RENFORCER LA CONFIANCE DANS LA RECHERCHE MÉDICALE, UNE QUESTION DE SANTÉ PUBLIQUE

par | BLE, DEC 2018, Education

La Collaboration Cochrane est un organe indépendant qui réunit 11 000 chercheurs en sciences médicales de tous les continents. Elle a comme but de produire, publier et diffuser des études et des révisions bibliographiques qui synthétisent les résultats de nombreuses recherches dans le domaine médical. Il s’agit d’un organe de référence depuis plus de vingt-cinq ans dans le domaine de la médecine basée sur les preuves (Evidence Based Medicine) au niveau mondial. Ses méta-analyses (qui sont des sortes de synthèses de parfois plusieurs dizaines de recherches réalisées sur un même sujet) ont une méthodologie rigoureusement définie et perfectionnée en permanence, dont les principes phares sont l’impartialité et l’indépendance, notamment à l’égard d’intérêts économiques privés.

Les autorités en santé publique s’appuient très souvent sur les travaux de cet organisme pour concevoir, orienter ou réorienter leurs politiques. Nous parlons donc bien d’une institution d’utilité publique, tout ce qu’il y a de plus rigoureux et reconnu.

En septembre 2018, lors de l’Assemblé générale de cette organisation, un de ses membres fondateurs, Peter Goetzschel, a été démis de ses fonctions. Ce médecin et chercheur danois, qui a participé, dès ses débuts, à développer et à améliorer la méthodologie de travail de “la” Cochrane, s’est attiré les foudres du Comité de gouvernance de l’institution à cause, notamment, de ses prises de position publiques1 en ce qui concerne la publication par leur association d’une méta-analyse portant sur l’efficacité du vaccin contre le virus du papillome humain (VPH en français, mais mieux connus comme HPV, d’après ses sigles anglophones).

Goetzschel accusait les auteurs de ladite analyse d’exclure la moitié de recherches pertinentes, d’ignorer des biais possibles de certaines études citées et de manquer de transparence concernant les effets adverses inquiétants liés à l’administration du vaccin. Des accusations graves, qui ont été en partie réfutées par la Cochrane, même si elle reconnaît aussi “du bout des lèvres que certaines ne sont pas sans fondements.2

En effet, la recherche médicale est le fruit de l’intervention de divers acteurs: certaines études sont financées directement par les états, notamment à travers les universités publiques. D’autres sont développées par des universités privées. Dans certains cas, la recherche se fait grâce à l’intervention de fondations et d’organismes plus ou moins indépendants. Finalement, une partie non négligeable de données scientifiques est produite grâce aux moyens colossaux des multinationales pharmaceutiques car il s’agit de recherches qui coûtent très cher et qui exigent une infrastructure parfois rare et coûteuse elle aussi. Dans un contexte d’austérité et de manque de ressources qui deviennent chroniques, les organismes publics de recherche peinent à garder le même rythme que les sociétés disposant de capitaux privés côtés en bourse.

Afin de garantir l’indépendance des études publiées par  des  organismes  de référence comme la Cochrane, il est donc essentiel que les données prises en compte proviennent de sources diverses. L’équilibre entre les données produites par des laboratoires privés et celles produites dans des laboratoires indépendants est la garantie d’une neutralité des conclusions, notamment dans le cadre de recherches qui auront des effets directs sur la santé de millions de personnes comme c’est le cas des campagnes de vaccination qui visent, idéalement, l’ensemble de la population mondiale.

Ainsi, la démission forcée d’une voix discordante au sein de la Cochrane a plongé cette institution dans une guerre interne qui semble diviser les camps entre, d’une part, ceux qui, comme Peter Goetzschel, “sont des puristes de la médecine basée sur les preuves”, passionnément opposés aux “biais dans la recherche et aux politiques fondées sur ce qu’il considère être des preuves biaisées3 et, d’autre part, ceux qui considèrent que toute critique publique relative à la production des vaccins est irresponsable puisqu’elle nourrirait le mouvement qui promeut leur refus.

De même, les accusations du Conseil de gouvernance à l’origine de l’éviction du chercheur danois controversé4 ne semblent pas porter sur des faits problématiques en lien avec son travail de recherche (la falsification ou occultation de données, par exemple) mais plutôt sur une attitude personnelle qui nuirait à l’image de marque de Cochrane et des nombreuses plaintes suite à la publication de l’article critique. Cette préoccupation relative à l’image de marque d’une institution dont l’objet social est la recherche scientifique est interprétée par les chercheurs et chercheuses solidaires de Peter Goetzschel comme le signe d’une colonisation par les logiques entrepreneuriales des organes de production du savoir scientifique et pas n’importe lequel : celui qui oriente les décisions en matière de santé publique d’une bonne partie des pays du monde.

Or, “26 ans après sa création, la Collaboration Cochrane, qui a démarré en tant qu’un minuscule réseau académique mené par des logiques collégiales et  des petites donations, s’est muté en une vaste bureaucratie internationale avec de nombreux sous-comités, un manuel de procédures opérationnelles gros comme une brique et un budget multimillionnaire dépendant d’un volumineux carnet d’adresses de donateurs qui financent son travail […] garantir sa neutralité (“view from nowhere”) requiert une navigation délicate dans un océan politique dangereux ainsi que l’acceptation de compromis difficilement acquis”.5

Il serait logique de croire que la production du savoir scientifique indépendant ne peut exister que si son financement l’est également. Or, on peut se demander s’il est encore possible de refuser d’obtempérer face à des plaintes de donateurs dont les intérêts commerciaux se verraient affectés par la démarche critique d’un collaborateur. Si, en plus, ce collaborateur est une autorité reconnue mondialement pour sa rigueur méthodologique, les critiques ne peuvent que poser problème à un organe décisionnel devant assurer l’arrivée des donations.

ACTUALITÉ EN BELGIQUE LIÉE AU VACCIN VPH

Le Parlement de la Communauté Wallonie-Bruxelles a récemment adopté une Proposition de résolution visant à renforcer et élargir la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV). Celle-ci préconise :

a) une extension de la vaccination [contre le VPH] aux garçons ;

b) une diminution de l’âge de la vaccination ;

c) une extension de la période de remboursement du vaccin de 15 à 26 ans de manière à inciter ceux qui n’ont pas encore été vaccinés à le faire, même plus tardivement ;

d) une implication des jeunes eux-mêmes dans le choix de se faire vacciner ;

e) une protection la plus étendue possible par le recours au vaccin couvrant le plus de souches”.6

Cette résolution a été adoptée le 9 novembre 2018. Elle aura peut-être des effets sur le budget alloué à la prévention de maladies provoquées par le VPH à partir de 2019 année qui marque la fin de l’actuel Marché public de fournitures portant sur l’acquisition et la livraison de vaccins, dont le pouvoir adjudicateur est la Communauté Wallonie-Bruxelles (ONE).

Sans remettre nullement en cause l’importance de la démarche  vaccinale pour prévenir les maladies liées au VPH, qu’elles soient mortelles ou non7, ce qui attire notre attention c’est le fait que la résolution mentionnée plus haut ne fait à aucun moment allusion au dépistage qui, d’après les experts, est davantage efficace pour prévenir les décès.

Certes, afin d’éradiquer la transmission du VPH dans la population, le vaccin reste le seul outil efficace. Néanmoins, il n’est pas l’outil le plus efficace de protection contre les décès en cas de cancer. En d’autres mots : même vaccinées, les personnes ne faisant pas l’objet de dépistage  courent un risque de développer un cancer qui, sans diagnostic opportun, pourrait devenir mortel.

Dans ce sens, le dépistage, lui aussi, fait l’objet de progrès récents.  Ainsi,  sur le site du Centre fédéral d’expertise en soins de santé, dans une étude de 2015, on peut lire qu’un “dépistage basé sur la détection de la présence du virus serait plus efficace que l’actuel frottis (aussi appelé Pap-test) pour protéger les femmes de plus de 30 ans, et ceci à un coût moins élevé. De plus, le dépistage par test HPV permettrait en toute sécurité d’espacer les examens de 5 ans au lieu de 3 ans aujourd’hui”.

Dans un contexte de restrictions budgétaires constantes, l’augmentation d’une portion du budget peut se faire au détriment d’autres. Dès lors, on peut craindre que la part croissante prise par le budget destiné à la vaccination ne se fasse au détriment d’autres postes, tels que l’amélioration de la politique de dépistage.

En effet, toujours selon le Centre fédéral d’expertise en soins de santé, cet examen “est remboursé une fois tous les 3 ans depuis 2009, mais seules 60 % des femmes se font dépister, ce qui est insuffisant. En revanche les femmes qui se font dépister le font souvent trop fréquemment”. Des efforts pour améliorer cette démarche préventive fondamentale pour la santé des femmes sont donc nécessaires, notamment en ce qui concerne l’accessibilité des examens pour les femmes les plus vulnérables, souvent moins bien loties à cet égard.

Des pistes pour augmenter l’accessibilité du dépistage vont dans le sens d’une couverture élargie, notamment par l’augmentation des examens faits par le médecin généraliste, mais aussi par une amélioration des conditions et de la perception que les femmes ont de la consultation gynécologique, qui reste le cadre privilégié où se déroule cet examen.

Cet élément ne peut faire l’abstraction de la mise en avant récente, par des féministes, de la prévalence inquiétante de maltraitances gynécologiques et obstétricales, les mêmes qui ne font l’objet d’aucune recherche en Belgique8. Peut-on supposer qu’une partie  des  cancers  du col de l’utérus (et d’autres organes intimes) restent mal diagnostiqués à cause de la réticence que bon nombre de femmes ont au moment de se rendre au cabinet des gynécologues-obstétriciens suite à des maltraitances vécues ?

CRITIQUER N’EST PAS REFUSER

Qu’il soit au niveau d’une institution de référence en matière de recherche médicale comme la Collaboration Cochrane ou au niveau d’un débat entre spécialistes dans un Parlement communautaire, ceux qui prennent distance avec la confiance absolue dans les politiques de vaccination semblent faire l’objet d’une mise en quarantaine motivée par les dangers d’une épidémie alarmante : la méfiance envers les vaccins et envers la médecine. Ainsi, au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles “l’intervention critique du chirurgien oncologue français Gérard Delépine a suscité quelques tensions, avec d’autres experts, mais aussi avec l’un ou l’autre député médecin de formation. S’il a reconnu l’efficacité de la vaccination contre les verrues génitales, le Dr Delépine a clairement remis en cause son intérêt pour lutter contre les cancers”.9

Est-ce que cette méfiance est uniquement le fruit d’une irrationalité croissante alimentée par les fake-meds  et antivax?10  Même si c’est le cas effectivement, la mise au ban de tout avis divergent est-elle le meilleur moyen d’augmenter la confiance en la vaccination et en la médecine ? Est-ce qu’il est justifiable, afin d’augmenter le taux de vaccination, de cibler toute personne potentiellement critique du système médical, la traiter en ennemi public et l’écarter du débat ?

A l’heure où 250 lanceurs d’alerte11 ont réuni leurs efforts pour dénoncer un manque de contrôle alarmant dans le système de certification des implants médicaux (“#ImplantLeaks”), où l’on apprend notamment que leurs défaillances ont provoqué 82 000 morts et 1,7 million de blessés en dix ans et que les entreprises qui mettent ces implants sur le marché financent les organismes de contrôle censés les encadrer, ne doit-on également questionner les influences indiscutables des multinationales ayant des intérêts dans les politiques en santé publique ?

Les outils visant à améliorer ou maintenir notre santé peuvent difficilement être considérés comme des simples marchandises. Il est peut-être plus urgent de garantir la confiance qu’on peut avoir visà-vis de ceux-ci à travers une plus grande indépendance et neutralité des instances qui les observent, étudient et encadrent que de lutter contre la méfiance à leur égard.


1 Jørgensen, P.C. Gøtzsche, T. Jefferson, “The Cochrane HPV vaccine review was incomplete and ignored important evi- dence of bias”, BMJ Evidence-Based Medicine, 2018, n°23, pp.165-168.

2 Sthéphane Foucart, “Crise historique au sein de l’expertise médicale”, Le Monde, samedi 22 septembre 2018.

3 Greenhalgh, Trish, “The Cochrane Collaboration—what crisis?”, British Medical Journal, 7 septembre 2018 (traduction de l’auteure).

4 Il ne s’agit pas de la première controverse à laquelle il prend part. Auparavant il s’est également intéressé aux effets néfastes du surdiagnostic des cancers du sein. Lorsqu’il a attiré l’attention sur ce problème pour la première fois, il a été perçu avec méfiance pour ensuite être rejoint par ses pairs. De telle sorte que bon nombre de politiques nationales de dépistage, dont celle de la Belgique, ont été forcées de revoir la fréquence des tests à la baisse.

5 Grenhalg, op cit.

6 Proposition de résolution visant à renforcer et élargir la vac- cination contre le papillomavirus humain (HPV), Parlement de la Communauté française, 9 novembre 2018.

7 On recense le nombre total de nouveaux cancers liés au VPH à 1138 en 2015 (données transmises par Mme Germaine Hanquet, experte au sein du Centre fédéral d’expertise en soins de santé, lors de l’audition publique relative à la Proposition de résolution visant à renforcer et élargir la vaccination contre le papillomavirus humain, au Parlement de la Fédération W-B le 24 septembre 2018). Selon des chiffres de la Fondation  contre  le cancer, il y aurait environ 157 cas de décès chaque année d’après  des chiffres  de 2017, le plus grand nombre  de cancers se situe dans  la tranche d’âge entre 41 et 50 ans ; “le cancer du col de l’utérus n’est qu’à la 10e place des cancers les plus fréquents chez les femmes, représentant chaque année près de 600 cas, soit 2,8 % de l’ensemble des cas de cancer” (Nancy Thiry, Marie-Laurence Lambert, Irina Cleemput, Michel Huybrechts, Mattias Neyt, Frank Hulstaert, Chris De Laet. , Vaccination HPV pour la prévention du cancer du col de l’utérus en Belgique : Health Technology Assessment. Centre fédéral d’expertise en soins de santé reports vol. 64B, 2007, p. 15).

8 A différence de la France, où la Ministre pour les droits des femmes, Marlène Schiappa a commandé un rapport au Haut Conseil à l’égalité sur ces violences.

9 “Extension de la vaccination contre les papillomavirus: les experts partagés”, Le Soir, 24 septembre 2018.

10 Les fake meds sont l’équivalent des fake news en médecine ; anti-vax désigne les mouvements anti-vaccination.

11 Chloé Hecketsweiler, Emeline Cazi, Stéphane Horel et Maxime Ferrer, “Implant Files’ : un filet de mandarines aux origines de l’enquête internationale”, Le Monde, publié en ligne le 25 novembre 2018.

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