REBOUSSOLONS-NOUS. DES TABLETTES D’ARGILE AUX TABLETTES TACTILES

par | BLE, Education, SEPT 2015, Technologies

Présence et action culturelles a choisi d’intituler sa campagne actuelle “Reboussolons-nous”. Dans une démarche d’éducation populaire, l’association souhaite, avec modestie et détermination, décrypter les prodigieuses métamorphoses de notre présent. Afin de décoller de la juxtaposition des faits du fleuve continu de l’actualité. Afin d’exercer et d’aiguiser un esprit critique peu présent dans les débats politiques très convenus et à très court terme. Tenter de donner de l’ampleur et de la perspective au basculement du monde qui s’ébauche sous nos yeux un peu hébétés.

Que l’on juge ces quelques transformations sur la longueur du temps historique : le passage du monde agricole au mode de vie urbain pour une part toujours  plus  croissante de l’humanité avec tous les changements de rapport à  l’espace, au  temps, à la nature, aux autres que ceux-ci entraînent. Une croissance démographique sans précédent dans l’histoire  des hommes. Les progrès inouïs de la médecine, et plus généralement des sciences, qui allongent considérablement notre espérance de vie mais modifient aussi notre sensibilité au regard de la douleur, de la souffrance, de la reproduction. Toute la relation à notre corps s’en trouve bouleversée. De la révolution génétique aux sciences cognitives, toutes les transformations de la nature humaine deviennent potentiellement possibles, du pire des eugénismes aux victoires les plus prometteuses sur des maladies jusqu’ici incurables.

Autres facettes de ce moment historique exceptionnel : la dégradation catastrophique de la biosphère et la rupture des écosystèmes qui se sont construits et régulés sur le temps cosmique. Ère de l’anthropocène où c’est l’homme qui désormais inscrit son empreinte sur le temps, le climat, le cours de l’eau, le cycle immémorial du carbone, des forêts, l’acidité des océans… Evénement à proprement parler encore incroyable il y a peu. C’est l’homme qui bouleverse totalement la nature et non l’inverse comme c’était le cas pendant des millions d’années. Le renversement est saisissant.

Sur le plan  de  la  philosophie  politique et dans une période historique plus contractée, la mutation géopolitique majeure : l’Occident, jusqu’alors centre du monde, cède peu à peu sa place à une planète multipolaire et polycentrée. L’axe de la puissance se déplace  de l’ouest vers l’est. Cette globalisation voit le triomphe du libre-échange par une hausse gigantesque des relations commerciales dont le sillage entraine  des inégalités vertigineuses et une marchandisation généralisée. Le capitalisme transforme toutes les relations sociales. Les valeurs, les traditions, les cultures de l’ancien monde sombrent inexorablement sous la puissance de l’argent, de l’information, de la vitesse, du management. L’amour, le travail, les loisirs, tous les attributs de la sensibilité humaine se transfigurent. Tous les codes sont chamboulés. Une nouvelle humanité apparaît.

Tous nos systèmes de représentation et de déchiffrage du réel se transforment avec la révolution de l’information et du numérique. La toile, ce sixième continent en expansion constante, brise tous les territoires, toutes les barrières et toutes les frontières du passé. Les Etats, les institutions traditionnelles de la démocratie, les rencontres amoureuses comme les accès aux savoirs et aux connaissances, les créations esthétiques comme les communications en direct avec l’ensemble du monde, tout est désormais soumis à la fluidité constante de réseaux sans fin. Après la révolution de l’écriture, puis celle de l’imprimerie, le bouillonnement du numérique nous transforme dans nos identités profondes. Imperceptiblement, nos  imaginaires, nos regards, le sens de notre présence au monde, nos rapports avec autrui et nous-mêmes,  s’en voient bouleversés. Nos référents, après Dieu et les livres, pour schématiser à l’extrême, sont devenus Google, Facebook, Amazon ou Apple.

Toute cette série hallucinante de séismes historiques, unis entre eux par des lois complexes qui se renforcent mutuellement, produit un changement radical et un basculement du monde qui s’est très rarement réalisé dans l’histoire humaine. Nous sortons du néolithique, cette période axiale de l’humanité qui a débuté il y a près de douze mille ans. Bien sûr, il y a eu des mutations centrales depuis ce temps. Il serait absurde de nier toutes les transformations majeures, politiques comme techniques, symboliques comme économiques, qui ont scandé le tumulte humain depuis tant de siècles. Mais jamais sans doute, la conjonction de tant de mutations n’a été aussi ample et rapide par le passé.

L’avenir est lourd de menaces, des replis identitaires aux fanatismes religieux, de l’effondrement des écosystèmes au triomphe de la logique capitaliste. Il est, en même temps, riche de promesses et d’espérances. Sous les ruines de l’ancien monde, germent aussi des solidarités, des alternatives, des fraternités ou des avancées scientifiques exaltantes.  Le grand poète allemand Hölderlin écrivait “là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve”. Nous ressentons comme une croisée des chemins, une gigantesque incertitude, un éventail trop large des futurs possibles oscillants entre catastrophismes et optimismes béats.

Le PAC a choisi de  mettre  humblement en  perspective  ce  basculement du monde au travers des outils et des méthodes de l’éducation populaire. Il entend proposer quelques boussoles pour nous réenchanter dans ce monde désorienté. Pour ne pas perdre le nord et encore moins le sud.

Dans la même catégorie

Share This