LE COURS DE PHILOSOPHIE ET DE CITOYENNETÉ : UNE OPPORTUNITÉ POUR LA CONSTRUCTION D’UNE EVRAS ÉGALITAIRE ?

par | BLE, DEC 2017, Education, Laïcité

La philosophie de par son objet, permet l’apprentissage de l’étonnement, du questionnement, de l’interprétation et de la réflexion sur le monde et l’existence humaine. Le type de réalité qu’elle vise à connaître est celui de la vie, de la condition humaine et du sens à donner à sa vie. La méthode philosophique permet notamment la prise de conscience de ses propres conditionnements, présupposés, stéréotypes et préjugés et la nécessité d’une prise de recul vis-à-vis de ceux-ci.

Le concept de “citoyenneté” peut être envisagé selon différents aspects : juridique, identitaire, pragmatique ou encore critique. Posséder des droits, éprouver une conscience de son identité à travers les différences individuelles, être partie prenante de projets et d’actions par différents biais tels que la participation ou l’engagement, examiner le bien-fondé de notre savoir personnel et collectif sont des composantes de cette fameuse citoyenneté. Elle permet l’ouverture sur les défis actuels et nouveaux de la société en tentant d’influencer la vie quotidienne, sociale, politique et de s’y impliquer.

Philosophie et citoyenneté sont deux composantes interdépendantes. Le lien entre elles se forge sur l’exercice d’une liberté soucieuse de s’affirmer explicitement, liberté présupposant la capacité pour chaque personne à déterminer ses valeurs, ses principes de pensée et d’action, ses projets.

Le cours de philosophie et de citoyenneté vise à l’exercice de choix conscients et libres, dans le respect de l’égalité en droits et en dignité. Il est défini par sa finalité : “être et construire ensemble”.[1] Il participe ainsi pleinement au développement global de l’individu dans ses différentes dimensions : socio-affective, cognitive, perceptive et psychologique.

CITOYENNETÉ, PHILOSOPHIE ET EVRAS [2]

Alors qu’aujourd’hui en Belgique plus d’une femme sur trois a subi des violences physiques ou sexuelles depuis ses 15 ans, que seuls 16 % des mineurs d’âge échappent aux images pornographiques, que le sexisme constitue toujours un terreau fertile pour la discrimination et le harcèlement y compris des plus jeunes, il est urgent d’agir sur différents terrains. Les grandes instances internationales telles que l’OMS et l’UNESCO appuient explicitement leur approche de l’éducation sexuelle sur les droits (sexuels et reproductifs) humains, ainsi que sur l’égalité des sexes, l’autodétermination et l’acceptation de la diversité. Elles clarifient ainsi ce que devrait être une éducation à la sexualité pertinente, en se basant sur le postulat que la sexualité est un aspect fondamental de la vie humaine comportant des dimensions physiques, psychologiques, spirituelles, sociales, économiques, politiques et culturelles, qui ne peut être compris sans faire référence au genre. Les règles régissant le comportement sexuel des individus varient considérablement d’une culture à l’autre, et parfois même au sein d’une même culture : la diversité est une caractéristique fondamentale de la sexualité.

Elles considèrent qu’une approche globale, ou holistique, de l’éducation sexuelle, qui s’appuie sur la compréhension de la sexualité en tant que potentiel humain, est la plus à même d’aider les enfants et les jeunes à développer des aptitudes essentielles qui leur permettront de déterminer eux-mêmes leur sexualité et leurs relations pendant les étapes de leur développement.[3]

Les droits sexuels et reproductifs sont donc, par définition, des droits fondamentaux qui constituent un enjeu majeur en termes d’égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi, en termes d’égalité entre tous les citoyens et les citoyennes. C’est dans ce contexte, que “l’éducation à la sexualité est elle-même devenue un droit, une sorte de prérequis essentiel à l’émancipation des jeunes, à l’égalité entre les sexes et à la lutte contre les violences et les discriminations liées au sexe ou à l’orientation sexuelle. Parce qu’elle interroge les rapports sociaux de sexe et ouvre le champ des possibles, l’EVRAS est un maillon incontournable dans la construction de sociétés égalitaires[4] et s’intègre donc pleinement dans les cours de philosophie et de citoyenneté.

Il s’agit d’un enjeu démocratique essentiel car l’universalité des droits et l’égalité entre tous et toutes, quel que soit leur sexe ou leur identité de genre, est un pilier de la démocratie. Développer la citoyenneté des jeunes, c’est en effet leur permettre une appropriation de leurs capacités, une responsabilisation et une participation active dans leurs choix. Depuis juin 2012, l’EVRAS fait partie des missions obligatoires de l’école, mais sa seule insertion ne suffit pas. Les centres de planning familial n’ont pas le personnel nécessaire pour garantir pour tous les élèves des séances d’animation. Toutes les études démontrent que l’expertise acquise par les centres de planning familial doit rester une base fondamentale de l’EVRAS et que des animations avec du personnel extérieur à l’école restent essentielles à la libre parole et à sa circulation. Néanmoins, une vision transversale de la thématique devrait permettre de coordonner certains contenus dans une concertation avec d’autres intervenants, dont notamment les enseignants des cours de philosophie et de citoyenneté.

La sexualité participe à la définition de la personne et à la construction de ses relations, qui sont elles-mêmes des éléments constructifs de sa citoyenneté. Il serait ainsi judicieux de parler de citoyenneté sexuelle : être citoyen·ne, cela se déploie, et surtout cela s’apprend. L’EVRAS, comme composante de l’éducation citoyenne, constitue ainsi un véritable processus de transmission plutôt qu’une éducation en bonne et due forme”.[5]

Une vigilance doit être prodiguée quant aux principes éthiques dans lesquels l’EVRAS doit s’inscrire. En effet, les intervenants doivent être attentifs au travers de toutes les thématiques à lutter contre les stéréotypes de genre mais aussi de partir des interrogations des jeunes et de favoriser les échanges entre eux et elles. L’OMS insiste d’ailleurs sur l’importance de la branche choisie pour pouvoir l’aborder au mieux, mais aussi et surtout de la formation des éducateurs ou éducatrices et des enseignants. Elle estime que l’éducation sexuelle (et relationnelle) devrait être obligatoire, et avant tout, prodiguée sous la forme d’un processus participatif avec des professionnels motivés, formés et soutenus.

Dans le cadre du programme de philosophie et de citoyenneté et du socle de compétence “Se connaître soi-même et s’ouvrir à l’autre” et plus spécifiquement celle de “pouvoir développer son autonomie affective” au cœur de la thématique “Les émotions et les affects, l’estime de soi et des autres, l’intégrité”[6] de nombreuses situations mobilisatrices dans le cadre de la vie relationnelle, affective et sexuelle peuvent être proposées. Face aux questions de harcèlement, de sexisme, de violences diverses existe la nécessité d’une approche genrée et citoyenne de l’EVRAS. Celle-ci doit favoriser un apprentissage des règles sociales, des lois et des valeurs communes. Une forme de banalisation des rapports de domination dans les relations entre garçons et filles apparaît clairement aujourd’hui. Cette banalisation semble même quelquefois être totalement ignorée, comme si le sexisme n’existait pas. L’interprétation qui est faite des problèmes de violence les situe encore majoritairement du côté d’un simple problème de communication. Il y a donc là un véritable travail de déconstruction à faire avec les jeunes. Questionner par exemple les jeunes sur la violence amoureuse les amène à déconstruire un certain nombre de stéréotypes sexistes bien ancrés chez eux. Le chantier est immense. Il est donc intéressant de le démarrer le plus tôt possible, car une fois les idées bien ancrées, la résistance au changement est bien plus grande.

L’école étant bien un grand laboratoire de la construction de la perception des hiérarchies sociales et de genre, il serait plus que nécessaire que les cours de philosophie et citoyenneté soient le lieu par excellence, voire même le creuset, de la construction de l’égalité dans le domaine de la vie relationnelle, affective et sexuelle. Penser le monde, l’imaginer, construire sa pleine et entière citoyenneté ne peut s’imaginer sans prendre en considération les rapports de domination qui traversent la société, sans appréhender les relations entre êtres humains, leurs différences et leur diversité, sans parler de sentiments, d’amour et de sexualité.


[1] Cours de philosophie et de citoyenneté, Programme d’études Cycles 2,3 et 4 Enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, Enseignement officiel subventionné – Enseignement libre non confessionnel subventionné, 20162017

[2] Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle

[3] Standards pour l’éducation sexuelle en Europe, Un cadre de référence pour les décideurs politiques, les autorités compétentes en matière d’éducation et de santé et les spécialistes, OMS Bureau régional pour l’Europe et BzgA, Version française : Santé sexuelle Suisse, Lausanne 2013.

[4] Fabienne Bloc et Sophie Pereira, Pour une approche citoyenne et égalitaire de l’EVRAS, Rapport de recherche, Université des Femmes – 2017

[5] Fabienne Bloc et Valérie Piette, Jouissez sans entraves ? Sexualité, citoyenneté et liberté, Espaces de libertés, 2016.

[6] Cours de philosophie et de citoyenneté, Programme d’études Cycles 2,3 et 4 Enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, Enseignement officiel subventionné – Enseignement libre non confessionnel subventionné, 20162017.

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