TTIP – CETA : CES TRAITÉS COMMERCIAUX QUE LES LOBBIES CO-ÉCRIVENT

par | BLE, Economie, Politique, SEPT 2016

Le dimanche 10 juillet en début de nuit, l’écran publicitaire de la place De Brouckère à Bruxelles a été piraté par le collectif “Ecran de fumée”. A la place d’un logo publicitaire sont apparus les mots “TTIP Game Over”. TTIP[1] est le traité commercial en cours de négociation entre Bruxelles et Washington. TTIP Game Over est une des nombreuses facettes de la campagne européenne contre ce traité. Les Bruxellois ont donc pu prendre connaissance massivement au centre de leur ville de ce que demandent plus de trois millions d’Européens : que l’Europe mette fin aux traités de commerce qu’elle négocie. Notamment le TTIP, avec les Etats-Unis, mais aussi le CETA[2], avec le Canada. Cependant, certains Bruxellois sont restés et restent aveugles et sourds aux demandes des citoyens : les employés en charge du commerce à la Commission européenne et leurs amis lobbyistes.

Les voix des citoyens n’atteignent hélas pas les couloirs des institutions européennes à Bruxelles. La capitale belge compte entre 20000 et 30000 lobbyistes, soit environ un lobbyiste par fonctionnaire européen. Ce sont donc les intérêts des grandes entreprises qui sont majoritairement représentés à Bruxelles. Et cette mainmise des multinationales sur la politique européenne est particulièrement préoccupante dans le domaine du commerce.

Le TTIP et le CETA, co-écrits par les lobbies, comportent tous les deux une clause qui permettra aux multinationales de poursuivre les Etats en justice si ces derniers osaient nuire à leurs bénéfices futurs : l’ISDS.[3] Un instrument déjà présent dans d’autres traités commerciaux qui a permis à des entreprises telles que Chevron, Pfizer, EDF, Suez Environnement et Veolia de recevoir des millions d’euros de compensation des contribuables hongrois, argentins, canadiens, libanais, polonais, etc. pour des décisions de leurs gouvernements démocratiques. Cette procédure judiciaire injuste se déroule en dehors des tribunaux nationaux, avec des avocats d’affaires en guise d’arbitres, qui se remplissent les poches à l’occasion. Cela représente une véritable subvention publique aux plus grandes entreprises mais aussi un redoutable outil de lobbying pour ces dernières.

Face à l’opposition croissante contre les traités TTIP et CETA et notamment contre ces fameux ISDS, la Commission européenne a organisé une consultation publique en 2014. Une majorité écrasante (plus de 97%) des organisations et personnes qui ont rempli le questionnaire en ligne en anglais a rejeté l’ISDS. Par ailleurs, 3,5 millions d’Européens ont signé une pétition européenne pour demander la fin du TTIP et du CETA. Et 1908 villes, communes et régions européennes ont adopté des motions pour se déclarer “zone hors TTIP” et “hors CETA”.

Les réponses de la Commission face à ce rejet citoyen illustre son mépris pour la démocratie : un changement de nom pour la cour d’arbitrage, quelques mots rajoutés dans le texte du CETA et dans celui du TTIP. Le tour est joué. Avec le tout-nouveau ICS,[4] les citoyens sont censés être rassurés et retourner sans bruit et sans heurts à leurs occupations quotidiennes.

Il n’en reste pas moins que le quotidien des citoyens sera fortement altéré par le CETA et le TTIP. Et ceci très prochainement. Le CETA sera à l’agenda du Parlement européen dès le mois de novembre, avec un vote en plénière très certainement au mois de décembre. La priorité est donc de contrer les messages prémâchés et prédigérés de la Commission et de montrer à nos élus européens que les citoyens sont conscients des dangers de ces traités.

Les traités commerciaux ont toujours été le lieu de célébration des mariages entre lobbyistes et décideurs européens. Un cas d’école est celui de l’European Services Forum (ESF). Représentant la Deutsche Bank, IBM et Microsoft, entre autres. Ce lobby a été créé de toutes pièces par la Commission européenne, en 1999, à la suite d’un appel téléphonique de Leon Brittan, alors Commissaire européen au Commerce, à Andrew Buxton, alors président de la banque Barclays. À la cérémonie d’inauguration de l’ESF, M. Brittan rappela aux représentants des multinationales présentes “Je suis entre vos mains… Je compte sur votre soutien et vos contributions”.

Souvent, la Commission elle-même semble se charger du travail des lobbies. Michel Servoz est l’ancien chef de la section Service du Département au Commerce de la Commission européenne. D’après lui, “la contribution de l’ESF est absolument décisive. Nous avons besoin d’eux en permanence et sommes en lien perpétuel, ou nous ne pourrions simplement pas négocier… Les positions dans les négociations [commerciales] que nous prenions, nous les vérifions avec l’ESF au préalable afin de savoir si elles correspondaient à leurs besoins”.[5] En mars 2012, l’un de ses successeurs, Ignasio Iruarrizaga-Diez, a demandé aux membres de l’ESF de lui communiquer leurs priorités spécifiques sur le TTIP. Quel luxe que de pouvoir avoir sa voix à la table des négociations sans même y siéger.

Les politiques commerciales européennes sont donc de toute évidence rédigées pour le bien des multinationales et pour maximiser leurs profits. La Commission, lorsqu’elle négocie des traités commerciaux, n’est qu’une couverture démocratique sur une bulle de connivence entre technocrates et lobbies.

La Commission ne pourra pourtant pas rester longtemps sourde aux affiches, cris, sons de casseroles, stickers, détournement de pubs et autres actions collectives. Malgré le fossé qui sépare Bruxelles de la Commission européenne, l’énergie et la créativité des militants belges est à l’image de la colère d’une majorité de citoyens européens.

Les rendez-vous sont d’ores et déjà pris dans de multiples agendas. De nombreuses organisations ont rejoint l’appel à manifester ce 20 septembre à Bruxelles contre le TTIP et le CETA. Et, suite à une semaine d’échauffement époustouflante, les collectifs citoyens jouant aux TTIP Game Over se sont donné rendez-vous à travers l’Europe les 3, 4 et 5 novembre pour un théâtre coloré et exaltant d’actions et de dénonciations contre le TTIP et le CETA.

Alors que le vent tourne, et que les négociateurs sont obligés de jeter un petit œil et une petite oreille aux mobilisations citoyennes, profitons-en pour en finir avec tous les traités commerciaux de l’Union Européenne et tourner les projecteurs vers ceux qui gouvernent réellement l’Europe !

Pour plus d’informations sur comment les lobbies ont co-écrit le TTIP, vous pouvez consulter le site www.democracyforsale. eu et voter pour dénoncer le lobby le plus efficace.

Pour plus d’informations sur les mobilisations à venir, vous pouvez consulter http:// www.stopttip.be et http://ttipgameover.net


[1] Transatlantic Trade and Investments Partnership, ou Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement.

[2] Comprehensive Economic and Trade Agreement ou l’Accord économique et commercial global.

[3] Investor-State Dispute Settlement.

[4] Investment Court System.

[5] Cité par Matthieu Lietaert, “New strategy, new partnership: EU Commission as a policy entrepreneur in the trade policy”, conference paper, 7-9 April 2009, Manchester.

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