COURS DE PHILOSOPHIE ET CITOYENNETÉ : UNE BELLE AVANCÉE MAIS LE CHEMIN EST ENCORE LONG !

par | BLE, DEC 2017, Démocratie, Education, Laïcité

Cela n’aura échappé à aucun parent ou citoyen attentif, depuis cette rentrée scolaire, un petit nouveau a fait son entrée dans la grille des cours de l’enseignement secondaire officiel et officiel subventionné, un an après son entrée en vigueur au niveau du primaire.
Une belle avancée ! Une heure de cours de philosophie et citoyenneté (CPC) obligatoire pour tous les élèves, et une deuxième heure optionnelle pour ceux qui, malins, choisiraient d’être dispensés de l’heure de religion ou de morale non-confessionnelle encore proposée en bon vestige du pacte scolaire et répondant à une malheureuse obligation constitutionnelle. Mais de quoi s’agit-il finalement ?

UNE CLARIFICATION S’IMPOSE

Je me concentrerai ici plus particulièrement sur le cours proprement dit et sur ceux qui sont amenés à le donner aujourd’hui et demain, et moins sur les aspects politiques de sa mise en œuvre, chaotique par moments et endroits. Mais avant cela, je tiens à insister sur une chose : s’il-vous-plait ne parlez pas de cours de citoyenneté ! Il s’agit d’un cours de Philosophie et de Citoyenneté. C’est-à-dire que l’on aborde le concept de citoyenneté, ô combien important dans une société démocratique, u moyen de la démarche ou méthode philosophique : celle du questionnement, du doute, de la clarification des concepts et de l’argumentation. Non, ce cours n’est pas une sorte de catéchèse de la citoyenneté où l’on “apprendrait” à être un bon citoyen mais bien à se questionner sur ce que c’est qu’être un citoyen ou un bon citoyen. Du moins c’est l’objectif, et il faudra travailler pour l’atteindre. Rome ne s’est pas construite en un jour…

Le CPC se construit autour d’un programme et d’un référentiel de compétences complets et bien pensés. Il est donc également temps d’arrêter de confondre le CPC avec l’encadrement pédagogique alternatif (EPA) également appelé “cours de rien”. Ce mauvais usage des termes nuit à l’image d’un cours ayant un potentiel d’émancipation énorme pour les élèves et fait le jeu d’un certain conservatisme présent dans le camp des partisans du maintien coûte que coûte des cours “dits” philosophiques.[1]

PHILOSOPHIE ET CITOYENNETÉ : QUELS CONTENUS, QUELLES PRATIQUES ?

Cette précision sémantique étant effectuée, entrons dans le vif du sujet : qu’est-ce que le CPC ? Ce cours se donne de la première année primaire à la sixième année secondaire et cherche donc à faire acquérir des compétences par un travail qui s’étalera sur toute la scolarité des élèves en cherchant une continuité et en mettant en avant une pédagogie adaptée en fonction de l’âge des élèves. Sans rentrer dans des détails trop techniques[2], en arrière-fond des compétences du référentiel, l’objectif est de permettre aux élèves d’acquérir les trois compétences génériques de la citoyenneté démocratique[3] que sont l’autonomie individuelle, la coopération sociale et la participation publique. Pour ce faire, de nombreuses méthodes pédagogiques peuvent être utilisées en classe et dans les écoles. Nous pouvons citer la lecture de mythes[4], notamment antiques, et un travail de réflexion sur le sens et les questions qu’ils suscitent. L’anneau de Gygès de Platon en est l’exemple emblématique, questionnant à la fois la moralité de l’homme et l’importance du regard des autres dans nos comportements. Mais le travail peut aussi s’effectuer avec l’allégorie de la Caverne du même Platon questionnant notre rapport au monde et à la vérité. Cela peut également se travailler au moyen de la discussion à visée philosophique (DVP) ou de pédagogie prônant la coopération plutôt que l’individualisme en classe. L’autonomie individuelle se travaillant en confrontant ses propres idées et habiletés de pensée à celles des autres, en partageant et en construisant ensemble l’on parvient à développer un esprit de coopération et de solidarité entre les élèves. De même, la démocratie et les régimes politiques peuvent être questionnés d’un point de vue théorique et pratique et l’on peut, par exemple, travailler la participation publique en incluant les élèves dans le processus démocratique d’une école par la mise en place de conseils de classe participatifs. De la même façon, les questions de la sanction et de la récompense peuvent être abordées avec les élèves pour questionner le sens de l’éducation et ses pratiques. Apprendre à débattre des idées dans le respect absolu des personnes, se confronter à la contradiction, apprendre à intégrer la diversité et chercher des consensus, les méthodes et les contenus ne manquent pas pour permettre aux élèves de travailler sur eux-mêmes, avec les autres et pour les autres, développant ainsi leur liberté et leur solidarité.

Et à cette qualité et richesse déjà fantastiques du CPC vient s’ajouter une autre, essentielle dans une société démocratique : tous les élèves restent ensemble. Finies les séparations des élèves sur un critère convictionnel des élèves ou sur celui de leurs parents, scorie d’un ancien monde valorisant plus le repli identitaire et culturel que l’universalisme cherchant à construire un monde commun. À l’école et au CPC, l’élève est élève. Rien de plus, rien de moins. Condition indispensable à la construction du vivre et faire ensemble.

UN NOUVEAU COURS : DONNÉ PAR QUI ?

Une question centrale demeure cependant. Qui pour donner ce cours ? Il faut distinguer une phase de transition, dans laquelle nous sommes aujourd’hui, et la phase “normalisée” qui suivra. La déclaration de politique communautaire assurait que cette réforme se ferait sans perte d’emploi. La conséquence ? De nombreux professeurs, souvent de religion, exerçant sans titre pédagogique précis peuvent donner le CPC s’ils en font la demande et qu’ils ont plus d’ancienneté. Peu importe si une personne disposant de titre pédagogique ou de titre plus adéquat pour donner ce cours y postulait. La loi de l’ancienneté prime et non celle de la formation. Le législateur laisse une période de transition aux professeurs qui donnent le CPC sans titre pédagogique pour se former à cette didactique particulière par le biais d’un certificat. Ils ont quatre ans pour en être titulaires. Ils devront être titulaires d’un diplôme[5] et également avoir suivi une formation à la neutralité avant de pouvoir commencer à donner le cours. Après la phase de transition, et pour les nouveaux engagements de professeurs amenés à donner le CPC, la priorité sera accordée aux personnes titulaires de diplômes requis et ayant une formation pédagogique.

Par ailleurs, s’il est évident qu’une nouvelle discipline demande une formation pour ceux qui devront l’enseigner, il est irrespectueux de ne pas tenir plus compte du fait que beaucoup de professeurs donnant actuellement le cours de morale non confessionnelle sont déjà, en grande partie, formés pour donner le CPC, tant les objectifs des cours et les méthodes didactiques sont proches.

Une autre condition de la réussite de ce magnifique projet pour l’école humaniste est la mise en place d’une inspection compétente et crédible pour encadrer et guider les premiers pas de ce nouveau cours. En effet, il faudra s’assurer que l’ensemble des professeurs, donnant ou amenés à donner le CPC, respectent bien les socles de compétences et les programmes afin d’éviter toute dérive. De même, l’inspection devra être extrêmement vigilante quant au respect par les professeurs de CPC des obligations déontologiques liées au décret neutralité auquel les professeurs de CPC sont soumis et auront été formés. Une intransigeance sur cette question est indispensable à la crédibilité de ce cours pour de nombreux parents. Cette exigence est plus que légitime.

Si ces conditions sont remplies, il restera à souhaiter qu’un maximum de parents et d’élèves choisissent de prendre deux heures de CPC et d’être dispensés de morale ou de religion. Il y a une avancée cohérente d’un point de vue de la qualité pédagogique d’un cours de deux périodes plutôt qu’une seule mais également sur le plan citoyen et humaniste : la fin de la séparation des élèves sur le critère convictionnel lorsque l’on veut préparer les élèves à philosopher, penser par eux-mêmes, partager, débattre et vivre ensemble. Pour cela les cours “dits” philosophiques devront laisser la place au CPC mais, fondamentalement, qu’attend-on pour refonder ce pacte devenu désuet ?

POUR TOUS LES ÉLÈVES, VRAIMENT ?

Une petite incise avant de conclure pour préciser ici que tout ceci ne concerne que le réseau officiel et nullement le réseau libre et confessionnel qui a réussi à faire avaler à nos représentants politiques que les compétences travaillées au CPC seront travaillées de façon “transversale” et donc partagées entre les différents cours de leurs établissements. Une insulte de plus aux professeurs de Philosophie et de Citoyenneté, souvent agrégés de Philosophie, qui devront aller se former pendant qu’un professeur de mathématique du réseau libre, probablement sans aucune formation à cette pédagogie particulière, donnera sa “part” de compétence à ce sujet. Ce serait risible si cela n’était pas à pleurer. Encore une fois l’enseignement libre et confessionnel s’en tire à bon compte tandis que le réseau officiel devra souffrir encore quelque temps du manque de volonté politique, venant de la majorité en place, de le défendre face au réseau libre. Cette guerre scolaire sourde est visiblement encore une fois en train d’être perdue pour les défenseurs de l’enseignement officiel.

ET DONC ?

En guise de conclusion, il est important de rappeler que ce cours a un potentiel merveilleux et peut, si les conditions sont remplies, devenir une vraie plus-value pour l’enseignement officiel. Parce qu’il réunit plutôt que de séparer. Il apprend aux élèves à penser par eux-mêmes, et avec les autres, et à participer activement au processus démocratique. Il est un véritable outil dans le cadre d’une école démocratique et citoyenne permettant l’émancipation de tous les élèves quelles que soient leurs origines sociales ou culturelles, passant d’enfants à adultes, citoyens libres, critiques, solidaires et responsables. Il mérite donc plus qu’une petite période par semaine car, pour être à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain, choisir deux heures de CPC, c’est un minimum ! Un grand pas est déjà fait sur ce chemin qui sera encore long mais où tous les espoirs sont permis.


[1] Vocable inadapté pour désigner les cours de morale non confessionnelle et des différentes religions reconnues.

[2] Pour lesquels je vous renvoie aux programmes et référentiels de compétences que vous trouverez en ligne sur le site de la FWB.

[3] Claudine Leleux, Chloé Rocourt, Jan Lantier, Education à la philosophie et à la citoyenneté. Didactique et séquences, Bruxelles, Van In (coll. Action), 304 pp., 2017.

[4] Réécrits et adaptés en fonction de l’âge des élèves.

[5] Bachelier pour le primaire et le degré inférieur du secondaire et Master pour le degré supérieur du secondaire.

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