Il y a dix ans, la Fédération Wallonie-Bruxelles imposa, par décret, la gratuité des musées le premier dimanche du mois.
Aujourd’hui, nous tentons de protéger ou éveiller nos enfants en les martelant de « si c’est gratuit, c’est toi le produit ». Une telle mesure serait-elle encore envisageable ? Oserait-on même l’imaginer ? Aurait-on l’idée d’activer le service public pour une mesure qui irait à l’encontre de la logique de marché ?
La mise en place d’un jour de gratuité mensuel des musées relève d’un geste concret, simple à mettre en place, et dont les effets, à dix ans, sont absolument probants, alors même que la publicité n’en est que très peu faite.
Certes, la mesure a ses limites : la barrière financière n’est pas le seul rempart à l’ouverture de la culture à un large public. Mais nul ne peut nier qu’elle en est un frein majeur.
Les musées sont particulièrement perçus comme des institutions élitistes, réservées à une minorité aisée. Nos espaces culturels ressemblent trop souvent, héritage architectural oblige, à des lieux dans lesquels « on n’aurait pas les moyens d’entrer ». Et quand bien même on s’autoriserait à y pénétrer, ce n’est pas certain que ce qui s’y passe soit attrayant, ni même compréhensible. Car oui, c’est un fait, être spectateur, ça s’apprend dès le plus jeune âge. Un apprentissage et un droit fondamental : l’art et la culture sont des biens communs, obligatoirement accessibles à toutes et tous, comme le stipule l’article 27 de la déclaration des droits humains, qui garantit le droit de chacun à participer à la vie culturelle.
Une logique d’école du spectateur consisterait à guider progressivement le grand public vers l’appréciation et le plaisir des langages artistiques complexes, ou même d’en maîtriser les codes, comme dans le cas de l’opéra par exemple.
L’exemple de la gratuité des musées est un objectif louable, qui témoigne d’une volonté politique forte. Les fêtes de Wallonie, le concert gratuit de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur la Grand Place, les fêtes de la musique, ou encore Bruxelles les Bains proviennent d’une initiative politique.
Mais ce désir de gratuité culturelle est aussi inhérent à certains projets portés par des non-élus, ou des individus extérieurs à l’organisation de la vie collective, à qui il peut être reproché de ne pas entrer dans une logique au moins partiellement bénéficiaire pour équilibrer les comptes de leurs événements.
C’est le cas du Jam’in Jette, organisé par Olivier Van Hamme dans le Parc de la Jeunesse à Jette. Ce qui y est frappant, c’est l’expérience « festival » authentique, avec son ambiance, sa singularité et sa qualité de programmation. On constate qu’en aucun endroit, la gratuité de cet événement ne justifie une moindre qualité artistique ou organisationnelle… comme si on avait dû débourser 40… 50… 80€…
Avec peut-être, quelque chose en plus : une diversité manifeste au sein du public et des familles hyper-présentes, en matinée comme en soirée.
Entretien avec Olivier Van Hamme, fondateur et organisateur du Jam’in Jette.
FM. Décris-nous le Jam’in Jette en quelques mots. Comment est née cette idée ?
OVH. En 2008, nous avons souhaité offrir un festival accessible à toutes et tous. La gratuité du Jam’in Jette est donc totalement à l’origine du festival. Pour le financer, quelques sponsors en cohérence avec la ligne éthique du festival, des subsides presque inexistants, le bar, et une armada de bénévoles hyper-motivés. Nous avons également créé le festival Jam’in Jette « Indoor », qui est payant, même si le prix (6€ à l’origine, 10€ aujourd’hui) reste très accessible et ne permet pas du tout d’équilibrer l’événement.
FM. Quel public fréquente le Jam’in Jette ? La gratuité change-t-elle la topographie du public, en termes de couches sociales ?
OVH. En termes de diversité, nous cherchons à toucher tant des personnes qui suivent la programmation du Jam’in Jette, qui se veut « tête chercheuse » et exigeante, que des personnes vivant en bordure du Parc de la Jeunesse ou sur la commune. Le Parc est ouvert de tous les côtés : l’avantage de la gratuité, c’est que, bien que nous soyons évidemment tenu à sécuriser le site, nous ne sommes pas contraints de le barricader. On peut donc débarquer par hasard, juste parce qu’on a entendu de la musique au loin. C’est extrêmement motivant, à l’heure où les festivals de musique sont carrément impayables.
FM. Quelles sont les contraintes de la gratuité ?
OVH. C’est un combat de chaque instant. Chaque année, on repart à zéro. Heureusement, depuis cette année, après 15 ans, nous avons obtenu un contrat-programme de trois ans avec la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui nous assure une petite enveloppe de base. Le reste sont des subventions facultatives, qu’on doit demander chaque année. Les pouvoirs publics nous reprochent très clairement cette gratuité alors que nous, organisateurs, la voyons pourtant comme une force. On nous prétexte une dévalorisation du travail des artistes. Ils sont pourtant payés pour jouer au Jam’in Jette. Clairement, l’événement ne serait pas viable sans la passion des bénévoles qui travaillent sur le site. Si tout le staff devait être rémunéré, on pourrait doubler le budget du festival. C’est donc aussi et surtout la participation citoyenne qui permet l’accès à tous. On continuera car nous sommes un peu fous, que notre réseau professionnel s’élargit de plus en plus, et qu’on bénéficie de beaucoup de coups de main de ces bookers, prestataires, qui retrouvent dans le Jam’in Jette une énergie et une âme qu’ils peinent à retrouver ailleurs.