UNE ALLIANCE PROMETTEUSE POUR RENOUVELER L’ÉCOLE PUBLIQUE. LE LYCÉE INTÉGRAL ROGER LALLEMAND

par | BLE, Education, JUIN 2018

Face à la pénurie de places dans les écoles et dans un contexte de quasi marché scolaire [1], la création d’établissements à pédagogie dites “actives” se multiplie ces dernières années. Souvent, elles sont le fruit de l’inquiétude de parents devant une off requi ne leur convient pas. Ils se groupent alors pour s’atteler à imaginer et à mettre en œuvre une école qui s’approchera au plus près d’une école démocratique, participative et ouverte sur la Cité. Dans ce foisonnement, le Lycée Intégral Roger Lallemand (LIRL), qui a ouvert ses portes en septembre 2017, sort du lot à plusieurs titres. C’est dans un ancrage communal à Saint-Gilles que ce projet a pu prendre forme.

Une fois n’est pas coutume, c’est un groupe d’enseignants qui est à l’origine de ce projet. Un projet avant tout politique, comme l’explique le directeur, Tanguy Pinxteren, et qui a pour finalité de proposer d’autres fondements à notre société. C’est à peu près il y a huit ans que des enseignants se retrouvent pour discuter du sens de leurs pratiques et des défis démocratiques qui l’entourent. Les “Pédagonautes”[2] ont poursuivi leur chemin en proposant des accompagnements et des formations aux enseignants. Assez logiquement, un travail d’exploration en vue de la création d’une école secondaire s’est alors dessiné au sein d’un sous-groupe consacré à cette question.

HUMANISTE ET SCIENTIFIQUE

Le Lycée Intégral Roger Lallemand s’est choisi pour devise “Apprendre pour être libre”. Dans une orientation résolument humaniste, démocratique et exigeante, la pédagogie développée tient sa raison d’être de valeurs fortes situées dans un monde complexe. Afin de mettre en pratique ces finalités, le LIRL met un point d’honneur à s’inscrire parfaitement dans les programmes de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et dans tous les outils officiels. Des méthodologies transversales font vivre des compétences en dialectique : travail intellectuel et travail manuel, intelligence collective et épanouissement personnel, exigence et bienveillance.[3] Plus concrètement, la journée se répartit en deux moments importants. Le matin, les élèves travaillent sous forme de modules de cours préparés par plusieurs professeurs des différentes disciplines. Ce choix pédagogique rejoint le souci d’inscription dans un monde complexe et tend à offrir de meilleures possibilités de son appréhension. Le module transdisciplinaire permet aussi l’échange, la formulation d’hypothèses, d’analyses collectives… et stimule ainsi la démarche scientifique propre à la mécanique d’apprentissage. La fin de matinée est consacrée au travail individuel. L’après-midi, les élèves participent à des ateliers de mise en pratique de tous ordres (pratiques artistiques, sportives, manuelles…).

Les élèves sont invités à prendre part à la vie démocratique et organisationnelle de l’établissement au cours d’assemblées régulières. En homologie, les enseignants se plient aux mêmes processus et instances au sein du corps professoral.

Le LIRL est ainsi une école dont l’emploi du temps est particulièrement chargé, et il n’est pas rare de croiser des élèves et des professeurs le mercredi après-midi en train d’accomplir les projets dans lesquels ils sont engagés, voire de les pousser un peu plus loin…

PUBLIQUE

D’emblée, ce qui est devenu le LIRL a cherché à mettre sur pied un établissement facilement reproductible, une manière de proposer un projet qui puisse intégrer les exigences pédagogiques suscitées par les recherches des Pédagonautes, tout  en entrant parfaitement  dans  le  cadre  du “Décret Mission”. Le défi a consisté à monter un projet d’établissement sans demander aucune dérogation. C’est la raison pour laquelle, tout au long du processus de création, une attention particulière a été apportée en vue de collaborer avec les pouvoirs publics, à les solliciter et non à les suppléer.

En même temps que le projet pédagogique se dessinait, il a fallu trouver des interlocuteurs publics. C’est au gré des multiples rencontres que l’équipe a alors été orientée vers l’Échevinat de la Commune de Saint-Gilles, qui porte un intérêt certain aux nouvelles pratiques pédagogiques. Grâce à la collaboration de l’Échevin de l’Enseignement, Alain Hutchinson, et au service de l’enseignement, et grâce aussi à une patience certaine, le LIRL a pu trouver un établissement dans lequel déployer ses ambitions. Par ailleurs, la Commune  a financé l’engagement d’une personne à temps plein qui a permis de finaliser le projet. Tanguy Pinxteren, qui était détaché pédagogique, est ensuite devenu le directeur de l’école.

QUARTIER

Fin 2015, on apprend que l’institut technique et professionnel Pierre Paulus fermera ses portes en juin 2016. Si cette conjoncture a permis au LIRL de trouver un lieu de vie, il n’en reste pas moins que “prendre la place” d’une autre école ne va pas sans un peu d’amertume. Après de difficiles discussions, il est apparu de manière assez évidente que le projet tenait là sa chance de concrétisation, et qu’il n’était pas possible laisser passer cette occasion. L’établissement se situe rue de la Croix de Pierre, dans un quartier relativement mixte de Saint-Gilles. L’enjeu pour cette école qui se veut résolument ouverte sur le monde et démocratique a été de ne pas attirer uniquement des élèves au profil socioéconomique favorisé. Il ne suffit pas de le proclamer pour en faire une réalité. Plus qu’une déclaration d’intention, le LIRL s’est donné les moyens d’être à l’image du quartier. Partant du principe que les parents d’enfants issus de milieux plus privilégiés seraient, quoi qu’il en soit, informés de l’arrivée du LIRL, les porteurs du projet ont concentré leur attention sur les écoles primaires les moins favorisées. Il était très important de nouer des liens privilégiés avec les instituteurs et institutrices de sixième primaire. Tanguy Pinxteren et ses collègues ont choisi de se présenter aux parents via les enseignants. Il s’agissait de se situer dans une sorte de prolongation de la relation de confiance que les parents entretiennent avec les instituteurs de ces établissements. Sur la forme, il a également été important d’insister sur le caractère exigeant et d’inscrire dans les programmes de la FWB cette nouvelle école. Partant du principe que les aspects créatifs et transdisciplinaires pouvaient rendre suspicieux les parents qui ne sont pas rompus au discours des pédagogies actives, il ne semblait, en effet, pas inopportun de mettre en lumière des aspects plus “traditionnels” de la transmission des savoirs.

DEMAIN

Le Lycée Intégral Roger Lallemand termine sa première année d’existence. Il est sans doute un peu tôt pour faire le bilan de ses réussites et de ses échecs. Si les efforts pour garantir la mixité des publics ont été payants pour cette première année, il s’agira de voir s’ils se maintiennent dans le temps et surtout si l’école arrive à éviter la pyramide qui veut que les enfants issus des milieux plus précaires quittent au fur et à mesure de leurs parcours le LIRL pour intégrer des écoles techniques et professionnelles dans lesquelles leur cohorte sociale est plus que représentée.

A la question de la reproduction du modèle dans d’autres zones de la FWB, le directeur préfère rester prudent, et prendre le temps du recul pour envisager un tel investissement. On rêverait pourtant de voir les responsables politiques s’appuyer sur cette initiative pour dynamiser l’enseignement.

Car, si jeune qu’il soit et quel que soit son avenir, le LIRL est un projet exemplaire en termes politique, social, démocratique et pédagogique. Une utopie qui a pu trouver à une échelle locale les appuis pour exister et être reconnue par les pouvoirs publics. Une alliance d’une initiative citoyenne et des pouvoirs politiques suffisamment rares que pour la mettre en évidence dans ce dossier.


[1] Malgré les tentatives de régulation du Décret inscription, qui se situent certainement dans une perspective démocratique et égalitaire nécessaire, la Fédération Wallonie-Bruxelles reste une des régions d’Europe les plus inégales et libérales en termes d’enseignement.

[2] http://lespedagonautes.be/

[3] Extrait du Projet d’établissement téléchargeable sur le site de l’école. http://lirl.be

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