RÉFUGIÉS ET DOUBLE STANDARD : À QUI LA FAUTE ?

par | BLE, DES.HUMANISMES, Migration

« Nous devons nous opposer au double standard et veiller à ce que les droits humains soient respectés universellement, sans distinction de race, de religion ou de nationalité. La communauté internationale ne peut pas se permettre de traiter certaines vies comme plus précieuses que d’autres.”

Ban Ki-moon, ancien Secrétaire général des Nations unies. 

CONTEXTE

Quand les Ukrainiens bénéficient pleinement du principe de non-refoulement, d’autres ne peuvent pas en dire autant. En effet, de nombreux Ukrainiens ont trouvé refuge (sans conditions) dans plusieurs pays membres de l’UE, comme la Pologne, la Roumanie ou la Belgique sans que leurs droits fondamentaux, au regard du droit international, ne soient compromis ou violés, contrairement aux réfugiés venant d’Irak, d’Afghanistan ou d’Afrique subsaharienne.

Nous savons que plus de 6 millions de réfugiés en provenance d’Ukraine ont fui leur pays à cause de l’invasion russe et qu’ils ont pu trouver refuge dans les règles les plus strictes grâce au droit d’asile et des réfugiés. Pour rappel, l’article 14 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme stipule que « devant toute persécution, toute personne a le droit de chercher asile dans d’autres pays ». De plus, la Convention de Genève indique clairement qu’un État ne peut pas refouler un demandeur d’asile (principe de non-refoulement) vers un pays où sa liberté est compromise, ce principe étant la pierre angulaire de la protection internationale des réfugiés.

Gardons tout de même à l’esprit que toutes les personnes réfugiées en provenance d’Ukraine n’ont pas bénéficié du même traitement en matière d’accueil. En effet bon nombre d’entre elles, qu’elles soient résidentes, titulaires d’un titre de séjour ou d’un permis de travail, ont été discriminées car considérées comme des Ukrainiens « non ethniques ». C’est pourquoi nous parlons de réfugiés en provenance d’Ukraine.[1]

Par conséquent, nous prêtons une attention particulière aux termes employés et reconnaissons que tous les réfugiés en provenance d’Ukraine n’ont pas été traités de manière équitable. Ainsi même au sein d’une immigration perçue comme privilégiée, des différences de traitement persistent. Nous chercherons ainsi à comprendre, à travers cet article, les raisons pour lesquelles ces disparités existent et perdurent au fil des années.

Le principe de non-refoulement, qu’est-ce que c’est ?

C’est un élément fondamental du droit d’asile, il est formulé de manière négative et comporte des limites, Il s’agit d’une disposition fondamentale et centrale de la Convention de Genève. Dans un sens, il s’agit du maintien du droit de chacun de quitter n’importe quel pays, y compris le sien. Cela ne lui donne pas nécessairement le droit à l’asile, mais plutôt le droit de ne pas être renvoyé dans le pays qu’il a fui[2]. Ce principe constitue le fondement du droit d’asile. Chaque personne devrait en bénéficier selon l’article 3 de la Convention de Genève.[3]

Son champ d’application est défini par plusieurs critères[4] :

  • Le temps : c’est le critère temporel et de la procédure.
  • L’aspect géographique : lié à la trajectoire qui suit le parcours de la personne. D’où vient-elle, de quel pays ?
  • Le critère personnel : lié au comportement de la personne, représente-t-il un danger pour le pays d’accueil ou a-t -il commis des faits répréhensibles ?
  • La méthode : examine si le principe s’applique à une personne ou à un groupe.

C’est un asile provisoire limité à la procédure, mais protégeant le réfugié contre le refoulement (article 33)[5]. Jouir du droit négatif n’est pas synonyme de délivrance automatique d’un titre de séjour. Les réfugiés ne peuvent pas être renvoyés, la personne réfugiée reconnue se retrouve régulièrement sur le territoire. Faudrait-il rappeler que les personnes qui ont besoin de protection sont celles qui arrivent sans aucun statut.

Si le principe de non-refoulement est un droit universel, pourquoi les Etats agissent-ils de manière différenciée, comme à la tête du client ? Avant de poursuivre, précisons que la protection temporaire (en cas d’afflux massif), généralement inscrite dans les textes régionaux, a été mise en place pour les Ukrainiens et uniquement pour eux, en raison de la guerre. Qu’en est-il des autres groupes ?

Sachant que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme est claire : « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Comment expliquer alors l’effet inverse lors de la crise migratoire de 2015 où une arrivée massive de migrants, en Europe particulièrement, a suscité le sentiment de rejet plutôt qu’un accueil digne ? Oserions-nous penser que cela serait dû au fait qu’ils venaient majoritairement de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak ? Nous ne pouvons que nous rappeler de tout le dispositif mis en place pour pallier l’inaction de nos politiques, nous nous rappellerons de tout le déploiement citoyen mis en œuvre pour héberger ces personnes presqu’en clandestinité, nous nous souviendrons qu’ensemble nous étions plus fort.

Nous allons tenter de comprendre la mécanique et les comportements expliquant ces attitudes à géométrie variable qui favorisent certains groupes au détriment d’autres.

Devons-nous comprendre que certaines vies valent plus que d’autres ?

Que font les organes de surveillance, d’éducation permanente et les instances chargées de garantir le respect des dispositions de la Convention de Genève ? La perception des États membres de l’UE, de l’Occident en général et des médias sur certains groupes de réfugiés joue un rôle majeur dans ce double standard.

Stéréotype et racisme institutionnel 

Cette différence de traitement, à géométrie variable, semble trouver ses racines historiques dans la colonisation[6]. Des puissances européennes majeures comme la France et la Belgique, dont l’historicité est marquée par ces pratiques, ne peuvent l’ignorer. Cependant, le racisme contemporain, bien qu’héritier de ce passé, pourrait aussi jouer un rôle majeur, souvent au-delà des relations coloniales, touchant diverses populations marginalisées. Le racisme institutionnel, parfois subtil et souvent caché, persiste malgré l’égalité formelle exigée. Les médias, les partis politiques et certains pays européens semblent se regrouper pour adopter une rhétorique sécuritaire, manipulant l’opinion publique pour désigner un bouc émissaire : l’autre ![7]

Ces récits pourraient contribuer à alimenter les stéréotypes concernant les étrangers en général et les réfugiés non-européens en particulier. Propagés par les médias et les politiques, ces stéréotypes avec lesquels bon nombre d’entre nous ont grandi peuvent aggraver la situation et ancrer dans notre inconscient collectif, une perception précise et voulue (par les politiques et les médias), souvent au détriment de notre humanité. En essentialisant les réfugiés comme des menaces à la sécurité ou des bénéficiaires passifs, nous risquons de négliger la diversité de leurs expériences et les contextes variés qui les ont poussés à fuir. Il semblerait que les politiques d’immigration actuelles tendent à réduire les réfugiés à leur pays d’origine ou à leur religion, sans considérer leurs besoins personnels et leurs contributions potentielles aux sociétés d’accueil.

La perception de l’Occident vis-à-vis du reste du monde

Ce double standard se manifeste notamment à travers la perception qu’ont les Occidentaux des pays du Sud ou arabo-musulmans, via plusieurs aspects, lesquels sont :

Les médias et les perceptions publiques

Qu’ils soient syriens, afghans ou subsahariens, les médias jouent un rôle crucial dans la manière dont sont perçus les réfugiés et les migrants. Leur influence sur l’opinion publique est déterminante pour le traitement réservé à ces groupes. La couverture sensationnaliste de la crise migratoire de 2015, associant migration et sécurité, a exacerbé les stéréotypes négatifs et contribué à une image défavorable des réfugiés. En contraste, les médias ont souvent présenté les réfugiés ukrainiens comme étant de « meilleure qualité », probablement en raison de la proximité géographique avec l’Europe et des modes de vie plutôt similaires. Ces récits tendent à renforcer une image négative des migrants, les présentant comme des menaces culturelles ou économiques pour nos sociétés modernes. Cependant, est-ce une raison valable pour discréditer les autres réfugiés ? Le droit international en matière d’asile et de réfugiés doit s’appliquer de manière égale à tous.

Les retombées du 11 septembre

Particulièrement du côté des Etats-Unis et depuis les attentats du 11 septembre, la méfiance envers les musulmans et les Arabes en Occident a considérablement augmenté. Cette méfiance se traduit par des perceptions négatives des migrants de ces régions, souvent vues à travers le prisme du terrorisme et de l’extrémisme. Ces stéréotypes ont perduré, influençant les politiques migratoires occidentales et les attitudes du public. Les médias états-uniens ont tellement véhiculé une image négative de ces pays que, faute de connaissances approfondies, bon nombre de citoyens américains perçoivent ces régions comme cruelles et barbares, avec des pratiques violentes où la décapitation serait reine.

Barrières culturelles et politiques

Le manque de lien et de contact entre les populations occidentales et celles du monde arabe et du continent Africain contribue fortement au double standard. L’insuffisance d’initiatives éducatives et politiques visant à promouvoir une compréhension approfondie des réalités et de l’histoire de ces parties du globe contribue également aux stéréotypes et aux idées reçues. Finalement, c’est un peu l’inconnu, le lointain, et parfois la barbarie, telles sont les perceptions façonnées par les barrières culturelles et politiques.

La polarisation

Il existe une grande divergence dans l’opinion publique occidentale sur la question de l’immigration. D’une part, certains soutiennent l’immigration et reconnaissent les contributions positives des immigrants arabes et du Sud. D’autre part, une forte résistance demeure, souvent alimentée par des sentiments nationalistes et xénophobes, exacerbée par les crises économiques et les enjeux sécuritaires.

Politiques restrictives qui font peur 

Le droit d’asile et la protection des réfugiés stipulent que chaque réfugié devrait être accueilli de manière équitable. Cependant, nous savons que ce n’est pas toujours le cas. L’Europe a su appliquer scrupuleusement le droit international en ce qui concerne l’accueil des réfugiés ukrainiens, leur ouvrant largement ses portes et à qui de droit finalement, car comme les autres, ils fuient leur pays dans l’espoir d’un avenir meilleur. Dans le même temps, d’autres groupes sont refoulés, déshumanisés dans les camps, perdent la vie en Méditerranée, survivent ou pas aux maladies, et prient pour un avenir meilleur. Vivre dans des camps surpeuplés, entassés les uns sur les autres, ne peut être considéré comme une vie digne. Les politiques d’extrême droite et certains médias alimentent la peur et les idées reçues, diffusant des rumeurs d’insécurité tout en soulignant nos similitudes avec le peuple ukrainien, en termes de confession religieuse ou de mode de vie. Ces éléments sont utilisés pour suggérer que les Ukrainiens mériteraient plus d’attention que les Afghans, par exemple, créant ainsi une différence de traitement qui s’ancre dans l’inconscient collectif et rend une partie de la population complice de cette indifférence.

Dommages collatéraux, retombées et enjeux 

Les organisations internationales telles que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), Amnesty International, Human Rights Watch et Oxfam ont exprimé leurs préoccupations concernant les différences de traitement des réfugiés en fonction de leur origine. Elles dénoncent également le double standard et les répercussions sur les réfugiés non-européens. De nombreux rapports d’ONG et d’autres organismes ont souligné l’impact psychologique et les conséquences profondes de ces inégalités sur la santé mentale des réfugiés. Le HCR insiste sur l’importance du soutien psychosocial, en affirmant que les discriminations et le sentiment de rejet peuvent exacerber les traumatismes antérieurs. Il propose des programmes spécifiques pour traiter les effets psychologiques de la stigmatisation et de l’exclusion, qui peuvent entraver l’intégration des réfugiés dans leurs nouvelles communautés.

Conclusion

Somme toute, la manière dont les réfugiés ukrainiens ont bénéficié d’une protection quasi-automatique en Europe, contrairement aux réfugiés afghans, syriens ou subsahariens soumis aux difficultés et aux réalités de terrain, frisant l’inhumanité et la déshumanisation soulève une question dérangeante : les principes (fondamentaux) du droit d’asile et des réfugiés sont-ils appliqués de manière équitable ?

Cette inégalité n’est pas que hasard, elle est originaire d’une perception biaisée constamment nourrie par les stéréotypes et les préjugés intimement liés à l’histoire, la politique européenne et la culture. Elle est aussi due au racisme institutionnel, héritier du passé colonial, qui tient une position clé dans cette inégalité flagrante. Tout cela se traduit par un double standard qui divise les réfugiés en deux catégories : ceux qui méritent notre solidarité et notre secours et ceux qui sont perçus comme une menace ou un fardeau.

Au regard de cette réalité, il devient d’une urgence accrue pour la communauté internationale ainsi que pour l’Union Européenne d’ouvrir les yeux sur la situation. Les valeurs fondamentales telles que la liberté, l’égalité et la solidarité sont destinées à guider les politiques migratoires et ne doivent pas relever de l’utopie ou de l’espoir. Ces valeurs doivent se manifester par des actions concrètes de changement garantissant à chaque être humain les mêmes droits et protection d’où qu’ils viennent et indépendamment de leur confession religieuse et de leur couleur de peau.

Pour ce faire, nous devrions envisager plusieurs pistes, comme repenser nos politiques migratoires pour qu’elles soient davantage inclusives et soucieuses des droits de tous les réfugiés de façon indistincte. D’autre part, les médias ont un rôle majeur à jouer en cessant de véhiculer des idées reçues et racoleuses qui alimentent les peurs et renforcent les stéréotypes. Enfin, le secteur des ONG et associatif doit se mobiliser davantage pour dénoncer ces injustices et faire du plaidoyer pour un traitement égalitaire et digne pour toutes les personnes réfugiées.

En définitive, ne serait-il pas temps d’aller au-delà de nos préjugés et de nos idées reçues ? Ne serait-il pas temps de déconstruire pour justement reconstruire un avenir où l’humanité et l’égalité l’emportent sur l’exclusion et la discrimination ? Le respect et la bonne application du droit international en la matière doivent être au centre des révisions des politiques migratoires afin que chacun puisse être accueilli dans la dignité. C’est au travers de ces actions et combats que nous pourrons prétendre être fidèles aux principes que nous mettons en avant et défendons.

[1] Réfugiés en provenance d’Ukraine dans l’UE – Consilium (europa.eu)

[2] Sylvie Sarolea, Module 2 : le droit d’asile et le principe de non-refoulement, 2.1 Asile et non-refoulement, Certificat d’Université en droit d’asile et des réfugiés, Uclouvain, 2024/2025.   

[3] « Les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine. »

[4] Sylvie Sarolea, Module 2 : le droit d’asile et le principe de non-refoulement, 2.1 Asile et non-refoulement, Certificat d’Université en droit d’asile et des réfugiés, Uclouvain, 2024/2025

[5] Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie   ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques

[6]Xavier Dunezat, Camille Gourdeau, « Le racisme institutionnel : un concept polyphonique », Migrations et sociétés, n°163, Centre d’information et d’études sur les migrations internationales, 2016, pages 13 à 32.

[7] Annamaria Rivera, « Le caractère unitaire du racisme à l’épreuve des nouvelles migrations », NAQD,  N° 26-27, NAQD, 2009/1, pages 247 à 257.

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