ENTRETIEN : UN AN D’EXPÉRIENCE DANS LE PRIMAIRE

par | BLE, DEC 2017, Education

Rencontre avec Marcel BUELENS, conseiller pédagogique à la Ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, représentant du Conseil de l’enseignement des communes et des provinces au sein du Conseil consultatif supérieur des cours philosophiques.

La mise en place du cours de philosophie et citoyenneté (CPC) dans l’enseignement secondaire a démarré de manière chaotique. Comme si les leçons n’avaient pas été tirées de son implantation, un an plus tôt, dans l’enseignement fondamental. Avec une année et un trimestre de recul, revenons sur celle-ci en compagnie de Marcel Buelens.

UNE AVANCÉE MAJEURE MALMENÉE PAR SES MODALITÉS PRATIQUES

Le travail sur le contenu du cours a été vraiment intéressant et correspondait aux attentes des uns et des autres qui voulaient voir la philosophie ou, plus précisément, la démarche et le questionnement philosophiques se développer dans les écoles. Cette démarche manquait dans les établissements même si certains avaient déjà mis en place des lieux d’apprentissage de la démocratie et de la citoyenneté (conseil de classe, etc.).” Cependant, au niveau de la mise œuvre du projet, “n’a-t’on pas sacrifié à l’emploi le projet et toute son ambition ?” En effet afin de maintenir l’emploi, la priorité pour donner ce cours a été accordée aux professeurs de religion et de morale, sur base volontaire. “Or, je pense que tous n’étaient pas outillés pour donner ce cours. Ce n’est pas parce qu’on est un bon prof de morale ou de religion qu’on est prêt pour donner ce cours”. C’est pourquoi un certificat en didactique de la philosophie et de la citoyenneté a été mis en place et doit désormais être acquis par tous ces enseignants. “Les profs de morale ne sont pas très contents car le CPC reprend pas mal de contenus ou dispositifs qui étaient déjà mis en œuvre dans leur cours de morale.” Certains pratiquaient déjà le “questionnement en communauté de recherche philosophique”, qui est la méthode de pratique de la philosophie avec des enfants de moins de douze ans. Tous les profs de CPC ne l’ont pas adoptée. “Je comprends bien qu’il fallait préserver l’emploi. Ce qui est dommage au fond, c’est d’avoir créé ce cours au détriment d’un autre en tentant de ménager tout le monde. Or techniquement, ce n’est pas possible…

Les conditions de démarrage n’ont pas servi non plus l’ambition du cours. Le décret général du 22 octobre 2015 prévoyait l’entrée en fonction du CPC le 1er octobre 2016 à l’école primaire et le 1er octobre 2017 dans l’enseignement secondaire. Le décret de mise en œuvre du cours en primaire a été promulgué le 13 juillet 2016, soit pendant les congés et moins de deux mois avant la rentrée scolaire. “Heureusement, nous suivions quand même ce qui se préparait, nous connaissions les grandes orientations, nous avons donc pu nous organiser à Ottignies-Louvain-la-Neuve. Pratiquement, le jour de la rentrée scolaire nous avons rassemblé tous nos professeurs de religion et de morale pour les informer car, manifestement, ils ne disposaient pas tous de la même information. Il faut reconnaître que ce n’était pas évident de s’y retrouver. Entre les informations émanant du cabinet ou de l’administration, il y avait déjà des appréciations différentes, ensuite les réseaux ont chacun communiqué leur lecture. Nous avons donc demandé aux professeurs, par ordre de classement, de choisir entre le nouveau cours ou le maintien de leur ancienne attribution.” Normalement, les élèves ne se retrouvent jamais avec un prof qui leur enseigne la philosophie et la citoyenneté pendant l’heure commune et la religion ou la morale pendant la seconde heure au choix. Mais il arrive parfois que, pour compléter son horaire, un prof de CPC doive reprendre des heures de cours de religion ou de morale. “On essaie alors que ce ne soit pas dans la même école et en tout cas pas avec les mêmes élèves.”

Il a fallu ensuite connaître le choix des parents. Avec tous ces éléments, les groupes ont pu s’organiser. “C’était chaud pour démarrer le 1er octobre puisque les parents avaient jusqu’au 15 septembre pour faire part de leur choix. Encore une fois, nous avions anticipé au mieux. Nous avons donc pu être prêts dans les délais mais ce n’a pas été le cas de tous les pouvoirs organisateurs où ce cours a souvent débuté dans de mauvaises conditions.

L’heure  commune  de  CPC  s’organise par classe tandis que la deuxième heure facultative demande des regroupements d’élèves. Les cours de morale et de religion sont déjà au nombre de six. Dès lors qu’on ajoute la dispense (devenue deuxième heure de CPC), on ventile le choix sur sept options. Étant donné que le nombre de groupes est fonction du nombre d’enfants dans l’option majoritairement choisie, les horaires  n’ont pas été évidents à établir.    Il a fallu regrouper les élèves de plusieurs années d’étude. “À Ottignies-LLN, nous avons eu la chance de ne devoir regrouper que par deux années d’étude mais il y a beaucoup d’écoles qui ont été obligées de regrouper sur quatre années d’étude, voire sur six dans les toutes petites écoles. Cela pose de sérieuses difficultés pédagogiques. Comment animer une communauté de recherche philosophique avec des élèves de troisième et de sixième primaire ? Les centres d’intérêt, les sujets, la capacité de penser et de poser des questions ne sont pas du tout les mêmes. En outre, avec des enfants de cet âge-là, on ne peut pas se poser une question une semaine et tenter d’y répondre la suivante.

C’est pourquoi, nous avons, tant que faire se peut, organisé le cours commun sur deux périodes consécutives par semestre.” Ce qui nécessite l’accord  des enseignants puisqu’on déroge au régime de prestations hebdomadaires : les titulaires de classe se retrouvent avec un horaire de 23 périodes de cours pendant cinq mois et 25 périodes pendant les cinq autres mois. Les professeurs de morale et de religion se retrouvent quant à eux avec la moitié de classes à chaque semestre.

L’UNANIMITÉ AUTOUR DE LA NÉCESSITÉ DE DEUX HEURES

L’année scolaire passée, sur les sept écoles de la commune d’Ottignies-Lou- vain-la-Neuve, en moyenne 34,6 % des élèves (des parents) ont choisi le CPC pour la deuxième heure, avec un maximum de 47,5 % et un minimum de 16,6 %. Dans cinq écoles sur sept, le CPC est le cours le plus fréquenté pour la deuxième heure. “Cela s’explique en partie par le fait que nous avions fait de l’EPA l’année précédente non pas “un cours de rien” mais un encadrement pédagogique qui anticipait la démarche du CPC”. Avant la mise en place de celui-ci, des associations de parents avaient déjà fait la demande d’un cours commun qui approche l’ensemble des courants philosophiques et religions sous un angle culturel. Il faut observer que ce choix en faveur de la philosophie et de la citoyenneté a un peu reculé pour la seconde année de mise en place, principalement en raison d’élèves qui retournent en morale laïque (c’était le cours de morale qui avait perdu le plus d’élèves au profit du CPC). Il semblerait que ce soit lié soit aux enseignants, soit à des parents qui souhaitent réaffirmer leur appartenance à la morale laïque – entendue comme conception de vie non confessionnelle – et que leur enfant participe à la Fête de la jeunesse laïque. Ce n’est donc pas le contenu du CPC qui est en question.

La particularité du CPC réside dans le fait que ce sont principalement les élèves qui amènent la matière. “C’est un cours où la parole doit être reine et celles des enfants en particulier”. Ils viennent avec leurs questions et les enseignants ont été surpris par la richesse des contenus générés simplement par le dispositif mis en place, par le nombre, la pertinence et la diversité des questions que les élèves se posaient, même à un âge très jeune. Des élèves d’ordinaire plus effacés prennent part aux discussions et y apportent de très fortes réflexions. Les questions proposées par les élèves sont bien entendu raccrochées au programme du cours par les enseignants. Une unité de cours s’avère trop courte pour procéder à cette cueillette des questions, poser un problème à partir de celles-ci et répondre avec l’ensemble des élèves. Sans compter la nécessité de garder des traces de tous ces processus.

Il remonte  clairement  du  terrain  que deux périodes consécutives sont nécessaires pour pouvoir donner les cours de manière optimale : “Nous avons organisé une concertation mensuelle avec tous les maîtres de CPC pour répondre ensemble aux problèmes qu’ils rencontraient, aussi bien sur le plan pédagogique qu’organisationnel. Leur demande était assez unanime envers des cours, y compris le cours commun obligatoire, de deux périodes consécutives, sauf peut-être pour les premières et deuxièmes primaires.” À Ottignies-LLN, tous les horaires ont été réorganisés sur cette base en 2017, en répartissant les groupes sur deux semestres. Cela permet des séquences pédagogiques bien plus riches et plus organisables. “Maintenant, si nous pouvions donner deux heures consécutives de CPC toute l’année, je ne dirais pas non !”.

ALLER PLUS LOIN ENCORE

Jusqu’en quatrième primaire et même au-delà, je ne suis pas convaincu que confier le cours de CPC à un maître spécial1 soit le plus pertinent”. Il doit courir d’une école à l’autre pour donner chaque fois une heure de cours. Cela signifie que pour un horaire complet, il a vingt-quatre groupes d’enfants différents. Si l’on compte plus ou moins vingt élèves par groupe, comment peut-il créer une relation privilégiée d’écoute et de confiance avec 480 enfants qu’il voit une heure par semaine ? Et mener avec eux un travail de réflexion ou en communauté de recherche philosophique ?

Pour moi, l’optimisme sera de mise le jour où tous les futurs instituteurs au sein des Hautes écoles seront formés en faisant l’expérience du dispositif du CPC qu’ils auront après à mettre en œuvre dans leur classe”. Puisqu’il est question d’augmenter la formation initiale des maîtres de l’enseignement fondamental, pourquoi ne pas y intégrer une sérieuse formation à la pratique de la citoyenneté et de la philosophie avec les élèves. Celle-ci ne se cantonnerait plus alors à une ou deux heures. Les enseignants se familiariseraient dès la Haute école à la participation des élèves. Les PO pourraient alors choisir de confier les deux heures de CPC soit à un maître spécial, soit au titulaire de classe. Il serait déchargé de deux autres heures de cours qui pourraient être confiées à un enseignant spécialisé, par exemple, pour faire de l’éducation artistique. D’autant plus que pour le CPC, les élèves viennent avec un éventail vraiment surprenant de questionnements issus de leur vécu quotidien, sans avoir toujours beaucoup d’espaces pour les déposer et  y réfléchir : ni à la maison qui n’est peut- être pas culturellement le lieu approprié ni à l’école qui n’est, souvent, pas vécue comme un lieu où l’on peut se poser des questions. Ce n’est qu’avec ce nouveau cours qu’on introduit cette dimension fondamentale. “Donc si le titulaire était formé pour accueillir les questions et pouvoir les travailler au moment où elles surgissent, avec la vision plus globale ou holistique qui est la sienne, le cours de philosophie et citoyenneté irait bien plus loin, serait au plus près de ses ambitions.” Ceci est encore plus pertinent quand il ne s’agit pas de traiter les questions mais des problèmes qui se posent entre élèves. “Nous avons récemment eu le cas d’enfants qui s’échangeaient des noms d’oiseaux sur les réseaux sociaux (auxquels ils n’ont théoriquement pas accès…). Ce problème né dans le cadre de leur vie privée s’est importé à l’école.” Et les enseignants se retrouvent à devoir gérer des conflits assez importants, qui du reste ont trait à un contenu du CPC : les nouveaux moyens de communication, le respect de l’autre, la protection de la vie privée… Le maître spécial ne connait pas aussi bien les élèves et ignore tout ce qui s’est passé et toutes les questions qui se sont posées durant la semaine séparant chacune de ses interventions. “Or, il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Le titulaire, lui, pourrait consacrer une ou deux demi-journées au traitement de ce type de problème, qui crée de la souffrance et de l’indisponibilité à l’apprentissage. Il faut impérativement régler ce genre de situation, faire le lien avec la démarche citoyenne. Pour cela, il faut parvenir à décloisonner le système et faire preuve de souplesse pédagogique.

Ceci ne vaut évidemment pas pour l’enseignement secondaire. Bien que tous les régents enseignant dans le secondaire inférieur gagneraient aussi à être formés aux dispositifs du cours de philosophie et citoyenneté. “À titre personnel, je suis favorable à ce qu’ils puissent donner le CPC s’ils le souhaitent. La société gagnerait à ce que tous les futurs enseignants se raffinent, au sens premier du terme, en leur permettant d’acquérir une solide formation en philosophie et citoyenneté, vécue, je dis bien vécue, pour pouvoir la mettre en pratique en classe et pour eux-mêmes. Parce que la philosophie et la citoyenneté, intéresse ou devrait intéresser chacun et ne pas être réservée à une “élite”. Par contre pour les trois années du secondaire supérieur, le cours gagnerait à être attribué uniquement ou prioritairement aux professeurs qui ont expressément fait des études de philosophie.

Pour terminer, “je ne comprends pas qu’avec une aussi belle ambition en faveur de la citoyenneté, le législateur ait permis dans un réseau qu’elle puisse être enseignée au travers du cours de religion. Parce que le premier principe de toute démocratie moderne, c’est d’avoir séparé le temporel et le spirituel. Ça ne veut pas dire que les profs de religion ne sont pas capables de donner le cours – j’en connais qui sont d’excellents enseignants et qui font réfléchir pertinemment les élèves – mais c’est le cadre du cours qui symboliquement crée de la confusion. C’est au niveau institutionnel, pas des personnes, que je vois le problème. Ou alors, en intégrant la matière du CPC, le cours de religion dans les écoles catholiques n’est plus un cours de religion à proprement parler. Et si tel est le cas, à quoi bon continuer à organiser l’enseignement autour d’école de caractères différents : confessionnel et non-confessionnel ? Pourquoi ne pas nous diriger vers un réseau unique neutre, qui éviterait toutes ces concurrences lourdes de conséquences pour le système et pour les élèves. Car finalement, dans cette situation de marché scolaire, l’école primaire n’est plus choisie pour sa proximité mais pour ses “arguments” de vente ou sa réputation et ne permet donc plus d’être un facteur de lien social au sein des quartiers ou des villages. Mais je garde l’espoir que le système évolue dans ce sens-là…

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