans le sens de celles prises lors des négociations de la COP 24 et du Pacte de Marrakech. L’urgence pour les personnes migrantes de l’environnement est de passer, maintenant, aux actes et de ne pas se limiter aux intentions.


1 “qui appelle les états à synthétiser les données – récoltées par un groupe d’experts sur les déplacements climatiques mandaté lors de la COP 21 en 2015 – et à formuler des lois et politiques nationales, régionales et internationales visant à prévenir, réduire et aider les personnes en situations de déplacement suite aux effets néfastes  des  changements climatiques” https://www.cncd.be/cop24-pacte-migratoire-justice-deplaces-climatiques

2  Celui-ci accorde une attention particulière dans certains de ses 23 objectifs, à l’adaptation, la mobilité et la protection des personnes migrantes de l’environnement.

3 Pour plus d’infos voir la revue Recherche & Plaidoyer n° 13 du Monde selon les femmes http://www.mondefemmes.be/genre-developpement-outils_theories-analyse_re- cherche-plaidoyer_femmes-climat-migration.htm

4 Définition du Groupe de travail “Migrations et développement”du CNCD-11.11.11 réunissant des acteurs et actrices belges de la solidarité internationale. Plus d’infos Point Sud n° 11 du CNCD-11.11.11

5 Les rapports du GIEC sont disponibles ici : https://www.climat.be/fr-be/changements-climatiques/les-rapports-du-giec/2018-rapport-special/

6 STERN Nicholas. Stern Review on the Economics of Climate Change, Cambridge University Press. Cambridge, Royaume-Uni, Cambridge University Press, p. 77, 2006.

7 Les 16 pays les plus vulnérables aux changements climatiques sont : Bangladesh (1), Inde (2), Madagascar (3), Népal (4), Mozambique (5), Philippines (6), Haïti (7), Afghanistan (8), Zimbabwe (9), Myanmar (10), Ethiopie (11), Cambodge (12), Vietnam (13), Thaïlande (14), Malawi (15), Pakistan (16). Source : Maplecroft, 2011.

8 GEMENNE François. Le Maghreb dans son environnement régional et international. Migrations et développement et l’avenir des politiques migratoires. Note de l’IFRI, janvier 2011.

9 Liste de 2012 établie par la société britannique de conseil sur les risques. Maplecroft

10 Rapport mondial sur le développement humain de 2009 du PNUD, Lever les barrières : Mobilité et développement humains.

11 Le fonds vert a pour mission d’aider au financement de l’atténuation et de l’adaptation. Pour le moment, les financements climat internationaux sont déséquilibrés (plus d’argent pour l’atténuation que pour l’adaptation), et les moyens promis au niveau global sont insuffisants par rapport aux besoins sur le terrain (selon le PNUE- Programme des Nations unies pour l’environnement- 500 milliards de dollars annuellement seraient nécessaires uniquement pour l’adaptation, alors que 100 milliards ont été promis).

12 Selon les dossiers de l’UNFCCC, la migration est une stratégie traitée dans le chapitre pertes et préjudices, et non une stratégie traitée dans le chapitre adaptation.

13 KNIVETON Dominic et MARTIN Max. Article Climat : des mythes sur la migration entravent l’adaptation aux changements. http://www.sci-dev.net/afrique-sub-saharienne/change- ments-climatiques/opinion/climat-des-mythes-sur-la-migration-entravent-l-adaptation-aux-changements.html

14 Si les Principes directeurs de l’ONU offrent un cadre juridique international pour les déplacés internes, ils relèvent du domaine de la soft law (droit non contraignant). La Convention de Kampala de l’Union africaine va plus loin car elle inclut le droit à la protection et l’assistance des personnes déplacées au-delà des frontières nationales sur le continent africain.

15 Convention de Genève 1951

16  Protection subsidiaire Le statut de protection subsidiaire est accordé à l’étranger qui ne peut être considéré comme un réfugié et qui ne peut pas bénéficier de l’article 9ter, et à l’égard duquel il y a de sérieux motifs de croire que, s’il était renvoyé dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, il encourrait un risque réel de subir des atteintes graves, et qui ne peut pas ou, compte tenu de ce risque, n’est pas disposé à se prévaloir de la protection de ce pays et ce, pour autant qu’il ne soit pas concerné par les clauses d’exclusion.

17 Visas humanitaires

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