Doha, Firdaousse, Jalal et Jules du Comité J
Créé dans la foulée de l’élaboration du Festival et de la Fabrik TakTik, le Comité J regroupe des jeunes âgés de 13 à 17 ans, de divers horizons, qui ont tous en commun le désir de se faire entendre. Intéressés, pertinents, dégourdis et surtout portés par une ambition qui ne connaît pas le doute mal placé, ces jeunes bousculent les clichés et nous livrent un message que nous aurions tort de ne pas écouter.
JFG (Jean-François Grégoire) : Qu’est-ce que le Comité J ? Comment la diversité est-elle représentée au sein de sa composition et qu’est-ce qui vous rassemble ?
Le Comité J a été créé en octobre 2020, sous l’impulsion de l’équipe socioéducative de Bruxelles Laïque, en tant que rouage fondamental de la Fabrik TakTik.
Nous sommes tous de cultures différentes, mais nous sommes tous liés par les formes d’injustice que nous vivons, par le partage de l’expérience à l’école, par l’envie de parler et d’être écoutés. Malgré nos différences, nous partageons des normes et des valeurs qui nous rassemblent.
En plus des différences d’âge, nous sommes issus de cultures et milieux sociaux différents, mais nous ne nous posons pas la question de l’identité commune, c’est un sentiment d’appartenance qui nous relie derrière un objectif commun, celui de se faire entendre et d’entendre les autres aussi. On a tous besoin d’être écouté, tout en nous engageant dans la Fabrik TakTik. Nous sommes ensemble en tant que jeunes, les adultes sont en soutien, et on tient bon pour trouver des solutions malgré les reports dus à la pandémie.
JFG : Justement, comme tout le reste, le Festival TakTik a été fortement perturbé par la pandémie. Pouvez-vous nous parler de l’émergence de la Fabrik TakTik et des motivations derrière la résilience de votre engagement envers le projet ?
Au départ, nous ne pouvions même pas nous voir en “vrai”, tout se faisait par Zoom. On avait beaucoup d’espoir de pouvoir faire le Festival en 2021, mais ça n’a pas été possible. Heureusement, nous nous sommes sentis écoutés par les adultes et c’est de là que la Fabrik est née : nous avions un espace où nous étions enfin écoutés. Donc, c’était motivant de s’investir, de participer et de produire d’autres activités, comme les forums. À côté de ça, c’était très compliqué à l’école, et là, tout d’un coup, nous avions des tâches à faire. Nous pouvions avancer concrètement et être écoutés, tous ensemble, main dans la main. C’est pour cela que nous avons mené toute une série d’activités, pour exister et faire parler de nous.
Nous avons un combat à mener et ce n’est pas la crise sanitaire qui va nous arrêter. Au contraire, elle nous a davantage motivé, car le besoin d’être entendu était d’autant plus présent et donc notre motivation était très forte et partagée.
La Fabrik nous a permis de créer une place pour les jeunes et de pouvoir faire vivre l’envie d’être entendus. Nous avons pu aborder la Fabrik comme un laboratoire pour faire le meilleur festival possible. La pandémie, nous avons pu l’utiliser comme une source de motivation et du temps supplémentaire pour pouvoir faire les choses encore mieux, avec une profondeur que nous n’aurions pas eue autrement.
JFG : Sur cette même veine, la pandémie a eu des effets dévastateurs sur la santé mentale de plusieurs personnes, a fortiori les adolescents, notamment sur la motivation scolaire. Que peuvent faire l’école et les PMS (centres Psycho-Médicaux-Sociaux) pour améliorer la situation ?
Déjà avoir un espace au sein de l’école où l’on peut aller lorsque ça ne va pas. De savoir que cela existe, qu’il y a du personnel qualifié pour nous soutenir. Que cette norme formelle soit actualisée et que cela devienne concret. Avec la crise sanitaire, du jour au lendemain, nous avons été coupés des PMS mobiles qui venaient dans les écoles. C’était très compliqué pour les gens plus isolés ou moins favorisés… Les conditions étaient difficiles. De plus, une fois que nous sommes retournés à l’école, l’ambiance n’était pas super et il n’y avait pas d’espace pour se sentir écouté. On se retrouve à être relégué chez d’autres, car les profs et les psychologues sont saturés. C’est pourquoi il est fondamental d’avoir un espace au sein de l’école pour être entendu, peu importe le contexte.
Beaucoup d’erreurs ont été commises certes, mais le souci c’est le temps que cela prend de réaliser les impacts. Car il y a un décalage entre le vécu aujourd’hui et les solutions qui ont été pensées avant, alors que la situation continuait d’évoluer.
Le PMS c’est bien et il faudrait développer l’infrastructure au sein de l’école, de façon permanente, afin d’avoir un interlocuteur adulte à l’école, autre que les parents et les profs. Il faut que ce service soit accessible.
Les profs pourraient être davantage sensibilisés et formés car c’est eux qui sont souvent avec nous… Les profs semblent parfois prendre les choses à la légère et ne semblent pas nous entendre car leur vie d’adulte – avec une famille, un quotidien – est beaucoup plus remplie et riche que celle d’un jeune qui se retrouve isolé socialement. Nous attendions plus d’empathie de la part des profs par rapport à notre vécu pendant la pandémie.
Une autre chose, c’est que plus on parle du PMS, plus on va normaliser le fait d’y avoir recours. C’est devenu un tabou, un “truc bizarre”, d’aller au PMS. Il y a un flou autour de ce que c’est et cela peut vite être stigmatisant d’y aller. Au contraire, plus on en parle, plus on ira, et plus ça va normaliser le fait d’en parler, d’y aller et de prendre sa santé mentale en main et ne pas avoir peur de demander de l’aide. Sur le terrain, c’est une ressource qui n’est pas assez mise en avant.
JFG : Comme les jeunes de moins de 18 ans n’ont pas le droit (ni l’obligation) de vote, les politiques s’intéressent peu aux jeunes. Mais vous n’êtes pas apolitiques pour autant. Quels sont les principales revendications politiques qui ressortent des forums et qui seront sur la table en juin lors du Festival TakTik ?
Dommage qu’on ne soit pas écouté. On dit toujours que les jeunes c’est l’avenir mais, concrètement, nous sommes exclus de tout. Il faudrait que les jeunes puissent être entendus, voire représentés, puisque nous sommes touchés par plusieurs décisions. Nous observons beaucoup, que ce soit au sein de l’école, dans les centres sportifs et au niveau des activités. On vit et on voit des choses, mais on est souvent récupéré. C’est bon de se faire voir avec un jeune, mais nous ne sommes pas réellement écoutés. C’est dommage de ne pas avoir d’espace de parole où nous pouvons être entendus.
On utilise beaucoup “les jeunes” pour se faire une image de marque politique. En France, comme en Belgique, on essaie d’instrumentaliser les jeunes qui accèdent au droit de vote, mais sans les écouter et sans se préoccuper d’eux et de leurs revendications. Il y a des manquements en termes de communication. Il y a aussi une crise de confiance envers les politiques… Heureusement, au niveau européen, il y a des choses qui bougent : notamment la réduction de l’âge du droit de vote à 16 ans pour les élections européennes.
On oublie souvent que les jeunes ont une parole, mais elle n’est pas écoutée. Dans la Fabrik TakTik, on s’intéresse à la politique. Nous avons d’ailleurs rencontré le bourgmestre d’Anderlecht. Nous avons une maturité aujourd’hui. Avec les médias sociaux, nous pouvons être très bien informés. L’image que les adultes ont des jeunes est dépassée. Nous sommes plus informés que les jeunes d’avant. Nous sommes probablement la génération la plus informée à n’avoir jamais existé. Cela dit, nous devons être éduqués à la politique (et aux médias), sinon à quoi bon réduire l’âge du droit de vote à 16 ans ? Ce n’est pas normal de devoir surfer sur Internet (YouTube) pour s’informer de la politique en Belgique, car à l’école il n’y a rien, aucune information ni encore moins d’éducation politique. À ce moment-là, le vote apparaîtrait comme une suite logique pour beaucoup plus de jeunes.
En 50 ans, le système scolaire a très peu bougé, comparativement au reste de la société (hôpitaux, militaire, etc.). Mis à part quelques changements technologiques, on ne se préoccupe pas tellement des ados, des jeunes.
Il faut cependant être prudent avec la réduction de l’âge du vote, car étant jeune on est plus influençable et cela pourrait motiver des discours encore plus radicaux. L’équilibre entre le besoin d’être écouté et le droit de vote est compliqué…
JFG : L’institution de l’école est au cœur de vos projets (comme en témoigne le JT 2050), que proposez-vous pour la démocratiser et permettre une réelle appropriation de celle-ci par les élèves ?
Ah ça c’est la grande question ! L’idée centrale, c’est la création d’un syndicat d’élèves. Cela existe déjà, que ce soit un conseil ou un syndicat… L’idée est d’avoir un lieu qui est en communication avec l’école, mais qui n’est pas géré par le personnel de l’école. Le syndicat pourrait jouer un rôle d’intermédiaire dans la résolution de conflits entre élèves et école, cela peut être intimidant face à un prof ou un directeur. C’est une question qui nous occupe et ce sera le cas jusqu’au Festival, en juin.
Le syndicat doit être indépendant, comme les profs ont des syndicats qui leur permettent de réclamer et de protéger leurs droits. Le syndicat peut aussi jouer un rôle d’information sur nos droits, c’est un lieu où on serait écouté et accompagné pour ne pas être seul dans nos démarches. Un peu comme les PMS : ce serait un endroit où on peut venir vider notre sac pour se décharger, être entendu et avoir le soutien nécessaire.
Il y a des différences entre les communes au niveau du PMS et de la relation avec les profs (on observe d’ailleurs des différences importantes entre les communes, par exemple entre Ixelles et Jette ou Anderlecht). Lorsque les choses sont bien faites, on en sort avec une expérience positive, nous n’avons plus peur d’aller vers les ressources. Cela contribue à créer un sentiment de confiance envers l’école.
C’est aussi important d’appuyer sur le fait que les écoles qui font partie du réseau public font moins bonne figure que les écoles du réseau libre. On a l’impression que c’est une question de différence de valeurs entre les réseaux. Soit l’’élève est au centre ou bien l’élève est un rouage impersonnel. Les élèves sont plus impliqués et plus écoutés au sein du réseau libre. Il existe souvent d’ailleurs sentiment d’appartenance plus fort dans ces écoles.
Ces différences de valeurs se traduisent par des différences de normes et de pratiques : avoir un délégué de classe, c’est exceptionnel dans le réseau public, mais c’est la norme dans le réseau libre. Le Comité J apparaît à certains comme une révélation alors que pour d’autres c’est normal puisque le conseil d’élèves c’est la norme, ce genre de lieu existe.
Un des rôles importants que pourrait jouer un syndicat serait d’informer les élèves sur leurs droits et sur les moyens d’y accéder et de les faire valoir. De la même manière que les profs peuvent se regrouper pour échanger de l’information et avoir recours à des actions, les élèves devraient pouvoir s’organiser pour défendre leurs intérêts et leurs droits.
L’exemple le plus concret pour cela concerne le Règlement d’Ordre Intérieur (ROI). Nous voulons être partie prenante de son élaboration afin d’être entendus. Le syndicat d’élève serait une façon de le faire.
D’abord dans chaque école, mais aussi au-delà. Les syndicats pourraient être liés entre eux et former une force de frappe pour les élèves. Par exemple, pour répondre aux diverses accusations que nous recevons lors des grèves scolaires pour le climat. Nous pourrions répondre d’une seule voix.
JFG : Une fois que le Festival TakTik aura eu lieu, en juin prochain, que restera-t-il de votre engagement, à la fois à titre individuel que collectif et communautaire ? Qu’aimeriez-vous qu’on en retienne ?
Au départ, c’était une expérience et on doit retenir le fait que nous soyons écoutés et que nous puissions être acteurs de notre passage à l’école. Cela devrait être normal… Devenir la norme. Nous sommes reconnaissants envers Bruxelles Laïque et le Théâtre National de nous permettre de pouvoir faire cela car, pour nous, c’est quelque chose qui nous correspond et où nous nous sentons écoutés.
Notre objectif est de continuer et de pouvoir pérenniser le Festival et pouvoir continuer à faire partie du Comité J, avec le soutien des adultes de Bruxelles Laïque qui nous écoutent, qui croient en nous et qui nous donnent les moyens de pouvoir réaliser nos projets et tendre vers nos objectifs. Nous sommes guidés, mais personne ne décide à notre place ou cherche à nous influencer. Les adultes nous aident à structurer nos idées et à les rendre possibles, comme les forums.
Fabrice Murgia nous a donné un micro, nous avons enfin pu être entendus.
L’équipe nous offre une vraie liberté de penser qui nous permet de construire [le Festival] de façon conviviale, tout en apprenant un tas de trucs pour réaliser des projets, les costumes, la réalisation, etc.
Nous sommes soutenus, mais nous ne sommes pas paternalisés et nous sommes choyés.
Cela nous a fait grandir. Lors du premier forum en ligne, on découvrait l’univers et quand on regarde aujourd’hui tout ce que nous avons accompli, nous sommes très fiers de voir le rayonnement que nous avons eu avec la télé, la radio, un peu partout…
vous imaginez se voir à la télé ! Rencontrer le [ancien] Directeur du Théâtre National, nous nous sentons estimés comme des personnes et non pas regardées de haut par des adultes qui ont un rapport d’autorité sur nous. Il n’y a pas de hiérarchie, c’est un soutien au contraire.
Nous grandissons aussi à travers nos différences car elles servent à nous guider les uns les autres.
Le combat que nous portons de façon diffuse en chacun de nous prend corps et cela nous donne confiance en nous et nous en sortons vraiment grandis. C’est très important pour créer notre identité sociale !