La Plateforme pour Promouvoir la Santé des Femmes (PPSF) est une plateforme composée d’associations bruxelloises et wallonnes – dont Bruxelles Laïque – qui défendent une approche féministe globale de la santé, notamment via l’intégration systématique du Genre comme déterminant social de santé.
Au fur et à mesure de nos travaux, il apparaît également incontournable qu’une réflexion pointue autour du Care, aussi appelé “Soin aux autres” ou “Sollicitude” , soit menée parmi les sphères politique et universitaire. Le Care constitue, en effet, un bien commun de notre société, qui se doit d’être revalorisé et redistribué entre toutes les couches de la société, mais également et surtout entre les sexes.
UNE APPROCHE FÉMINISTE GLOBALE DE LA SANTÉ
La Plateforme pour Promouvoir la Santé des Femmes (PPSF) réunit des professionnelles et non professionnelles issues d’associations bruxelloises et wallonnes autour d’un projet d’échanges, de réflexions et de plaidoyer politique en lien avec la santé des femmes. Depuis sa création en 2008, elle défend une approche féministe globale de la santé, dont les lignes directrices sont de :
- Réfléchir l’être humain comme un tout (en incluant la santé physique et mentale) ;
- Penser la santé en termes de déterminants sociaux de santé, notamment en prenant en considération la spécificité du Genre ;
- Déconstruire les discours dominants de tout bord (médical, religieux, politique) par rapport à la santé des femmes et notamment ceux qui encouragent une surmédicalisation du corps des femmes ;
- Renforcer l’autonomie et l’empowerment des femmes et des collectivités par rapport à leur santé, par le renforcement des savoirs et de l’esprit critique face aux discours dominants.
Selon nous, cette approche est porteuse d’un message politique et sociétal fort, tant elle est synonyme d’un renversement des pratiques de promotion et de prise en charge de la santé des femmes.
- Tout d’abord et surtout, elle déconstruit les discours sociétaux qui tendent à “pathologiser” les cycles de vie des femmes : par exemple, pourquoi semble-t-il nécessaire de réguler les menstruations des jeunes filles avec des pilules contraceptives ? Une nécessité de se conformer à des normes linéaires ou la promesse d’un vrai confort de vie ?
- Ensuite, elle redonne du crédit aux vécus spécifiques de chaque femme par rapport à sa santé et à la nécessité d’insuffler davantage d’horizontalité dans les rapports soignant-e-s/ soigné-e-s. Par-là, elle encourage la transmission des savoirs entre pairs et le renforcement des dynamiques collectives autour de la santé.
- Enfin, elle pointe la marchandisation croissante de la santé et interroge les choix politiques en matière de médecine préventive : l’evidence-based medecine ne serait-elle pas mise en tension avec des enjeux pharmaceutiques ou budgétaires d’un autre ordre, influençant de facto certaines campagnes de vaccination ou de dépistage ?
Dans le cadre d’une vraie approche de promotion de la santé, le-la soignant-e ou la personne référente d’une collectivité est donc porteur-euse d’émancipation. Il-elle prend le temps d’échanger avec les femmes au sujet de leur corps et de leurs vécus, ainsi qu’à propos des différentes manières de prendre en main leur santé. Il-elle accompagne et n’impose pas de choix. Il-elle est également à l’écoute du contexte individuel de la personne et de ses capacités réelles à pouvoir assumer tel ou tel choix à ce moment-là de sa vie : quel est son contexte de vie ? Quels leviers et freins existent-ils chez cette personne à pouvoir s’occuper d’elle (difficulté financière, famille nombreuse, partenaire violent, etc.) ?
Soulignons que notre plateforme n’est pas contre la médicalisation ou les avancées technologiques, mais contre les abus de celles-ci. Nous défendons sur- tout une approche horizontale, émancipatrice et participative pour aborder la santé, le corps et les soins qui en découlent.
LE GENRE COMME DÉTERMINANT SOCIAL DE SANTÉ
Pour parvenir à cette fin, il nous semble incontournable d’intégrer systématiquement et durablement le Genre dans la liste des déterminants sociaux de santé. Cette analyse des rapports de Genre permet de rendre compte des spécificités du genre féminin par rapport au genre masculin en termes de santé. En effet, les logiques patriarcales qui assignent des rôles spécifiques aux femmes et aux hommes sont sources d’inégalités à de nombreux niveaux et ont de lourdes conséquences sur la santé physique et mentale des femmes.
Les femmes sont, par exemple, la cible de nombreuses injonctions par rapport à l’esthétique de leur corps qui les poussent à s’intéresser à la nourriture saine, mais aussi à mettre en œuvre des régimes pas toujours idéaux pour leur santé. Les futures mères sont également mises sous pression par rapport à la prise de poids (ni trop, ni trop peu) ou encore surveillées quant à leur consommation d’alcool ou de tabac. Qu’elles soient médiatique, sociétale, médicale ou encore familiale, les pressions que subissent les femmes sont bien souvent une forme de contrôle sur leur corps et leurs comportements, plutôt qu’une approche qui met leur bien-être et leur santé au centre des préoccupations. Trop peu de fois le contexte de vie dans lequel elles évoluent est pris en compte au moment de décortiquer un problème de santé.
Si chaque contexte de vie est spécifique, l’organisation sociétale patriarcale a ceci de transversal qu’elle a traditionnellement assigné les femmes au rôle reproductif et comme garantes du Care : elles donnaient naissance aux enfants, s’occupaient de leur éducation, des soins de la famille et du lieu de vie. Actuellement, malgré le fait que les femmes aient largement intégré le monde professionnel, de nombreux mécanismes individuels, collectifs et sociétaux maintiennent les femmes dans ce rôle reproductif et de soin. Les femmes sont surreprésentées dans les métiers de soin et d’attention à l’autre. Elles sont les premières à diminuer leur temps de travail pour s’occuper de leur entourage. Très souvent, elles vivent une double voire une triple journée : elles occupent un emploi et après celui-ci, sont responsables de l’organisation du ménage et de l’éducation des enfants. La grande majorité des aidants proches est en réalité des femmes qui offrent aide et soutien à une personne ayant un handicap, une maladie ou tout simplement avançant en âge. L’ensemble de ces tâches et responsabilités représente beaucoup de pression et une surcharge de travail, souvent considérées comme naturelles et allant de soi.
Parmi les publics qui côtoient les associations membres de la PPSF, les femmes témoignent très souvent de l’épuisement physique ou moral lié à cette surcharge de travail domestique et de soins prodigués à leur entourage. Celui-ci les empêche de prendre soin d’elles et de leur santé de manière adéquate. On observe par ailleurs des facteurs spécifiques, potentiellement sources d’épuisement, comme certaines étapes de vie (la maternité, la grand-parentalité), le statut social (être cheffe d’une famille monoparentale), l’absence de soutien social ou moral (notamment pour les femmes migrantes) ou encore des circonstances de vie difficiles (comme l’apparition d’une maladie chez soi ou chez un-e proche).
Pour une meilleure compréhension et intégration du concept de Genre dans vos pratiques, la PPSF en collaboration avec Femmes et Santé, Le Monde selon les femmes, Cultures et Santé et la Plate- forme Santé Solidarité proposent une formation “Genre et Santé” à destination des professionnel-le-s et non-professionnel-le-s concernés par la santé des femmes. N’hésitez pas à nous contacter si celle-ci vous intéresse.
L’ETHIQUE DU CARE, UN CHANGEMENT RADICAL DE SOCIÉTÉ ?
La place du Care dans la vie des femmes et son impact sur leur santé ont conduit la PPSF à revaloriser et réinterroger une théorie féministe développée dans les années ’80 par Carole Gilligan : l’Ethique du Care. Selon elle, les femmes, de par leur assignation ancestrale au Care, auraient développé des logiques de pensée distinctes des hommes. Elles auraient une manière de raisonner et d’agir en termes de connexion à l’autre et en termes de soins envers ceux et celles qui les entourent : leurs choix seraient réalisés en fonction des impacts que les actes posés engendreraient sur les autres. Les hommes penseraient et opéreraient davantage sur base de grands principes de justice comme l’égalité, le droit à la vie, etc.
Comme certain-e-s s’en doutent, cette conception fut largement contestée et qualifiée d’essentialiste, renforçant a priori les stéréotypes selon lesquels les femmes et les hommes penseraient différemment. Les détracteurs-rices n’auraient pas perçu que l’Ethique du Care dépasse pourtant la simple moralité féminine (entendue ici comme un ensemble de règles d’action et de valeurs qui guident et s’imposent comme normes aux femmes). Cette conception du Care est une véritable éthique de vie, une manière d’envisager le monde, un projet de société conscient des enjeux politiques et économiques sous-jacents.
Dans un article intitulé “Towards a feminist theory of caring”, Joan Tronto et Bénénice Fisher (1990) expliquent ainsi : “Au niveau le plus général, nous suggérons que l e Care soit considéré comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde”, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environne- ment, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie.” Entendu de cette manière, le Care est donc une donnée essentielle au fonctionnement de la vie humaine, une variable sans laquelle le maintien du bien-être individuel, social, écologique voire économique serait inenvisageable.
L’Ethique du Care remet profondément en question les valeurs capitalistes actuelles qui promeuvent la construction d’individus indépendants, rationnels et en poursuite de réussites personnelles (plutôt que collectives). En effet, elle souligne la vulnérabilité que chacun-e peut expérimenter au cours de sa vie et, par corollaire, l’interdépendance des individus entre eux pour promouvoir et maintenir l’organisation sociale. Par ailleurs, en mettant en exergue l’impérative nécessité du Care et sa paradoxale dévalorisation, l’Ethique du Care démontre comment les systèmes de domination que sont le patriarcat, le capitalisme et le racisme confinent dans ces tâches les catégories sociales fragilisées que sont les femmes, les personnes d’origine étrangère et les personnes d’un niveau socioéconomique faible. Comprenons par là que les femmes ne sont donc pas impactées de la même manière selon leur statut social et leur origine ethnique de même que les hommes provenant de certaines catégories sociales.
Ce constat final nous confirme la nécessité de considérer le Care comme un bien commun, qui se doit d’être réparti entre toutes les couches de la société et surtout entre les sexes. Une société du Care nous semble une condition sine qua non à une amélioration des conditions de vie des femmes et de leur santé physique et mentale.
Par ailleurs, et pour revenir au fil rouge de ce trimestriel, l’Ethique du Care s’apparente selon nous à une réelle analyse féministe radicale. Elle s’attaque aux causes profondes des dysfonctionnements sociétaux et aux trois systèmes de domination jusque dans l’intimité des ménages. Elle suppose un changement total des standards de référence et encourage l’innovation individuelle, collective et politique en matière de Soin aux autres. Et pourtant, porteuse d’un message reconnaissant et bienveillant envers ceux et celles qui prennent soin ainsi qu’envers ceux et celles qui sont plus vulnérables et en bénéficient, l’Ethique du Care se veut radicalement inclusive et annonciatrice d’une véritable société à visage humain.
Vous désirez approfondir ce sujet, découvrir ou partager avec nous des alternatives innovantes en matière de Soin aux autres ? Vous êtes curieux-se de découvrir les résultats de la recherche-action que nous avons menée autour de Care, Genre et Santé des femmes ? Vous vous interrogez sur la place des hommes dans ce paradigme ? Rendez-vous sur notre site : www.plateformefemmes.be